Netanyahu et le dalaï-lama, à nouveau réunis
par André Lacroix, le 31 mai 2014
On se souvient que les funérailles de Nelson Mandela s’étaient déroulées en l’absence remarquée du premier ministre israélien et du 14e du dalaï-lama (voir sur ce site, rubrique Dalaï-lama, sous-rubrique Activités, 20/12/2013). Voilà que ces deux messieurs se trouvent à nouveau réunis, cette fois par leur réaction fort semblable à l’élection du nouveau premier ministre indien. Le 16 mai 2014, le nationaliste hindou Narendra Modi remportait les élections en Inde. Dès l’annonce de cette victoire, les premiers à l’en féliciter ont été Benjamin Netanyahu et … le dalaï-lama.
L’hommage de Netanyahu était attendu. Entre « le seul État démocratique » du Proche-Orient et « la plus grande démocratie » du monde, les liens ne datent pas d’hier, comme le rappelle la journaliste indépendante Aditi Bhaduri : La visite d’État de l’ancien Premier ministre Ariel Sharon en 2002 - le premier et jusqu’à présent seul Premier ministre israélien à se rendre en Inde - était un tournant dans les relations bilatérales. Des liens ont été depuis de bon ton (…) Israël est le plus grand fournisseur d’armes de l’Inde et les deux pays cherchent la coopération dans un éventail de secteurs, notamment l’agriculture (voir site « i24 news » du 17/05/2014).
Et surtout, le BJP, le parti nationaliste hindou de Modi n’a jamais caché son admiration pour l’Etat juif. Durant les dix années où il a dirigé l’État du Gujarat, Narendra Modi s’est fait remarquer non seulement par ses succès économiques, mais aussi par son discours islamophobe.
Au nom de l’hindouisme, il a pratiqué vis-à-vis de ses concitoyens musulmans une politique extrêmement dure qui n’est pas sans rappeler la politique menée par Israël au nom du judaïsme vis-à-vis des populations palestiniennes.
Les 175 millions de musulmans que compte l’Inde ont sans doute quelques soucis à se faire. Car comme l’écrit Christophe Jaffrelot, Directeur de recherche au CNRS, le but [des nationalistes hindous du Gujarat] n’était pas seulement de piller et de détruire des biens privés – même si cela a aussi eu lieu – mais bien de massacrer et de chasser les intrus (…) Il s’agissait bien d’éliminer toute trace de présence musulmane (Les violences entre hindous et musulmans au Gujarat in Revue Tiers Monde, t. XLIV, n° 174, avril-juin 2003, p. 361).
Modi pourrait-il appliquer à l’Inde entière cette politique de purification ethnique qui fait inévitablement penser à celle pratiquée par le gouvernement israélien en Cisjordanie et sur le plateau du Golan ? Peut-être pas : étant donné que l’Inde fait aujourd’hui partie du BRICS multiethnique et multiculturel, Modi sera sans doute obligé de modérer ses pulsions confessionnelles.
Le deuxième personnage à s’être manifesté au soir du 16 mai n’est autre que le dalaï-lama qui, dans une lettre à Modi, l’a félicité de son élection à la tête de la plus grande nation démocratique au monde. Mais l’Inde, c’est aussi un pays où travaillent 40 millions d’enfants et où des dizaines de milliers de paysans, livrés au chantage de Monsanto, se sont suicidés.
Le dalaï-lama n’aurait-il pas pu y faire allusion auprès de Modi, justifiant ainsi sa réputation compassionnelle ? Aurait-il craint d’indisposer les nouveaux dirigeants d’un État qui lui accorde l’hospitalité depuis plus d’un demi-siècle ?
Par ailleurs, que pensent de cet axe bouddho-hindouiste les Hui (musulmans chinois) vivant au Tibet depuis des siècles ? Il convient de rappeler qu’il y a deux grandes mosquées à Lhassa, la verte et la rose : qu’adviendrait-il de la minorité musulmane si ‒ ce qu’à dieu ( !) ne plaise ‒ le Tibet devenait un État bouddhiste régi par le dharma ? Cette hypothèse reste heureusement à l’état de fantasme : tant qu’ils seront protégés par leur statut de citoyens de la République laïque de Chine englobant la Région autonome du Tibet, les musulmans tibétains pourront vivre en paix.
Dernière question : le dalaï-lama n’a-t-il pas déclaré solennellement en 2011 qu’il renonçait à toute activité politique ? Sous sa robe religieuse, il n’a pas cessé pour autant de multiplier les prises de position politiques partout dans le monde. Derniers exemples : le 5 novembre 2013, il se mêle du conflit territorial opposant le Japon et la Chine sur les îles Diaoyou. Le 21 février 2014, il est reçu par Obama.
Le 22 avril 2014, il apporte son soutien au premier ministre conservateur du Japon Shinzo Abe et à … sa politique nucléaire. Ne serait-il pas temps que l’« Océan de sagesse » prenne exemple sur l’ex-pape Benoît XVI en se retirant dans un monastère et en cessant de se produire sur un échiquier géopolitique manipulé par d’autres ?