Le Tibet faisait partie intégrante de la Chine quand les Britanniques essayèrent de l’en détacher
par Albert Ettinger, le 8 janvier 2018
Une contre-vérité, même répétée un million de fois, reste toujours une contre-vérité. L’affirmation que le Tibet, État indépendant, fut envahi et occupé par la Chine communiste – une affirmation qui se retrouve dans pratiquement tous les textes occidentaux sur le Tibet – ne fait pas exception à la règle. Elle est d’autant plus absurde qu’en 2008, le Gouvernement britannique fit une déclaration remarquable dans laquelle il récusa toute la politique menée par la Grande-Bretagne au cours du 20e siècle, politique qui visait à établir un Tibet « indépendant ».
L’année 2008, celle des Jeux Olympiques de Pékin, connut une vague d’agitation « Free Tibet » et antichinoise sans pareille. Pas étonnant donc qu’une déclaration officielle britannique qui allait dans un tout autre sens passa presque inaperçue.
En effet, le 29 octobre 2008, le Ministère britannique des affaires étrangères publia sur son site une « communication écrite ministérielle sur le Tibet » dans laquelle il répudie la position britannique adoptée depuis le début du 20e siècle qui ne reconnaissait à la Chine qu’une « suzeraineté » sur le Tibet et non la pleine souveraineté. « Certains se sont emparés de cela pour jeter le doute sur les buts que nous poursuivons et pour prétendre que nous refusons la souveraineté chinoise sur une vaste partie de son territoire. Nous avons fait entendre clairement au gouvernement chinois, et publiquement, que nous ne soutenons pas l'indépendance tibétaine. Comme tous les autres États membres de l'Union européenne, ainsi que les États-Unis, nous considérons le Tibet comme faisant partie intégrante de la République populaire de Chine. »
Le Ministère y déclara encore que « la position prise par le Royaume-Uni au début du XXe siècle sur le statut du Tibet » était « fondée sur les données géopolitiques de l'époque », expliquant que la reconnaissance britannique « de la ‘position spéciale’ de la Chine au Tibet s'est élaborée autour du concept dépassé de suzeraineté » au lieu de celui de souveraineté. Enfin, il n’hésita pas àqualifier cette position d' « anachronique » et de « legs de l'époque coloniale ».
De quoi s’agit-il au juste ? Qu’est-ce qui donne une importance toute particulière à une telle déclaration de la part du Ministère des affaires étrangères britannique ?
De Younghusband à Simla
C’est qu’au cours des 19e et 20e siècles, la Grande-Bretagne avait tout fait pour détacher le Tibet de la Chine et que, pour faciliter cela, les colonialistes britanniques avaient inventé le concept d’une « suzeraineté » de la Chine sur le Tibet qu’ils opposèrent à la pleine souveraineté chinoise. Ils firent ensuite tout pour créer et pour maintenir l’illusion d’un État tibétain indépendant.
Il faut savoir que, durant tout le 19e siècle, les puissances coloniales forçaient la Chine à faire des « cessions territoriales ». En 1887, elle dut reconnaître l'occupation portugaise du port de Macao. En 1895, l’île de Taiwan (Formose) devint japonaise. Dans la seule année 1898, Jiāozhōu (Kiautschou) fut cédé au Reich allemand, Guăngzhōu wān (Kouang-Tchéou-Wan) à la France, Lüshun (Port-Arthur) à la Russie et les nouveaux territoires (Hong Kong) furent cédés à la Grande-Bretagne.
En 1900 eut lieu la honteuse intervention militaire en Chine contre la révolte dite des « Boxers »; Pékin fut prise le 15 août par l'armée internationale des puissances coloniales. Le Japon, la Russie, le Royaume-Uni, les États-Unis, la France, l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie avaient envoyé des troupes.
En 1903, donc peu après, une « expédition militaire » britannique pénétra au Tibet et s’empara de Lhassa. Le 13e dalaï-lama se réfugia en Chine ; le colonel Francis Younghusband imposa aux Tibétains la signature d'une « Convention de Lhassa » qui ratifiait la domination britannique sur le Sikkim et obligeait le Tibet à commercer avec les Britanniques et à n’établir aucune relation avec une « puissance étrangère » sans leur consentement. De plus, le Tibet dut s’engager à payer des « réparations », selon une vraie logique de gangster d’après laquelle la victime doit rembourser au coupable les coûts occasionnés par le crime. Finalement, c’est la Chine qui les paya et les troupes d’occupation britanniques évacuèrent la zone de Yatung qui leur avait servi de caution.
La campagne de Younghusband déboucha sur une présence britannique permanente au Tibet. Des fonctionnaires britanniques étaient stationnés dans de soi-disant « succursales commerciales » (trade agencies) dans la ville de Gyantse au centre, à Yatung au sud ainsi qu’à Gartok à l'ouest du Tibet, sans oublier Lhassa qui reçut une telle succursale à partir de 1936. Bien que qualifiés d’ « agents commerciaux », le rôle de ces fonctionnaires impériaux ressemblait plutôt à celui des Résidents des principautés indiennes : ils devaient recueillir des informations (c’est-à-dire faire de l’espionnage) et inciter les autorités locales à poursuivre une politique profitable aux intérêts britanniques. Tous étaient placés sous le commandement direct du Chargé des Affaires Politiques (Political Officer) du Sikkim.
En 1906, dans un nouveau traité avec la Chine, les gouvernements britannique et russe reconnurent néanmoins une « suzeraineté » de la Chine sur le Tibet. Mais loin de renoncer à ses objectifs impérialistes, le Royaume-Uni les poursuivit de manière plus sournoise et plus insidieuse, en se servant du 13e dalaï-lama, impressionné par le pouvoir britannique au point d’être devenu anglophile, et en essayant de dresser la noblesse tibétaine contre la Chine. Enfin, en 1914, dans le cadre de la Convention de Simla aussitôt rejetée par la Chine, les Anglais réussirent à pousser le « gouvernement » du 13e dalaï-lama à accepter l’annexion britannique du Tibet du Sud.
C’est dans ce contexte que l’exploratrice française Alexandra David-Néel constata : « L'Angleterre est en train de prendre tout doucement le Tibet. Elle a posé le télégraphe jusqu'à Gyantsé, y entretient quelques soldats, a des télégraphistes militaires, des soi-disant agents commerciaux qui sont des agents politiques, dans toute la région. La défaite des Chinois au Tibet sert ses plans ». Dans un article publié le 1er juin 1920 par le Mercure de France, elle dénonça encore les vraies intentions des colonialistes britanniques, soulignant que si la Grande-Bretagne « exige l’ ‘indépendance’ du Tibet », il ne s’agit là que d’un « euphémisme diplomatique signifiant que ce pays deviendra une prolongation de l’Inde, sous le contrôle de l’Angleterre. »
Il n’est jamais trop tard pour bien faire…
En 2008 donc, l’année où les instigateurs et les fantassins de la « Campagne internationale pour le Tibet » se réjouissaient de l’immense attention médiatique suscitée par leurs actions, la Grande-Bretagne fit enfin son mea culpa, non sans prendre explicitement ses distances à l’égard de ceux qui, de nos jours, croient toujours pouvoir s’appuyer sur le passé colonialiste et l’ancienne position de la Grande-Bretagne pour réclamer un Tibet détaché de la Chine.
David Miliband, alors Ministre britannique des affaires étrangères, présenta même très officiellement ses excuses à la Chine « pour le fait que son pays n'ait pas fait cette démarche plus tôt ».
Sans doute les partisans du séparatisme tibétain n’arrêteront pas d’ergoter pour si peu, mais la déclaration du Ministère des affaires étrangères britannique fut claire comme de l’eau de roche :
« Nous avons fait entendre clairement au gouvernement chinois, et publiquement, que nous ne soutenons pas l'indépendance tibétaine. Comme tous les autres États membres de l'Union européenne, ainsi que les États-Unis, nous considérons le Tibet comme faisant partie intégrante de la République populaire de Chine. »