Le Tibet, l’impérialisme et la lutte entre progrès et réaction

par Domenico Losurdo, le 2 avril 2008

Domenico Losurdo, professeur d'Histoire et philosophie (Italie)

Dans les années 60, c’étaient les Chinois qui étaient considérés comme « pauvres mais beaux », par rapport à l’Occident ; aujourd’hui, après le développement impétueux qui s’est produit dans le grand pays asiatique, les « pauvres mais beaux », aux yeux de cette prétendue gauche, ce sont les Tibétains partisans du dalaï-lama. Qu’importe si ce dernier est en réalité riche et laid ? Ainsi, il est riche en tant que représentant d’une caste d’exploiteurs super-alimentée de dollars dès les années 50 ; laid, du fait qu’il aurait voulu continuer à condamner à une horrible condition de dégradation les serfs de l’aristocratie et de la théocratie tibétaines. Tout cela ne compte pas : pour une certaine gauche, les films d’Hollywood sont toujours plus importants que les livres d’histoire et d’analyse critique de la réalité.

 

1.Les États-Unis, le dalaï-lama et les bouchers indonésiens

Seuls l’intervention de la flotte américaine en 1950 et le recours de Washington dans les années suivantes à la menace nucléaire peuvent empêcher l’armée populaire dirigée par les communistes de compléter la libération et l’unification du pays, en fermant ainsi pour toujours un des chapitres centraux de l’histoire de la « Chine crucifiée ». En plus de la sécession de Taiwan, l’impérialisme cherche aussi à promouvoir celle du Tibet.

Et dans ce cas aussi, la gauche montre son caractère subalterne et son manque de mémoire historique. Fut un temps, elle s’engageait dans des lectures sophistiquées et absorbantes, aujourd’hui elle se nourrit seulement de la grande presse d’information et de désinformation. Tout sympathisant et militant de la cause anti-impérialiste savait que la souveraineté chinoise sur le Tibet avait derrière elle des siècles d’histoire et que le premier à avoir essayé de la mettre en question avait été l’expansionnisme colonial britannique1. Ainsi, il suffit de feuilleter un bon livre d’histoire pour prendre conscience du fait que ces tentatives étaient et sont parties intégrantes d’une politique visant au « démantèlement de la Chine »2.

Mao Tsé-Toung n’était pas le seul à considérer le Tibet comme partie intégrante du territoire national chinois. Sun Yat-Sen, le premier Président de la République née du renversement de la dynastie mandchoue, ne pensait pas différemment.

Aux Anglais qui l’invitaient à participer activement à la boucherie de la Première guerre mondiale, de façon à récupérer les territoires arrachés à la Chine par l’Allemagne, Sun Yat-Sen faisait remarquer que la Grande-Bretagne était encore plus avide : « Vous voudriez aussi nous prendre le Tibet »3 ! Longtemps, l’appartenance de cette région à la Chine n’a pas été mise en doute, même par les historiens les plus éloignés de la gauche.

Quand il parlait de la révolte du Tibet de 1959 (largement inspirée et alimentée, comme nous le verrons, par la CIA), l’auteur d’une histoire pourtant très critique du Parti Communiste Chinois insérait d’ailleurs cet événement dans un chapitre dédié à l’ « évolution intérieure » du grand pays asiatique4.

Désormais au contraire, la gauche et en Italie même Il manifesto et Liberazione semblent aussi engagés à soutenir le séparatisme. C’est aussi à ce détail que l’on peut voir le triomphe idéologique, au-delà du triomphe militaire, remporté par les États-Unis dans la Guerre froide.

Avant que celle-ci n’éclate, Washington n’éprouvait aucune difficulté à reconnaître l’appartenance du Tibet à la Chine, contrôlée alors par les nationalistes de Tchang Kaï-Chek. En publiant en 1949 un livre sur les relations États-Unis/Chine, le département d’État américain incluait une carte indiquant très clairement le Tibet comme partie intégrante du grand pays asiatique5.

Mais il commence à changer son orientation au fur et à mesure que se profile l’avancée de l’armée populaire conduite par Mao Tsé-Toung. Dès le 13 janvier 1947, George R. Merrel, chargé d’affaires américain à New Delhi, écrit au Président américain Truman pour attirer son attention sur l’ « importance stratégique inestimable » de la région-toit du monde : « Le Tibet peut donc être considéré comme un bastion contre l’expansion du communisme en Asie ou du moins comme une île de conservatisme dans un océan de bouleversement politique ».

De plus – ajoute le diplomate américain – il ne faut pas oublier que « le haut plateau tibétain […] en ces temps de guerre de missiles peut s’avérer le territoire le plus important de toute l’Asie ».

Je tiens ces détails d’un auteur américain, fonctionnaire de la CIA pendant des décennies, comme il tient lui-même à nous le faire savoir. En s’y référant, il souligne la continuité entre le point de vue exprimé par la lettre à Truman que nous venons de citer et celui cher en son temps à l’Angleterre victorienne, engagée dans le « grand jeu » de l’expansion coloniale en Asie6. En effet, à l’impérialisme britannique succède, après la Seconde guerre mondiale, l’impérialisme américain : le séparatisme tibétain est désormais appelé à servir « les intérêts géopolitiques des États-Unis », en obligeant Mao à disperser ses forces déjà limitées et en posant donc les conditions d’un « changement de régime à Pékin »7. Pour atteindre un tel but, des « guérilléros » sont entraînés au Colorado et ensuite parachutés au Tibet : ils sont ravitaillés par voie aérienne en armes, outils, appareils de retransmission etc. et collaborent également – l’auteur et fonctionnaire de la CIA ne le cache pas – avec des « bandits Khampa à l’ancienne »8.

Tel est le contexte de la révolte de 1959. Là aussi, l’auteur en question nous est fort appréciable, non seulement pour l’information de première main qu’il fournit, mais aussi pour sa franchise. Il remarque que la révolte avait suivi immédiatement l’échec de la tentative des services secrets américains de provoquer des désordres en Chine à partir des Philippines. Sans se décourager, il fallait alors se concentrer sur le Tibet. Bien sûr – explique à cette occasion un haut dirigeant de la CIA, cité toujours par l’auteur-fonctionnaire de la même organisation – le déclenchement de la révolte avait « peu à voir avec l’aide aux Tibétains ». Il s’agissait au contraire de mettre en difficulté « les communistes chinois ».

C’était la même logique qui présidait – expliquait ensuite le dirigeant de premier plan de la CIA – à la décision, prise par les services secrets américains à cette époque, d’ « aider les colonels rebelles indonésiens dans leur effort pour renverser Soekarno », coupable d’être « devenu trop tolérant envers les communistes de son pays »9. Ayant échoué lors de sa première tentative, le coup d’État en Indonésie réussit pleinement en 1965 ; des centaines de milliers de communistes ou d’éléments considérés comme trop « tolérants » envers les communistes sont massacrés. Si les forces de la réaction et de l’impérialisme avaient réussi dans leurs menées séparatistes au Tibet, auraient-elles été moins féroces ?

Un fait donne à réfléchir. Je le tire de l’intervention d’un professeur américain pour une revue américaine : c’est un agent de la CIA qui a organisé en 1959 la fuite du dalaï-lama du Tibet. L’agent vécut plus tard au Laos « dans une maison décorée avec une couronne d’oreilles arrachées aux têtes de communistes morts »10.

 

2. La CIA et Hollywood se convertissent au bouddhisme !

La révolte de la réaction tibétaine de 1959 ne remporte pas le succès escompté. Contacté et financé par les services secrets américains depuis bien longtemps, le dalaï-lama fuit en Inde. Une fois échouée la campagne à l’Est (en territoire tibétain et chinois), Washington commence alors sa campagne à l’Ouest. Nous avons vu le dirigeant de premier plan de la CIA considérer le dalaï-lama comme un pion interchangeable de la politique américaine à l’instar des colonels-bouchers indonésiens. Désormais, ce même personnage est élevé au pinacle : il devient un leader de la non-violence, un modèle vivant de noblesse morale et de sainteté.

La transfiguration gagne aussi le bouddhisme tibétain en tant que tel, présenté comme un ensemble d’exercices spirituels, de doctrines et de techniques d’élévation sublime au-dessus des misères du monde. L’industrie cinématographique américaine travaille à plein rendement pour diffuser ce mythe.

Au début du XXe siècle, lorsque la compétition entre la Grande Bretagne et la Russie pour s’emparer du Tibet faisait rage, une rumeur se répandait selon laquelle le tsar en personne était devenu bouddhiste11. Aujourd’hui au contraire aucun doute n’est possible : ce sont Hollywood et la CIA qui se sont convertis au bouddhisme !

Une conversion aussi extraordinaire ne pouvait que produire des miracles. Pendant des siècles, la culture occidentale a regardé avec mépris le bouddhisme tibétain, considéré comme synonyme de despotisme oriental, du fait de la centralité qu’il conférait à un soi-disant Dieu-Roi, sur lequel s’exerçait le mépris d’auteurs aussi différents que Rousseau, Herder, Hegel. Entre le XVIIIe et le XIXe, les lamas étaient considérés « non en tant qu’incarnation des lamas défunts [comme ils l’affirment], mais comme incarnation de tous les vices et de toutes les corruptions »12.

Lorsque la Grande Bretagne part ensuite à la conquête du Tibet, elle cherche à la justifier au nom de la nécessité d’apporter la civilisation jusque dans « cette ultime forteresse de l’obscurantisme », à « ce petit peuple misérable »13.

Cela va de soi : l’arrogance et la tendance raciste de l’impérialiste ne font aucun doute, mais ce n’est pas pour autant qu’il faut refouler les infamies de la théocratie tibétaine. Un fait tiré de l’historien anglais que nous venons de citer suffit pour éclairer sa vraie nature : le dalaï-lama en fonction au début du XXe siècle « était un des rares à avoir atteint sa majorité, étant donné que la majorité d’entre eux était éliminée durant l’enfance à la convenance du Conseil de Régence »14.

Désormais au contraire, grâce au miracle opéré par Hollywood (et la CIA), le bouddhisme tibétain est devenu synonyme de paix, de tolérance et de spiritualité élevée. Tout est clair à présent : comme on l’a justement observé, sur la base de l’idéologie et des stéréotypes dominants, « les Tibétains sont des surhommes et les Chinois des sous-hommes »15.

Certains aspects du processus de sanctification du dalaï-lama et du bouddhisme tibétain sont vraiment comiques. Un élément essentiel de ce dernier est la structure de castes qui perdure aussi après la mort : si le corps des membres de l’aristocratie est inhumé ou brûlé, le corps vil des masses populaires est donné en pâture aux vautours.

Il y a quelque temps, l’International Herald Tribune parlait d’une de ces funérailles plébéiennes où le prêtre détache morceau par morceau la chair des os du mort pour faciliter le travail des vautours, qui attendent déjà au sommet de la montagne. Il faut dire que la description était précise et minutieuse, mais elle était suivie de la déclaration d’un « savant » qui expliquait le tout dans une interprétation écologique16 ; mais il n’expliquait nullement pourquoi seul le corps des plébéiens était appelé à contribuer à l’équilibre environnemental.

La Révolution culturelle s’était déchaînée contre cette pratique discriminatoire des castes, considérée comme barbare ; mais sa tentative d’éradication par la violence de cette très antique tradition avait fini par favoriser les secteurs les plus rétrogrades du bouddhisme tibétain, qui avaient su organiser une vaste protestation au nom de la défense des traditions. Plus sagement, dans la Chine d’aujourd’hui, le gouvernement tibétain, même s’il les déconseille, n’interdit pas ces rites funèbres.

 

3. Le Tibet et la lutte entre progrès et réaction

Malheureusement, une bonne partie de la gauche semble elle aussi s’être convertie sinon au bouddhisme proprement dit, du moins à l’image hagiographique du dalaï-lama et de la religion qu’il professe. De nouveau la mémoire historique se dissipe. L’horrible réalité du Tibet prérévolutionnaire, la réalité de la théocratie qui réduisait à des conditions d’esclavage ou de servage l’immense majorité de la population, sont refoulées. Les réformes réalisées à partir de 1951 ont indéniablement – donnons à nouveau la parole à des auteurs qu’on ne peut soupçonner de nourrir des sympathies pour Mao Tsé-Toung – « aboli le féodalisme et le servage »17.

Elles ont aboli aussi la théocratie incarnée par le Dieu-Roi qui prétend ou prétendait être le dalaï-lama, réalisant en acte la séparation de pouvoir religieux et du pouvoir civil, qui constitue un des présupposés essentiels de l’État moderne.

Les réformes et la révolution ont signifié pour les masses populaires tibétaines un accès aux droits de l’homme auparavant complètement inconnus, une augmentation très forte des conditions de vie et un prolongement sensible de la durée moyenne de la vie. D’autre part, les critiques portées contre la République Populaire de Chine sont souvent non seulement instrumentales mais aussi contradictoires.

Si un auteur français se plaint du faible développement industriel de la République Autonome du Tibet, qui serait restée substantiellement « au stade proto-industriel »18, voilà qu’un auteur américain, écrivant dans Foreign Affairs, formule des critiques et des recommandations opposées : la « politique de modernisation rapide » et le « développement économique » devraient passer « à un rythme plus lent », de façon à sauvegarder l’identité culturelle tibétaine19. Il est dommage que les États-Unis n’éprouvent pas cette même préoccupation lorsqu’ils envahissent avec leurs marchandises, leurs films, leurs chansonnettes et leurs « valeurs » chaque coin de la terre, y compris le Tibet !

Certes, il est aussi question de droits nationaux. En son temps, la Révolution culturelle, en déclenchant une lutte indiscriminée contre toute forme d’ « obscurantisme » et d’arriération, a traité le Tibet à l’instar d’une gigantesque Vendée à réprimer ou à catéchiser avec une pédagogie hâtive, mise en acte par des « partisans des Lumières » intolérants et agressifs provenant de Pékin et des autres centres urbains habités par les Han. Mais aujourd’hui ces erreurs dues à un extrémisme et un universalisme agressifs ont été corrigées. La récupération des monastères et de l’héritage culturel tibétain va bon train. Même si elle formule des critiques, la revue américaine déjà citée reconnaît que dans la Région Autonome du Tibet, 60 à 70 % des fonctionnaires sont d’ethnie tibétaine ; elle reconnaît que la pratique du bilinguisme prévaut, même si elle demande que l’accent soit mis désormais sur la langue tibétaine20.

Les mêmes journalistes américains majoritairement atteints d’une sinophobie virulente laissent échapper qu’au moins « la politique officielle de la Chine » est une sorte d’ « affirmative action à grande échelle » ; c’est-à-dire qu’elle prévoit une série de discriminations positives en faveur des Tibétains et des autres minorités nationales, en ce qui concerne l’admission à l’université, la promotion à des charges publiques et la planification familiale (qui pour les Han est plus rigoureuse)21.

Comment donc expliquer la campagne persistante contre la République Populaire de Chine ? Si sur le plan international elle visait au démembrement ou au moins à un grave affaiblissement du grand pays asiatique, sur le plan intérieur la révolte de 1959 entendait bloquer le processus d’émancipation des masses populaires et de modernisation de la région.

Ce n’est pas un hasard : encore aujourd’hui, parmi les Tibétains en exil, on peut trouver une présence importante de groupes « fondamentalistes sur un plan spirituel et conservateurs dans le domaine social »22, c’est-à-dire des groupes qui ne se sont pas résignés à la fin de la théocratie et à l’avènement de la séparation de l’Église et de l’État et qui regrettent le féodalisme et le servage.

Mais la position du dalaï-lama est-elle fondamentalement différente ? En 1998, un auteur américain écrivait à son sujet : il « exige la création d’un Grand Tibet, qui inclurait non seulement le territoire qui a constitué le Tibet politique à l’ère contemporaine, mais aussi des aires tibétaines dans la Chine occidentale, dans une très large mesure perdues par le Tibet dès le XVIIIe siècle »23. Mais des minorités ethniques tibétaines vivent aussi au Bhoutan, au Népal, en Inde etc. Où s’arrêterait le remodelage de la géographie politique et quels coûts comporterait-il ? On comprend donc bien que parmi ceux qui s’opposent aux forces dirigées par le dalaï-lama on trouve aussi le Népal, qui ressent « la peur que ces dernières n’entraînent le Nord du Népal dans la sécession »24.

C’est plus que suffisant pour se rendre compte à quel point l’hagiographie construite par la CIA et Hollywood est mensongère. Célébré comme un champion de la non-violence, le dalaï-lama se voit remettre en 1989 le prix Nobel de la paix. Mais lorsque l’Inde procède au réarmement nucléaire, le soutien le plus notable de cette politique s’avère être… le prix Nobel de la paix ! Plus récemment, lorsque certaines universités anglaises ont appelé au boycott culturel d’Israël, en signe de protestation contre l’oppression permanente subie par le peuple palestinien, l’un des premiers à prendre position contre les universités anglaises a été le dalaï-lama (cf. International Herald Tribune du 4-5 août 2007).

On ne le voit jamais lorsqu’il s’agit de soutenir la cause d’un peuple opprimé ou de condamner les guerres d’agression déclenchées par l’impérialisme américain et ses alliés et complices.

Mais le dalaï-lama représente-t-il au moins le peuple tibétain ? Le Livre noir du communisme reconnaît lui-même qu’une analyse historique élémentaire « détruit le mythe unanimiste entretenu par les partisans du dalaï-lama »25. En réalité, depuis la « libération pacifique » du Tibet de 1951, le renversement de l’ancien régime dans cette région et sa transformation politico-sociale se sont heurtés à une résistance acharnée des groupes les plus réactionnaires et des classes privilégiées, mais ont aussi pu compter sur des appuis importants au sein de la société tibétaine.

Même les auteurs majoritairement engagés dans la campagne anticommuniste et antichinoise sont obligés de l’admettre. Les voilà donc qui tonnent contre « le septième Panchen Lama », coupable de s’être alors « subitement rallié au régime communiste ». Les champions de la croisade anticommuniste émettent un jugement encore plus dur sur les « moines », qui en 1951 « n’hésitent pas à souhaiter "que le Tibet soit bientôt libéré" » et qui lancent des appels dans cette direction au Parti Communiste et à l’Armée Populaire de Libération. De tels auteurs ne réussissent pas à s’expliquer le fait que le dalaï-lama qu’ils ont ainsi transfiguré se heurte dès le début non seulement à de larges secteurs populaires, mais aussi aux milieux religieux qui veulent l’ « abattre ».

Les champions de la croisade antichinoise et anticommuniste doivent se résigner. Encore en 1992, au cours de son voyage à Londres, le dalaï-lama fait l’objet de manifestations hostiles de la part de la plus grande organisation bouddhiste en Grande Bretagne, qui l’accuse d’être un « dictateur sans pitié » et un « oppresseur de la liberté religieuse »26.

Même en ce qui concerne la Révolution culturelle, une période indéniablement tragique dans l’histoire de la région, il faut savoir qu’il y avait « aussi des Tibétains » parmi les gardes rouges : des affrontements ont eu lieu entre groupes maoïstes ; « il y eut ainsi, au total, peut-être plus de tués chinois que tibétains »27. C’est le Livre noir du communisme qui attire l’attention sur ce fait, mais conforme à son anticommunisme professionnel, il n’hésite pas à relancer l’accusation de… génocide chinois contre le peuple tibétain !

La logique de l’impérialisme et de l’idéologie dominante est claire. Mais comment expliquer les sympathies dont jouit le dalaï-lama même dans certains milieux de gauche et même dans des cercles qui ont à l’époque salué la Révolution culturelle et qui en parlent encore avec une certaine nostalgie ? Indéniablement, la situation actuelle au Tibet s’est nettement améliorée en ce qui concerne le développement économique, la liberté religieuse et les droits culturels et nationaux des habitants de cette région. Mais cela n’intéresse pas une gauche qui, loin d’apprécier l’effort du Tiers monde pour sortir de l’arriération et de la misère, projette sur lui sa nostalgie et son idolâtrie d’une société prémoderne, dont les citoyens sont « pauvres mais beaux » : une société qui, comme certains monastères désormais insérés dans les itinéraires touristiques, devrait de façon permanente servir de lieu de vacances et de régénération spirituelle périodique loin des pesanteurs d’une opulence à laquelle on ne peut d’ailleurs pas renoncer et même que l’on doit bien préserver.

 

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Notes 1 Lattimore, 1970, p. 119 ; Gernet, 1972, p. 418.

2 Romein, 1969, p. 54.

3 Sun Yat-Sen, 1976, p. 71.

4 Guillermaz, 1972, pp. 237 à 252.

5 Aptheker, 1977, p. 272.

6 Knaus, 1999, pp. 24-5.

7 Knaus, 1999, pp. 215-6.

8 Knaus, 1999, pp. 219 et 223.

9 Knaus, 1999, p. 119.

10 Wikler, 1999.

11 Morris, 1992, vol. III, p. 96.

12 Lopez jr., 1998, pp. 6-7 et 22-3.

13 Morris, 1992, vol. III, pp. 94 et 98.

14 Morris, 1992, vol. III, pp. 96.

15 Lopez jr., 1998, p. 7.

16 Faison, 1999 a.

17 Goldstein, 1998, p. 86.

18 Deshayes, 1997, p. 359.

19 Goldstein, 1998, pp. 89 et 95.

20 Goldstein, 1998, p. 94.

21 Faison, 1999 b.

22 Deshayes, 1997, p. 361.

23 Goldstein, 1998, pp. 86-7.

24 Deshayes, 1997, p. 344.

25 Margolin, 1997, p. 594.

26 Lopez jr., 1998, pp. 193-4.

27 Margolin, 1997, p. 595.