Le Tibet : une affaire sino-chinoise ou un conflit international ?

par Jean-Paul Desimpelaere, le 14 février 2012

Pour mieux comprendre ce que nous appelons la « question tibétaine », un retour vers le passé est nécessaire.

 

Une histoire ayant des antécédents

Arrêtons-nous un instant au 19ème siècle, lorsque l'empire britannique et l'empire des Tsars se rencontrèrent sur le Haut-plateau d'Asie centrale. Les premiers venaient de leurs colonies indiennes, et les seconds déferlaient des plaines de Mongolie. Entre les deux se trouvait la Chine, avec le Haut-plateau tibétain qui était la partie de la Chine la plus accessible aux deux grandes puissances de l'époque.

La Russie conquit l’Asie centrale et la Sibérie, et elle exerça son influence sur la Mongolie, ainsi que sur les régions du nord-est et du nord-ouest de la Chine. Quelques Mongols ‘Buriat’, au service des Russes, ont été nommés à des postes importants au Tibet à cette époque.

Quant aux Britanniques, ils conquirent tout d'abord le Ladakh qui devint un protectorat anglais en 1846, ce qui fut officialisé par un « traité de paix ». La Chine de la dynastie des Qing refusa de ratifier ce traité, tandis que certains chefs locaux tibétains le signèrent sous la contrainte des Mongols.

L’actuel « Tibet Justice Center » (TJC) (1) utilise ce « traité » entre le Tibet et Ladakh comme preuve de l’indépendance du Tibet vis-à-vis de la Chine. « Les chefs tibétains furent capables de déterminer eux-mêmes leur politique internationale », affirme le TCJ, mais sans mentionner que ce traité de paix fut signé sous la pression des armes.

Le premier traité, co-signé par l’empire chinois et l'empire britannique, qui concerne directement la province du Tibet fut le « traité Népalo-Tibétain ». Ce traité fut rédigé en 1856 après l’invasion du Tibet par les Népalais. Le Népal se trouvait alors sous protectorat britannique. Ce traité permettait à l’Angleterre d’acquérir des concessions commerciales au Tibet et obligeait le Tibet à rembourser lui-même les dégâts causés par la guerre.

Pour le TJC, ce traité népalo-tibétain est aussi une preuve de l'indépendance du Tibet à la fin du 19ème siècle, ainsi que le fait que d’autres territoires voisins sont devenus anglais à la même époque : le Sikkim en 1860, et le Bhoutan en 1864.

En 1904, dans sa marche vers Lhassa, l'armée britannique écrasa l’armée tibétaine locale. La dernière concession faite aux Britanniques le fut également sous pression. A cette époque, l’empire chinois en pleine dissolution fut incapable d’opposer une quelconque résistance. Pour l’élite tibétaine, la nouvelle grande puissance avec laquelle il fallait compter était l’Angleterre.

En 1913, les Britanniques organisèrent une réunion avec la toute nouvelle république Chinoise et les Tibétains à Simla, dans le nord de l'Inde. Ce qu'on nomme « l’accord de Simla » est devenu l’argument principal des partisans de l’indépendance du Tibet, encore actuellement, alors que la Chine n'a pas signé l'accord en question. En effet, cet accord stipulait que toute implication chinoise au Tibet devrait dorénavant être bannie et remplacée par la seule présence de l’Angleterre. De facto, le Tibet devenait indépendant de la Chine, bien que paradoxalement, l’accord confirmait la suzeraineté chinoise.

Le Tibet devint ainsi dépendant de l’Angleterre, aussi bien économiquement, que militairement, qu’au niveau de sa politique étrangère. De plus, le Tibet perdit une partie de son territoire, puisque l'accord de Simla prévoyait que l’actuel Arunachal Pradesh (en Inde), un territoire grand comme la Suisse, irait aux Britanniques. (2)

En outre, durant la conférence de Simla, les Britanniques déroulèrent une carte d'un Tibet dont la superficie avait doublé par rapport à celui sur lequel régnait le 13ème dalaï-lama. Les Anglais avaient décrété qu'à partir de cette date, le Tibet engloberait toutes les régions où vivaient des Tibétains. C'est ce qu'on appelle actuellement le « Grand Tibet », et que le 14ème dalaï-lama revendique comme étant « son Tibet ».

Puisque la Chine ne signa pas le traité, le ministre anglais des affaires étrangères en conclut que : « l’accord de Simla reste purement académique étant donné qu’il n’a pas été signé par la Chine, et il n'a pas été approuvé par la Russie. La convention n’est donc pas valide ». C'était en 1915. (3)

Mao face aux États-Unis

Après la deuxième guerre mondiale, les protagonistes de la « question tibétaine » changèrent : Mao se trouva face aux États-Unis (4) En Chine, durant la résistance contre l’occupation japonaise (1937-45), les adhérents au parti communiste se firent de plus en plus nombreux. La nouvelle puissance mondiale de l’époque s'en inquiéta. Quelques mois avant la prise de pouvoir des communistes à Pékin en 1949, le Département d’état américain pour l’Extrême-Orient écrivit ceci (5) :

« (...) 2. Si le Tibet pouvait résister au communisme, il serait alors dans notre intérêt de le reconnaître en tant qu’État indépendant. Dans ce cas, nous ne devrions plus le considérer comme partie intégrante de la Chine.

3. Le gouvernement tibétain est relativement stable. Le peuple est conservateur, pieu et prêt à défendre le bouddhisme contre le communisme. De plus, l’autorité morale du dalaï-lama va plus loin que les frontières du Tibet.

4. Pour l’instant, le gouvernement chinois n’a pas d’influence effective sur le Tibet, et il aura toujours des difficultés à en avoir.

5. Les Tibétains montrent un intérêt croissant pour le commerce extérieur et il serait bénéfique pour nous que cet intérêt se dirige vers l’Occident. »

Ce rapport conseillait également de ne pas exercer une influence trop forte et trop rapide dans la relation Chine-Tibet. Le rapport parle de lui-même quant à la position des États-Unis durant les décennies qui suivirent :

« Pour nous, la question essentielle n'est pas de reconnaître le Tibet comme pays indépendant. Ce qui nous importante est notre position vis-à-vis de la Chine. Jusqu’à présent, nous avons reconnu l’intégrité territoriale de la Chine et nous l’avons aidée à sortir, comme telle, de la deuxième guerre mondiale. Nous devons continuer cette politique vis-à-vis de la Chine aussi longtemps que sa dissolution est évitée, et aussi longtemps que n’aurons pas mis un pied au Tibet. » (…) « La situation changerait si un gouvernement en exil était formé. Dans ce cas, notre politique serait de soutenir un tel gouvernement, ce qui n'implique pas de reconnaître le Tibet comme État indépendant. »

C’était la stratégie des USA en 1949 et, depuis, elle a peu changé.

Le 14ème dalaï-lama s’en est bien rendu compte et déclara ouvertement : « Durant les années 50, les Américains ont soutenu le Tibet, non pas par considération morale ou par sympathie, mais bien dans le but de mener une politique anti-communiste au niveau mondial. » (6) Au cours des quelques années avant l’arrivée de l’Armée Rouge au Tibet (49-51), le jeune 14ème dalaï-lama demanda du renfort en troupes, ou au moins en armes, à l’Angleterre et aux États-Unis (7) Les États-Unis firent la sourde oreille, seule l’Angleterre envoya quelques armes. « Aucune puissance ne vous a apporté d’aide militaire avant l’invasion.

Et après l’invasion, l’ONU resta sourde à votre appel. Vous sentiez-vous trahi ? » demanda Laird au 14ème dalaï-lama. « Oui » répondit-il sèchement.(8)

L’actuel dalaï-lama (en avant-plan) a siégé comme vice-président du parlement national de la Chine (années ’50).
L’actuel dalaï-lama (en avant-plan) a siégé comme vice-président du parlement national de la Chine (années ’50).

Quant au nouveau régime chinois, il a voulu procéder prudemment à l’égard du Tibet. Pour lui, le plus important était la réunification chinoise. Mao et le comité central chinois ont parfaitement compris qu’il ne pouvait pas compter sur le soutien de la masse populaire au Tibet et qu'il n'y aurait pas moyen, dans l'immédiat de réaliser des réformes sociales. Une directive du comité central du Parti communiste soulignait ceci :

« Dans l'état actuel des choses au Tibet, nous ne pouvons pas appliquer intégralement les 17 points de l’accord de 1951. (9) Nous ne disposons ni du soutien des masses, ni de celui des classes aisées. Si nous mettons cet accord en pratique par la force, il en résulterait plus d’inconvénients que d’avantages. Les dirigeants tibétains ne veulent pas appliquer l’accord dans son entièreté ? Eh bien, nous nous en tiendrons à leurs désirs pour le moment.

S’ils ne trouvent pas opportun de créer des écoles primaires, cela peut encore attendre.(…) Laissons-les maltraiter le peuple, pendant que nous nous occuperons de tâches constructives, comme développer le commerce, construire des voies routières, développer des structures de santé, etc., de sorte que les masses viendront à nous. Quand les conditions seront plus favorables, nous nous attaquerons à la mise en pratique intégrale de l’accord.  » (10)

Émeutes et exil

En vue de préserver l’unité nationale de la Chine, la stratégie du gouvernement consistait à aussi enthousiasmer les classes dominantes du Tibet, le dalaï-lama inclus. (11) C'est ainsi qu'en province tibétaine - le gouvernement chinois n'avait cure du concept britannique de « grand Tibet » - le système de servage continua à exister de 1951 jusqu'en 1959.

En 1951, lors de l'arrivée de l'Armée rouge au Tibet, celle-ci était soumise à une discipline de fer. Elle ne requerra aucune nourriture auprès des Tibétains, mais la laissait venir de Chine centrale, ou l'achetait au prix normal aux populations locales. Les soldats chinois commencèrent même à cultiver des terres en jachère pour leur propre consommation.

Mais, dans les années cinquante, les choses s’envenimèrent à partir des zones frontalières de la province tibétaine. Dans ces zones jouxtant le Tibet, en provinces du Qinghai, du Sichuan, du Yunnan, vivaient également de nombreux Tibétains mêlés à d'autres ethnies.

La réforme agraire fut imposée dans ces provinces limitrophes du Tibet, comme partout ailleurs en Chine. Cela ne fut pas du goût des grands propriétaires terriens tibétains, monastères inclus.

En 1956, les familles de la noblesse tibétaine habitant dans la province du Sichuan s’insurgèrent. Ces familles étaient toutes liées à un monastère, d'une manière ou d'une autre ; certaines y avaient un fils, d'autres y amassaient un karma en or sonnant et trébuchant.

En quelques mois, les rues de Lhassa se firent envahir d'histoires d’insurrection et de panique venant de la province voisine. Un noyau de résistance s'activa, qui fut rapidement soutenu par la CIA (13) alertée par Gyalo Thondup, le frère du dalaï-lama qui travaillait déjà depuis 1951 pour les affaires étrangères des États-Unis (12). Le 10 Mars 1959, une manifestation de masse fur organisée devant le palais d’été du dalaï-lama à Lhassa, et la rébellion atteint son paroxysme.

C'est ce jour-là que le dalaï-lama, prenant peur, accepta enfin de partir en exil, un exil proposé par les États-Unis depuis déjà dix ans. (14)

Dès son arrivée en Inde, le dalaï-lama annonça que « 87.000 Tibétains avaient été brutalement massacrés » durant l’insurrection de Lhassa (15). Cependant, la population totale de Lhassa, augmentée par les nouveaux venus du Sichuan, était de 40.000 (16). Le chiffre de « 87.000 Tibétains massacrés » est pourtant resté dans les mémoires et il se trouve encore actuellement sur les sites du gouvernement en exil, ainsi que sur les sites des groupes de sympathisants en Occident. (17)

L'insurrection de 1959 fut le signal pour beaucoup de familles de l’élite tibétaine d'aller s’installer en Inde, emportant avec eux leur fortune personnelle et leurs serviteurs. Ils purent aussi compter sur une aide financière des États-Unis, par exemple rien qu'en 1964, 1.7 millions de dollars a été octroyé à la communauté tibétaine en exil, auquel il faut rajouter 186.000 dollars rien que pour le 14ème dalaï-lama. (18)

Depuis les années 80, l’aide financière américaine à la communauté tibétaine hors Chine est renforcée par celles des ONG semi-officielles. (19) Actuellement, on recense 120.000 Tibétains vivant à l’étranger, c'est-à-dire 2% de la population tibétaine vivant en Chine.

Cinquante ans de guerre de propagande

De 1956 à 1974, les Américains ont soutenu la guérilla tibétaine contre la Chine. Ils ont fourni des armes et ont nommés des instructeurs pour entraîner les jeunes rebelles tibétains. Une centaine d'entre eux en provenance du Tibet de l’Est et du Sichuan reçurent ainsi un entraînement en saut en parachute (20).

En Inde, c'est une armée de 7000 rebelles tibétains qui fut formée et équipée par les États-Unis (21) Toutefois, les leaders tibétains furent déçus que les États-Unis n'aient pas envoyé de renforts de leurs propres troupes.  La guérilla tibétaine n’eut pas beaucoup de résultats, d'une part parce que la population tibétaine sur place (en Chine) ne les soutenait pas, et d'autre part parce que l’armée chinoise les surveillait de près. (22)

La guerre de propagande a beaucoup mieux fonctionner, et elle continue d'ailleurs. « En amenant le dalaï-lama à l’étranger, les États-Unis ont voulu en faire un symbole important, un représentant de la lutte contre le communisme en Asie. Pour les États-Unis, cette opération était d'intérêt public et sans danger. » (23)

Ils ont vu juste puisque dès 1959, la commission internationale des juristes (CIJ) dénonça « une atteinte aux droits de l’homme, un génocide et des persécutions religieuses ». Il faut préciser que la CIJ a été fondée après la deuxième guerre mondiale en vue de récolter « des preuves aggravantes » de la dictature communiste de l’URSS et des pays du bloc de l’est. Dans un rapport de 1959, la CIJ déclare que la Chine « tue des Tibétains de sang-froid, ce qui rend une enquête nécessaire afin de déterminer s’il y a génocide ou pas ». (24)

On sait actuellement comment et par qui ces preuves ont été récoltées. En effet, en 1959, Tashi Tsering, un intellectuel tibétain en exil, visita des camps de réfugiés au Népal et en Inde pour y recueillir des souvenirs des massacres de Lhassa. Il n’aboutit à rien, personne ne put lui en raconter. Il fit part de son résultat à Gyalo Thondup, le frère du dalaï-lama qui derechef inventa lui-même des chiffres et les envoya à la CIJ .(25)

Patrick French, l’ex-directeur de « Free Tibet » à Londres, a eu l'occasion de lire les témoignages des Tibétains présents à Lhassa en mars 1959 qui sont consignés dans les archives du gouvernement du dalaï-lama à Dharamsala. Il parvint à la même conclusion : le nombre de morts avait été gonflé. De plus, il ne s’agissait que d’hommes (26). Or si on compare les chiffres avancés par le gouvernement en exil et la densité de population à l'époque, la totalité de la population masculine aurait été éradiquée, ce qui est un non-sens puisque dans ce cas, il n'y aurait plus de Tibétains à l'heure actuelle. Pourtant le chiffre de 1.2 millions de morts au Tibet à cause de la « dictature du PCC » circule toujours à travers le monde.

Dans les années 90, un an après que le dalaï-lama se vit attribuer le prix Nobel de la Paix, les groupes de soutien du Tibet se multiplièrent. Leurs sites internets en Europe et aux USA allaient même faire des petits dans les pays de l’ex-bloc de l’est. On créa des « Bureaux du Tibet » (c’est-à-dire des représentations du « gouvernement en exil ») dans plusieurs capitales du monde. (27)

Le ministère des affaires étrangères des États-Unis débloqua des budgets spéciaux pour les Bureaux du Tibet situés à New York et à Genève (75.000 dollars). (28)

Des milliers de comités dispersés dans le monde occidental (jusqu’au Liechtenstein) défendaient l’indépendance du Tibet.

Les intellectuels occidentaux ont aussi développé une version « occidentalisée » du bouddhisme tibétain (qu'on pourrait désigner par « Bouddhisme Light »), nettoyés de ses nombreuses divinités et traditions cultuelles ; une nouvelle spiritualité adaptée aux demandes de l'Occident était en train de naître. Mais sous la robe safran et les « bons mots » du dalaï-lama se cache en permanence un message politique : « Le Tibet est occupé et doit devenir indépendant ».

Les leaders de ce mouvement sont : la Campagne Internationale pour le Tibet (International Campaign for Tibet ou ICT), le China Digital Times (CDT), et le TibetInfoNet (TIN).

À la tête de l’ICT se trouve John Ackerly, qui, d'après son CV, aurait gagné ses galons dans l’opposition aux anciens pays de l’est. (29) Le président d’honneur de l’ICT est l’acteur Richard Gere, et le président exécutif de l'ICT est Lodi Gyari, le représentant officiel du dalaï-lama aux États-Unis Parmi les conseillers et les cadres de l'ICT, on compte divers ex-fonctionnaires du gouvernement américain. L’ICT a des bureaux à Bruxelles, Amsterdam et Berlin.

Le CDT est lié à la Ford Foundation et à la dalaï-lama Foundation. (30)

Le TIN est situé à Londres et se définit comme non-militant. Nombre de leurs articles sont des « témoignages anonymes », pourtant le TIN se présente comme étant une base fiable de données pour les chercheurs en tibétologie, les politiciens et... pour Wikipédia !

Et en effet, de nombreux tibétologues français utilisent le TIN comme référence de travail. (31) Si on ne retrouve pas les exagérations typiques de la propagande dalaïste sur le site du TIN, il n’en reste pas moins le porte-parole international de l’indépendance du Tibet.

Indépendance ou « autonomie significative » ?

En 1987, durant son discours au Congrès Américain, le dalaï-lama parlait encore « d’indépendance du Tibet ». En 1988, dans un discours au Parlement Européen, sa terminologie change : il parle cette fois de « la Voie du Milieu » ou « d’autonomie significative ».

Dans un projet de constitution pour le Tibet (32) , rédigé par le dalaï-lama en 1992, cette « autonomie significative » est plus clairement définie : tout d'abord, elle concerne le « Grand-Tibet », soit un quart du territoire total de la Chine. Ensuite, elle revendique le départ de l’armée chinoise, un Tibet ethniquement nettoyé, donc le départ des Chinois « immigrés », une constitution tibétaine basée sur le bouddhisme, une démocratie pluripartite, et la liberté du Marché.

Au congrès américain de 1987, le dalaï-lama parla de 7.5 millions de Chinois qui devaient quitter « son pays ». Durant une interview avec le Süddeutsche Zeitung (22.09.2007), il déclara : « tous les Chinois qui parlent le tibétain et qui respectent la culture tibétaine peuvent rester pour autant qu’ils ne soient pas trop nombreux. Tous les Chinois qui disent que les Tibétains puent, feraient mieux de quitter notre pays. »

Les préparatifs des émeutes de mars 2008 à Lhassa

Du 11 au 14 mai 2007, le réseau international de « Tibet Support » tint une conférence à Bruxelles. C’était la cinquième du genre. La précédente s’était déroulée à Prague, en 2003, en présence du dalaï-lama lui-même. Les organisateurs principaux de la conférence de Bruxelles étaient  des membres du gouvernement en exil du dalaï-lama et de l’ICT. Au total, 181 groupes venant de 56 pays différents étaient représentés. Sous la direction du premier ministre et du ministre de l’information du dalaï-lama – ce dernier étant toujours vu par ses partisans comme un « chef d’état » – on y développa un plan d’action, dans la foulée des jeux Olympiques. (33) Selon un rapport destiné au grand public, ce plan était le sujet le plus important de la conférence.

En août 2007, soit un an avant les JO, l’ICT soutenu par les États-Unis lancèrent le début du boycott des J.O. En organisant une série de manifestations et en distribuant des T-shirts.

En janvier 2008, les Tibétains de l’Inde formèrent le "Tibetan People’s Uprising Mouvement" (TPUM) (34) , un front pour l’opposition qui n’exclut pas le recours à la violence. Toutes les organisations tibétaines d'Inde font partie du TPUM, seul le dalaï-lama garde intacte sa façade de non-violence.

Pourtant, le 22 janvier, sur la chaîne anglaise ITV, on l'entendit inciter « à manifester ». En février 2008, quarante cadres du TPUM reçurent une formation en « coordination des actions ». Un des formateurs n'était autre que le rédacteur en chef du « Voice of Tibet », sponsorisé par les États-Unis(35)

Le 10 mars, jour de la commémoration de l’insurrection de Lhassa en 1959, le dalaï-lama tint un discours vigoureux, dans lequel il « priait pour les Tibétains héroïques qui ont sacrifié leur vie dans le combat pour la liberté. » (36) Dans les capitales occidentales, ainsi qu'en Inde et au Népal, se déroulèrent des manifestations devant les ambassades chinoises. Les organisations tibétaines situées en Inde téléphonèrent à des personnes de contact à Lhassa. (37) S’en suivirent des raids sanglants à Lhassa par des groupes de Tibétains.

Conquérir le Tibet ou conquérir Pékin ?

Comme l’ont déclaré les États-Unis en 1949 : « la question essentielle n'est pas de reconnaître le Tibet comme pays indépendant, ce qui nous importante est notre position vis-à-vis de la Chine. » Depuis, rien n'a changé. Le communiqué de la conférence de Bruxelles en 2007 souligne que « les JO de Pékin devraient être un tremplin vers une liberté des médias au niveau international, donc aussi et surtout des médias chinois ».

La liberté de presse est le fer de lance des Occidentaux pour renforcer leur opposition à Pékin. Les JO sont pour eux la voie royale par laquelle ils espèrent établir leur politique de marché libre en Chine, de manière permanente.

Nancy Pelosi, présidente du Congrès Américain, a même parlé de la nécessité d'ouvrir un « bureau des États-Unis à Lhassa », pour des « observations neutres » (sic!). (38) Quant au dalaï-lama, il revendique la « liberté de presse » et plus de transparence » (39) . Il va jusqu'à vouloir reconvertir les Chinois au bouddhisme : « Les Chinois sont radicalement matérialistes et communistes. C’est ridicule. Auparavant, ils étaient bouddhistes. Je suis toujours prêt à les servir spirituellement et je réaliserai une cérémonie de purification sur la place Tian An Man pour y commémorer les milliers de morts. » (40)

Jamyang Norbu, vétéran de la guérilla contre la Chine dans les années 60 et activiste connu de l’indépendance du Tibet, a déclaré ceci : « De même que la chute du mur de Berlin a apporté la liberté pour un certain nombre de pays, l’indépendance du Tibet pourrait améliorer la liberté des pays voisins, comme la Birmanie, le Turkestan de l’Est (l’actuelle province chinoise Xinjiang), la Mongolie intérieure (également une province chinoise), ainsi que favoriser la liberté du peuple chinois lui-même. » (41) L’enjeu est clair : démanteler la Chine ; les sponsors aussi sont clairs : les États-Unis, et le Tibet est leur instrument de travail.

Et pourquoi vouloir faire tomber le « mur de l’Himalaya » maintenant ?

D'une part, les États-Unis traversent une crise importante et d’autre part la Chine ne cesse de croître et se renforcer. Elle devient un concurrent sérieux pour les États-Unis, ceci sur tous les continents. Elle est de plus devenue le premier partenaire économique de l’Afrique, devançant les États-Unis et la France.

Pour la Chine, l’Europe est devenue son plus important partenaire économique. (42) Le démocrate américain John Murtha, président de la commission du Congrès pour la défense, estime pour sa part que l’Irak devrait recevoir moins d’attention que la Chine : « Nous devons être en mesure d’arrêter la Chine, la Russie, ou tout autre pays, qui devient une menace pour nous. » (43)

Beaucoup d’opposition

Les États-Unis souhaiteraient une « révolution orange » en Chine. Mais l’actuelle attaque des médias contre la Chine n’a obtenu que l’effet inverse : la population chinoise est outrée par l’image erronée que les médias occidentaux font circuler d'elle. Pour la première fois dans l’histoire, les Chinois résidant à l’étranger sortent de chez eux pour défendre l’unité chinoise, ainsi que la place que la Chine se doit de prendre dans le monde.

Les leaders chinois ont pris conscience qu’ils ont négligé la guerre médiatique après la chute du mur de Berlin – ce dont me firent part des correspondants chinois. Pour la première fois depuis cinquante ans, des voix chinoises parfois maladroites se font entendre, que ce soit de diplomates ou d'étudiants.

Par exemple, un étudiant chinois posta la phrase suivante sur le web : « Quand la Chine était faible, vous, les Occidentaux, êtes venus prendre votre part soit-disant légitime (les concessions). Alors que nous réparions les pots cassés (l’unification du pays), vous exigiez « l’indépendance du Tibet ». Stop à l’invasion. » (44)

Le gouvernement chinois a tout misé sur le développement socio-économique des territoires tibétains. Des sommes d’argent faramineuses pour l’infrastructure, l’enseignement, la santé, l’agriculture, et l’industrie légère ont été dépensées. Par des faits et par des actes, le gouvernement chinois espérait limiter la base de recrutement pour le séparatisme. Le Tibet est loin d'être une « colonie » grâce à laquelle la Chine s’enrichit, comme on le laisse à penser chez nous. 90% du budget de la RAT est alimenté par la « caisse centrale ». (45)

Il s’agit d’une somme totale de plus de 2 milliards de dollars par an, ce qui est plus que toute l’aide au développement versée à l’Afrique par l’Europe entière. Pourtant, en Afrique vivent des centaines de millions de personnes, au Tibet, seulement 3 millions.

Imaginons que le Tibet devienne indépendant : qui lui cédera autant d’argent pour son développement ? Au Tibet, l’enseignement et les soins médicaux sont gratuits, les agriculteurs et les éleveurs sont exempts d'impôts, il y a des subsides pour la construction de maisons, pour des serres, pour des panneaux solaires, pour des chauffages au méthane... mais tout cela, les médias libres de l'Occident n'en font pas mention. Si la Chine a gagné au niveau du développement du Tibet, elle s'est retranchée en qui concerne la guerre médiatique internationale.

Cependant, la Chine n'est pas isolée : presque l’entièreté du « Tiers Monde » se range à ses côtés : l’Asie centrale, les états africains, sud-américains et asiatiques. (46) Quant à la vieille Europe, elle doute et hésite entre les États-Unis et la Chine, mais ça, c’est une autre histoire...

Notes:

  1. "Tibet Justice Center" (TJC), texte "Tibet’s Sovereignty and the Tibetan People’s Right to Self-Determination", paragraphe : "The Government of Tibet was capable of entering into international relations and had entered into such relations repeatedly", website TJC. www.tibetjustice.org.materials/treaties/index.html et www.tibetjustice.org/reports/sovereignty/independent/a/in.... Le TJC fut créé en 1989 par Walt Van Praag, conseiller juridique du 14ème dalaï-lama. L’organisation est basée aux USA mais se trouve aussi au "Bureau du Tibet" (bureau du gouvernement tibétain en exil) à Genève, où elle est considérée comme ONG par les instances de l’ONU. Le TJC est membre du "International Tibet Support Network" et propose annuellement des formations sur « l’auto gouvernance » à des exilés tibétains en Inde.

  2. (2) Le texte intégral de l’accord Simla se trouve dans Goldstein, "A History of Modern Tibet, 1913-1951, The demise of a lamaist state", appendix C, University of California press.

  3. Foreign and Political Department, Government of India, letter 448EB, 3/9/1915.

  4. Goldstein (voir plus haut), volume 1, pp. 70-74.

  5. Bacon Ruth, US Office of Foreign Affairs, FRUS, memorandum to the Chief of the Division of Chinese Affairs of the State Department (Sprouse), 693.0031 Tibet/I-849-12/4/1949. Website Wisconsin digital library.

  6. Laird, "Une histoire du Tibet, conversations avec le dalaï-lama », p. 305, Plon, 2006.

  7. Une lettre du bureau tibétain pour les affaires étrangères, citée par Goldstein,vol 1, p. 625.

  8. Laird, idem, p. 311.

  9. « L’accord de 17 points » entre le gouvernement central chinois et le gouvernement du Dalaï Lama stipulait que « des réformes sociales devaient se faire par consultation »

  10. Mao Ze Dong, "Principes politiques pour notre travail au Tibet, directives du Comité Central du Parti Communiste Chinois, avril 1952", Oeuvres Choisis, tome V, Beijing, 1977.

  11. Renmin Ribao (journal populaire), 26/5/1951.

  12. Goldstein, "A History of Modern Tibet,volume 2, The calm before the storm : 1951-1956", University of California Press, 2007, pp. 240-241.

  13. Conboy, "The CIA’s Secret War in Tibet", p. 36, "Modern War Studies", University of Kansas, 2002.

  14. Cfr. une lettre de l’ambassadeur américain Henderson au dalaï-lama, datant du 17/9/1951. En détail dans : Goldstein, volume 1, pp. 808-809.

  15. Barry Sautman, « Contemporary Tibet », M.E. Sharpe, USA, 2006, p. 245.

  16. Barbara Erickson, « Tibet, Abode of the God », USA,1997, p. 197.

  17. Department of Information, Tibet Government in Exile, 1993 : "Tibet, proving Truth from Facts".

  18. FRUS (Foreign Relations of the US), Volume 1964-1968, 337, 9/1/1964

  19. Entre autres : NED of National Endowment for Democracy (‘cousin germain’ de la CIA, créé dans les années 70), Tibet Fund, International Campaign for Tibet (ICT), Bureau of Democracy, Human Rights and Labor du ministère des Aff Etr, etc.

  20. Mikel Dunham, "Buddha’s Warriors" (avec un préface du dalaï-lama), p. 314 et suivantes, 2004, USA.

  21. Les SFF, Special Foreign Forces, voir Conboy, p. 247.

  22. Conboy (voir plus haut), pp. 141-143.

  23. Goldstein (voir plus haut), vol 2, pp. 119 et 145.

  24. Report du ICJ sur le Tibet (1959), qu’on peut trouver sur le site du « gouvernement » tibétain en exil : http://www.tibet.com/

  25. Tashi Tsering, Goldstein et Siebenschuh, « The struggle for modern Tibet, the autobiography of Tashi Tsering", M.E. Sharpe, USA,1997, p. 57.

  26. Patrick French, « Tibet, Tibet », Albin Michel, 2005, p. 324.

  27. New York, Washington, Genève, Bruxelles, Tokyo, New Delhi, Londres, Paris, Canberra, Pretoria, Taiwan, Moscou.

  28. FRUS, 9/1/1964.

  29. ICT, website, staff members, short biography of J. Ackerly.

  30. Michael Barker, Global Research, 29/3/2008. http://www.globalresearch.ca/

  31. Comme dans le livre « Le Tibet est-il chinois ? Réponses à cent questions chinoises », AM Blondeau et Katia Buffetrille, Albin Michel, 2002.

  32. "A vision for a future free Tibet », website du « gouvernement » en exil du Dalaï Lama.

  33. Tibetan Bulletin (magazine officiel du dalaï-lama et de son gouvernement ), mai-juin 2007, volume 11, nr 3.

  34. Website TPUM, http://tibetanuprising.org/, avant-propos. Dans l’introduction se trouve encore le chiffre "historique" de plus d’1 million de morts.

  35. Website « Phayul », Tibetan People’s Uprising Movement to reinvigorate the tibetan freedom movement, 20/2/2008.

  36. Site web personnel du dalaï-lama, discours du 10 mars 2008.

  37. Mathieu Ricard, interprète français personnel du dalaï-lama, Télérama France, 16/4/08.

  38. Résolution 1077 du Congrès Américain, proposée le 3 avril 2007 et acceptée par le congrès.

  39. Site web personnel du dalaï-lama, discours du 10 mars 2008.

  40. Interview avec "Le Nouvel Observateur", 17/01/2008.

  41. Site Web« Phayul », article de Jamyang Norbu, 4/7/2007.

  42. L’Europe importe plus de produits en provenance de la Chine que des USA. En ce qui concerne l’export européen, la Chine occupe la deuxième place. Source : European Commission, external Trade, 2006.

  43. Reuters, 5/2/2008.

  44. www.wforum.com/gbindex.html, 10 avril 2008. (45) Statistiques économiques chinoises.

  45. Xinhua, 22/03/2008.

Sur le Haut plateau tibétain, on ne parle plus de nomadisme mais de transhumance (2005, photo JPDes)
Sur le Haut plateau tibétain, on ne parle plus de nomadisme mais de transhumance (2005, photo JPDes)