Le Sénat français, le Congrès des Etats-Unis et le dalaï-lama
par Jean-Paul Desimpelaere, le 11 mars 2010
Le 22 octobre 2009, la Commission du Congrès des États-Unis sur la Chine a publié un rapport étoffé (152 pages) sur les “droits de l’homme” au Tibet.(1) La Chine a répondu : « De quoi vous mêlez-vous ? », en ajoutant que les informations rassemblées dans ce rapport ne se basent pas sur des faits avérés, sans donner de détails ni ouvrir la polémique. Sur le plan international, la Chine ne s’octroie pas le droit de fouiller dans les affaires internes d'autres pays, elle est un fervent défenseur du dialogue.
Le rapport de la Commission du Congrès des États-Unis tire ses informations des cercles dalaïstes, du milieu dissident chinois et des organisations satellites de la CIA, telles que “Radio Free Asia”, “International Campaign for Tibet” et le “Tibetan Center for Human Rights and Democracy”. On y trouve nombre de plaintes concernant “le manque de libertés politiques, les arrestations, le manque de liberté de la presse, la limitation des pratiques religieuses”, etc. Mais ce qui est frappant, c’est que les accusations rassemblées dans ce rapport sont majoritairement plus « légères » que celles qui circulent chez nous, en Europe, et que celles rapportées par le dalaï-lama lui-même. Ces deux dernières versions sont à peu près identiques.
Pour clarifier cet écart, il est instructif de se pencher sur le discours que le dalaï-lama a tenu devant une commission du Sénat français en août 2008, c'est-à-dire au beau milieu de la période des jeux olympiques à Pékin.
Ci-dessous, quelques-unes de ses déclarations à titre d'exemples...
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“Après les manifestations de mars 2008, nous avons reçu de nombreux témoignages sur des exécutions arbitraires et des cas de torture allant jusqu’à la mort. Les corps des personnes portées disparues n’ont pas été restitués aux familles. La terreur règne partout.”
Pas une seule trace de cela dans le rapport du Congrès états-unien qui est pourtant alimenté par les Tibétains en exil et les satellites de la CIA. J'étais présent à Lhassa lors de cette allocution du dalaï-lama et je n’ai pas ressenti de terreur dans les rues de la capitale tibétaine (mais peut-être suis-je intoxiqué???)
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“Avant les événements de mars 2008, on a pu observer le remplacement systématique des cadres tibétains par des Chinois, en préparation à ce qui allait suivre. Une source fiable nous apprend que le gouvernement chinois a l’intention de faire immigrer un million de Chinois au Tibet après les jeux olympiques. Une autre mesure prise par le gouvernement chinois viserait à obliger tous les étudiants tibétains à l’étranger à rentrer chez eux dans les six mois.”
...aucune trace de cela dans le rapport des États-Unis, et dans la réalité non plus !
Mais il y eut d’autres déclarations “fortes” dans son discours devant la commission du Sénat français qui, sans être directement liées au rapport des États-Unis sur les droits de l’homme, valent la peine d'être retenue.
Ci-dessous, j'en aligne quelques-unes...
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“Les commerces que les tibétains ouvrent dans d’autres provinces chinoises sont boycottés.”
Au moment de son allocution (août 2008), j’ai pu observer le contraire : le Tibet est « à la mode » dans le reste de la Chine, les commerces d'artisanat tibétain profite d'un réel engouement. Mais ce qui est vrai, c’est que ces centres « en vogue » ne peuvent pas faire de propagande pour l’indépendance du Tibet. Le dalaï-lama aimerait sans doute disposer d’un tel réseau pour son combat contre la Chine.
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“J’ai invité la Croix Rouge internationale à apporter de l’assistance suite au tremblement de terre au Tibet. Les autorités chinoises ont refusé.”
Tout d'abord, ce n'est pas au Tibet même qu'a eu lieu le tremblement de terre mais au Sichuan . Or il réclame une partie du Sichuan pour l'ajouter à son « grand Tibet libre ». En localisant le sinistre au Tibet et non au Sichuan, il amène de la confusion, de manière détournée.
Par ailleurs, la presse internationale a félicité les autorités chinoises pour l’efficacité de l’aide apportée aux sinistrés après le tremblement de terre. Mais pour le dalaï-lama forcer l’entrée en Chine d'une aide internationale est une tactique d'ingérence qu’il a apprise des États-Unis
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“En Mongolie Intérieure, les 3 à 4 millions de Mongols sont submergés par 80 millions de Chinois de l’ethnie Han.”
Ces chiffres sont inexacts : la région autonome de Mongolie Intérieure ne compte que 25 millions d’habitants. Mais, plus grave : ce n'est pas qu'au Tibet qu'il prêche pour la pureté ethnique !
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“Maintenant que je vis hors du Tibet chinois, je me sens un homme libre, je peux dire ce que je veux, je peux aller où je veux. Et donc, je me sens bien. Je tends la main aux Chinois, mais ils ne la saisissent pas. Alors je suis bien obligé de tendre l’autre main à ceux qui nous soutiennent réellement dans ce monde.”
N'est-ce pas une manière très dichotomique de parler d'une part des méchants Chinois et d'autre part des braves Occidentaux ? Cette manière d'aborder le problème ne fait qu'accentuer notre sentiment des « deux clans « qui s'opposent... étrange façon d'ouvrir un dialogue !
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“La communauté internationale n’a aucune raison de se laisser perturber par le régime communiste chinois. Ici en Occident règne une liberté fondamentale, c’est pourquoi il est important que vous souteniez les peuples qui ne jouissent pas encore de cette liberté.”
Cette déclaration fait penser que ce n’est pas le Tibet qui l’intéresse, mais c’est voir disparaître le régime communiste chinois.
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« La France ne semble pas être directement menacée par les troupes chinoises, mais l’Inde et le Japon bien. Pour eux, cette superpuissance militarisée est un danger réel. C’est une superpuissance disposant d’armes nucléaires, qui ne voit le pouvoir qu’à travers la violence et n’hésite pas à mettre cela en pratique. Leurs missiles intercontinentaux sont peut-être une menace pour la Russie et l’Europe.”
Tous les stratèges intercontinentaux sont d’accord sur le fait que la capacité militaire de la Chine à intervenir hors de ses frontières est très limitée. Le dalaï-lama lance tout de même l’idée. En français cela s’appelle “diaboliser”. Pourtant la Chine n’a aucune base militaire à l’étranger. Les autres “grands” ne peuvent pas en dire autant, malgré leurs prix Nobel de la paix.
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“Le Grand Tibet a été dirigé par une succession de dalaï-lamas.”
Ceci est un mensonge délibéré. Tous les documents historiques en atteste : l’autorité des dalaï-lamas était limitée à l’actuelle province du Tibet, pas à cette extension qu'il appelle « Grand Tibet » (à lire ailleurs sur ce site).
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“En 1950, j’ai négocié avec le gouvernement chinois pour que le Tibet puisse disposer de sa propre armée.”
C’est en grande partie faux puisqu'il ne s'agissait pas d'une « armée tibétaine » mais d'une section tibétaine dans l’Armée de libération populaire chinoise, c’est tout autre chose.
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“Un état tampon est nécessaire entre l’Inde et la Chine.”
Pour le dalaï-lama, il est nécessaire d'éviter un rapprochement entre l’Inde et la Chine et d'installer un « état tampon », de préférence à la mode occidentale.
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“Maintenant que la Chine s’intègre au marché international, j’insiste pour qu'elle embrasse les idéaux de la démocratie.”
Certes, pourtant se jeter dans la gueule du néolibéralisme à l'occidentale n’est pas vraiment l’intention de la Chine.
Conclusion :
Même si les faits rapportés dans le rapport des États-Unis sont douteux, sans pourtant être trop exagérés, le dalaï-lama y rajoute une couche, marketing dalaïste oblige pendant une tournée internationale !
Note
(1) “Congressional Executive Commission on China, Special Topic Paper : Tibet 2008-2009”, consultable sur le net.