WikiLeaks, les écolos et le dalaï-lama

par Jean-Paul Desimpelaere, le 17 mars 2011

Selon le journal de Hong-Kong « The South China Morning Post » (18/12/10), dans les fichiers de ‘WikiLeaks’ (correspondance privée du ministère des affaires étrangères des États-Unis mise à jour) se trouvent plusieurs traces de conversations entre l’ambassadeur américain à Delhi et le dalaï-lama.

 

Les relations entre les États-Unis et le dalaï-lama ne sont pas récentes : depuis 1951, alors que le dalaï-lama habitait encore à Lhassa, les États-Unis ont essayé de le convaincre de partir en exil. Ce n'est qu'en 1959, huit ans plus trad, qu'il approuva et partit vers l'Inde avec l'aide de la CIA.

Le but des États-Unis était qu’il puisse agir contre la Chine communiste depuis l’étranger, en toute tranquillité (1). Actuellement encore, le dalaï-lama entretient de très bons rapports avec l’ambassadeur des États-Unis à Delhi, Mr. Roemer. Ci-dessous le contenu de conversations récentes entre le dalaï-lama et l’ambassadeur américain.

Il aurait confié à Roemer que « l’agenda politique (du Tibet, ndlr) peut être mis de côté pour une durée de cinq à dix ans et que la communauté internationale devrait plutôt se concentrer sur les conséquences du changement climatique sur le plateau tibétain ».En réalité, le dalaï-lama n’a jamais laissé son agenda politique de côté, ses déclarations publiques en témoignent, comme celle de son discours annuel, le 10 Mars 2010 (2).

IL y plaide ouvertement pour un changement de système politique en Chine et il justifie les émeutes de Xinjiang par les méthodes inhumaines du gouvernement chinois. Dans ce discours, il ne dit rien à propos du climat ou de l’écologie du plateau tibétain, ou presque rien...

Pourtant, on pourrait croire que le dalaï-lama s’est impliqué depuis longtemps dans les combats écolos puisque d ès les années 1990, son administration a rédigé des rapports détaillés sur les désastres écologiques causés par les Chinois au Tibet. En 1992, il a débuté sa conférence sur le climat à Rio par une offensive en règle contre la Chine, alignant tous les poncifs écolos : « la déforestation massive, la pollution des rivières par l’exploitation minière, l’éradication de la faune sauvage, l’érosion causée par la culture non contrôlée, la pression démographique sur l’environnement par la présence de millions de Chinois au Tibet, la pollution industrielle, la pêche, etc. ». Cela lui a valu la sympathie de la majorité des partis verts européens, déjà sensibilisés à son message spirituel « alternatif », mais son message subliminal était sa lutte pour « l’indépendance du Tibet ».

Que le dalaï-lama propose à présent à l’ambassadeur des États-Unis de se concentrer sur le climat du Haut plateau (dans sa logique : sur les catastrophes écologiques que causent les Chinois) n’est pas surprenant : les sommets de Copenhague et de Cancún sont proches !

Il a vu une nouvelle occasion d’assombrir la Chine. Toutefois, les États-Unis n'ont pas ouvertement suivi le dalaï-lama dans ses accusations, pour la bonne raison qu'elles sont ridiculement dépassées, et ce, depuis une vingtaine d'années. En effet, les spécialistes et climatologues donne souvent la Chine comme exemple dans l’approche des problèmes écologiques, notamment sur le Haut plateau tibétain. Les États-Unis n'ont pas envie de se ridiculiser en abondant dans le sens du dalaï-lama. Une coopération scientifique concernant l’environnement sur le Haut plateau s'est organisée à un niveau international, or elle inclut la NASA.

Il est impensable que le dalaï-lama et son administration ne soient pas au courant.

Il est possible par contre qu'il répande des informations erronées concernant l’écologie au Tibet et qu'il les utilise comme outil politique. Par exemple, en décembre de l’année dernière, lors de sa visite en Tasmanie, il a prononcé un discours de deux heures ayant pour titre : "Notre Terre - Qui en est responsable ? ».

Dans ce discours, il n’y a repris que la problématique climatique du Tibet, sans aucune vue d'ensemble pour la planète. Est-ce parce que cela lui permettait de rappeler ses accusations contre la Chine ? Et le mot « responsable » justifiait-il que les groupes de « Free Tibet » brandissant leurs calicots pendant le sommet de Copenhague exigeaient qu'on envoie au Tibet "une équipe d’inspection internationale" ?

J’ai récemment eu l'occasion de bavarder avec un Tibétain installé à Bruxelles. Il trouvait dommage que les habitants de son village natal ne puissent plus circuler avec leur troupeau où bon leur semble, et que le gouvernement local ait confié la gestion de certaines parties des pâturages à certaines familles.

C’est ainsi, le gouvernement local essaye de responsabiliser les familles quant à l’entretien des pâturages afin de combattre le surpâturage. Or le dalaï-lama parle de « destruction de la culture tibétaine traditionnelle », sans mentionner la nécessité écologique de réduire l’élevage. Pire encore, il conteste les solutions proposées, même les plus élémentaires, comme responsabiliser les familles d'éleveurs quant au problème de surpâturage.

Entre autres, il déplore le fait qu'à l’heure actuelle les Tibétains de la R.A.T. reçoivent une formation technique. Il appelle cela “disrupting their nomadic lifestyle with vocational training”. Veut-il dire que les nomades qui apprennent un métier, cela jure avec la tradition ? La population sur le Haut plateau a triplé en 50 ans, ainsi que le nombre de yacks et de moutons. Par contre, il n'y a pas de nouveaux pâturages disponibles.

Qui plus est, il n’y a plus de « vrais nomades » au Tibet. La plupart d'entre eux ont une maison, bien qu'ils soient parfois partis des mois durant avec leur troupeau.

Notes:

  1. Le texte intégral concernant cette période est à trouver dans M. GOLDSTEIN, « A history of Modern Tibet, 1913-1951 », University of California Press, 1989

  2. Le 10 mars c’est ‘la fête nationale’ des insurgés de 1959. Le discours se trouve sur son site personnel. Notez : le dalaï-lama se trouve sur Facebook, Twitter et Youtube. Il ne fait évidemment pas tout cela lui-même.