Tibet : un projet théocratique, autoritaire, ethniciste, dangereux pour la paix ?

(cet article se trouve aussi sur  http://www.jean-luc-melenchon.fr/ ?m=200804)

par Jean-Luc Mélenchon, le 3 juin 2009

Voici une note de plus sur le sujet du Tibet et de la Chine. Bien d’autres sujets me sollicitent et on me fait le reproche de donner à celui-ci une importance exclusive finalement excessive(...). Un bon débat est commencé ici sur un sujet qui n’est pas second.

 

Il s’agit de l’ordre du monde, des progrès de la politique du choc des civilisations et de la manipulation des opinions publiques pour les entraîner dans des logiques d’agression contre les pays dont la puissance même pacifique pose problème a l’empire des États-Unis d’Amérique. Tel est le cas du Tibet qui a vocation à devenir le Kosovo des chinois dans l’esprit des stratèges néo conservateurs. Ce débat est un bon exemple. Un bon cas.

Justement parce qu’il n’est pas simple et que l’on ne trouve pas de feuille toute blanche et de feuille toute noire. Il faut réfléchir et chercher son chemin dans un fouillis de faits et maintenant sous une pluie d’injures. Il est fascinant de voir comment dès qu’une opposition laïque se présente qui met en lumière le caractère ridicule de l’enthousiasme pour un religieux elle est immédiatement démolie sur un registre personnel. Ainsi si l’adjoint à la culture de la mairie de Paris se prononce contre les simagrées pour le Dalaï Lama ce ne serait pas parce qu’il a une opinion et qu’il n’aime pas les chefs religieux obscurantistes mais parce qu’il travaille chez LVMH et que cette entreprise commerce beaucoup en Chine. Bien sûr ce genre de mise en cause personnelle est radicalement à sens unique.

Par exemple personne ne demande à Monsieur Ribbes qui m’insulte ici régulièrement et sur les plateaux de télévision comment il est passé de ses certitudes d’ancien membre du PCMLF (parti communiste marxiste léniniste de France), c’est à dire du culte délirant des maoïstes français des années soixante huit pour la personne de Mao à son culte actuel pour le Dalaï Lama. Et personne ne lui demande si son engagement à quelque chose à voir avec ses fonctions à l’université tibétaine européenne que subventionne l’Union européenne… Et ainsi de suite.

Après une émission sur France trois, des amis m’ont demandé de publier mes arguments sur deux points : ce que je dis à propos de la confusion du religieux et du politique dans la cause du Dalaï Lama et ce que j’affirme sur le caractère dangereux et destructeur de sa revendication indépendantiste.

Le projet politique du Dalaï-lama est théocratique et autoritaire

A de nombreuses reprises dans les débats auxquels j’ai participé mes protagonistes ont pris argument de l’existence d’une « Constitution Tibétaine » dont la lecture suffirait à démonter la vocation démocratique du projet du Dalaï Lama. Le Dalaï Lama lui-même l’affirme dans son discours fondateur devant le congrès des Etats-Unis en 1987 : « … les tibétains en exil exercent pleinement leurs droits démocratiques grâce a une Constitution promulguée par moi-même en 1963… » Il y a eu bien davantage de dit à ce sujet. Cette Constitution serait même « laïque ». C’est ce qu’a déclaré en face de moi le représentant du bureau du Tibet à Paris sur le plateau de Paul Amar ainsi que chacun peut le vérifier en allant sur le site de l’émission « Revue et corrigée ».

Cette Constitution, dite « Charte des tibétains en exil », est consultable sur le site officiel du « gouvernement tibétain en exil ». Cette lecture est indispensable. Elle permet de se faire une idée assez précise de ce que valent les déclarations, la main sur le cœur, de ceux qui débitent sur les plateaux de télévision que le Dalaï Lama est un parfait démocrate, laïque et ainsi de suite. Elle permet de vérifier si mon rejet du caractère théocratique des objectifs des indépendantistes tibétains est un pur a priori sans fondement de ma part, faussé par mes propres présupposés philosophiques et politiques. Et chacun pourra se demander s’il n’est préférable compte tenu des leçons de l’histoire en la matière depuis l’Afghanistan et l’Iran de refuser toujours et quelle que soit la religion, la confusion de la politique et de la religion. A tout le moins la lecture de ce document permet de vérifier que ceux qui parlent de Constitution « démocratique » et même « laïque » mentent sciemment pour manipuler les auditeurs dont ils espèrent qu’ils les croiront sur parole sans aller vérifier ce qu’ils disent. Par contre j’espère fermement que chacun puisse aller vérifier si les citations que je fais sont exactes ou non.

Article 3. Nature de la politique tibétaine : « L’avenir politique tibétain doit respecter le principe de la non-violence et s’efforcent d’être un libre État de la protection sociale avec sa politique guidée par le Dharma »Ceux qui protestent contre l’introduction de la Charria, loi religieuse dans les constitutions islamistes deviennent-ils muets quand il s’agit du Dharma ? Ou bien l’opposition à l’introduction d’une loi religieuse - quelle qu’elle soit- dans une Constitution doit-elle être une règle universelle ? Cette vision religieuse du pouvoir n’est pas une référence isolée dans ce texte « constitutionnel ». Il prévoit notamment que le serment prêté par les Ministres est fait « au nom des Trois Joyaux (Bouddha, Dharma et Sangha) ». Enfin, la Charte se termine par une « Résolution spéciale », votée en 1991, dont voici un extrait qui en dit long sur le manifeste de veulerie féodale que le Dalaï Lama a sollicité de ses ouailles : « Sa Sainteté le Dalaï Lama, le chef suprême du peuple tibétain, a offert les idéaux de la démocratie au peuple tibétain, même s’il n’a pas ressenti le besoin de ces idéaux. Tous les Tibétains, dans le Tibet et en exil, sont et restent profondément reconnaissants à Sa Sainteté le Dalaï Lama, et s’engagent à nouveau à établir notre foi et notre allégeance à la direction de Sa Sainteté le Dalaï Lama, et à prier avec ferveur pour qu’il puisse rester avec nous à jamais comme notre chef suprême spirituel et temporel. »Voila donc ce qu’il en est du caractère « laïque » de la Constitution tibétaine affirmé par le représentant du bureau du Tibet à Paris. Voyons à présent ce qu’il en est de la « démocratie » tibétaine organisée par cette Constitution.

Article 36. Pouvoir législatif. « Tout pouvoir législatif et autorité réside dans l’Assemblée tibétaine. Les décisions de celles-ci requièrent l’approbation de Sa Sainteté le Dalaï Lama pour devenir des lois » Vous avez bien lu. Après une formule péremptoire « tout le pouvoir au parlement » vient cette suite, dans un enchaînement d’un cynisme absolu : pour qu’une « décision » du parlement tibétain devienne une loi, il faut que sa sainteté soit d’accord. Est-ce là l’idéal démocratique et les valeurs universelles que nous sommes censés défendre en défendant le Dalaï Lama et le Tibet des moines ? Et après cela il reste à se demander si l’idéal démocratique dont on se réclame pour protester contre l’actuel statut du pouvoir dans la province autonome du Tibet reçoit une alternative avec la concentration monarchique du pouvoir prévue par cette Constitution.

Article 19. Pouvoir exécutif « Le pouvoir exécutif de l’administration tibétaine sont dévolus à Sa Sainteté le Dalaï Lama, et doit être exercé par lui, soit directement ou par l’intermédiaire d’officiers qui lui sont subordonnés, conformément aux dispositions de la présente Charte. En particulier, Sa Sainteté le Dalaï Lama est habilité à exécuter les pouvoirs ci-en tant que chef de la direction du peuple tibétain : (a) approuver et promulguer les projets de loi et des règlements prescrits par l’Assemblée tibétain ; (b) promulguer des lois et ordonnances qui ont force de loi. (c) conférer les honneurs et les brevets de mérite ; (d) convoquer, ajourner, reporter et prolonger l’Assemblée tibétaine ; (e) envoyer des messages et adresses à l’Assemblée tibétaine chaque fois que nécessaire ; (f) suspendre ou dissoudre l’Assemblée tibétaine ; (g) dissoudre le Kashag (gouvernement) ou destituer un Kalon (ministre). (h) décréter l’urgence et convoquer des réunions spéciales de grande importance. j) autoriser les référendums dans les cas impliquant des grandes questions en suspens conformément à la présente charte. »

Le vocabulaire du Dalaï-lama n'est pas acceptable

Pour fixer la sympathie des opinions occidentales, le Dalaï Lama utilise un vocabulaire qui tente un parallèle inacceptable avec la Shoa. Qui lui dira qu’en Europe nous considérons que la Shoa est un événement radicalement singulier en tant que crime contre l’humanité. Nous n’acceptons pas d’en dissoudre le sens par des usages verbaux qui finiraient par en diluer la signification car cela reviendrait à le minimiser et à relativiser la responsabilité de leurs auteurs et des idéologies qui l’ont rendu possible. La référence permanente aux « six millions de tibétains » chiffre opportunément largement arrondi pour suggérer des parallèles, la référence nauséabonde à une décision des autorités chinoises « d’imposer une « solution définitive » » (les guillemets autour de cette expression sont dans le texte initial du discours devant le congrès américain), l’usage inacceptable du concept de « génocide culturel », à rapprocher de celui de « l’holocauste dont a souffert notre peuple durant les décennies passées » tout cela forme un tout qui ne peut être fait par hasard. Je m’en suis ému en voyant ces mots placés comme ils le sont dans les textes des discours. Mon émotion a grandi en lisant les notices biographiques consacrées à la personnalité de son mentor dans sa jeunesse, monsieur Harrer, puis de l’amitié qu’il lui a conservé jusqu’à sa mort.

Le projet du Dalaï-lama, c'est l'indépendance ethniciste

Un autre « must » des débats est d’affirmer avec les yeux brûlants de compassion pour la misérable ignorance de son interlocuteur : « mais le Dalaï Lama, ne veut pas l’indépendance, pas du tout, il veut juste l’autonomie ». Pour preuve nous sommes renvoyés à sa déclaration à ce sujet devant le parlement de Strasbourg en 1998. De cette façon il ne nous reste plus qu’a dire que c’était exactement le discours des « résistants kosovars » du type du déjà « bon et pacifiste » Ibrahim Rugovar que l’on promenait en son temps sur les plateaux de télé avec son air pitoyable de chien battu, son écharpe attendrissante autour du cou même en plein été, et que l’on sait comment cela s’est fini. On nous réplique alors que nous faisons des procès d’intentions. Il faut donc se référer aux textes des discours du Dalaï Lama. Non seulement à la lettre de ce qui est dit mais à l’esprit de la démonstration. Le texte auquel je renvoie est sur le site : www.Tibet-info.net. Il date de 1987. Mais le site officiel des tibétains donne d’intéressantes précisions pour sa présentation. « Traduite pour la première fois en français, l’allocution du Dalaï Lama au Congrès des Etats-Unis à Washington le 21 septembre 1987 reste toujours d’actualité, comme nous le montrent les essais nucléaires en Inde et les récentes inondations en Chine. L’allocution marque plus encore que la proposition de Strasbourg du 15 juin 1988 la volonté de dialogue et la position du chef spirituel et temporel des Tibétains. » Donc ce texte de 1987 est "toujours d’actualité". Il l’est même "plus encore que la déclaration de Strasbourg" de 1996. Nous voici donc prévenus. Lisons.« Alors que se poursuit l’occupation militaire du Tibet par la Chine, le monde doit garder présent à l’esprit que, bien que les Tibétains aient perdu leur liberté, du point de vue du droit international, le Tibet reste aujourd’hui un état indépendant soumis à une occupation illégale ». « Libéré de l’occupation chinoise, le Tibet continuerait à remplir aujourd’hui son rôle naturel d’Etat-tampon, préservant et favorisant la paix en Asie. » Cette analyse est au-delà d’une simple allusion. L’idée centrale est que le Tibet reste du point de vue légal un Etat indépendant quelle que soit sa situation actuelle.

Il est significatif que dans ce document comme dans tous les autres, le Tibet dont il est question est celui qu’il nomme « le Tibet historique » qui, au total représente le quart de l’actuel territoire de la Chine ! L « Mon désir le plus cher, à moi ainsi qu’au peuple tibétain, est de rendre au Tibet ce rôle précieux, en transformant à nouveau le pays tout entier, c’est-à-dire l’ensemble des trois provinces d’U-Tsang, du Kham et de l’Amdo, en une zone où régneraient stabilité, paix et harmonie. »

L’énormité de cette revendication territoriale, son incroyable agressivité n’est jamais prise en compte dans aucun commentaire. Au delà de son caractère absolument explosif sur le plan géo politique, elle l’est tout autant sur le plan humain. Et c’est le Dalaï Lama qui la pose lui-même quand il dénonce la composition ethnique actuelle des régions concernées. « Dans les régions orientales de notre pays, les Chinois dépassent à présent très largement les Tibétains par le nombre. Par exemple, dans la province d’Amdo où je suis né, on compte d’après les statistiques chinoises 25 millions de Chinois pour seulement 750 000 Tibétains. Même dans la soi-disant Région autonome du Tibet, c’est-à-dire au Tibet central et occidental, les sources gouvernementales chinoises confirment que les Chinois sont à présent plus nombreux que les Tibétains. (…) Aujourd’hui, sur l’ensemble du territoire tibétain, 7,5 millions de colons chinois ont déjà été expédiés, dépassant une population tibétaine de 6 millions. Au Tibet central et occidental, désigné à présent sous l’appellation « Région autonome du Tibet » par les Chinois, les sources chinoises reconnaissent que les 1,9 millions de Tibétains constituent à présent une minorité au sein de la population. De plus, ces chiffres ne tiennent pas compte de l’occupation militaire estimée entre 300 000 et 500 000, dont 250 000 dans la soi-disant Région autonome du Tibet. Pour que les Tibétains puissent survivre en tant que peuple, il est impératif que cessent les transferts de population et que les colons chinois rentrent en Chine. » Je pense que cette dernière ligne doit être lue avec soin. Ce n’est ni plus ni moins que la purification ethnique. Cette conception de la définition des peuples non par leur droits égaux mais par leur ethnie est le propre de tous les ethnicismes et la racine de tous les racismes.

Mais le Dalaï Lama ne réserve pas cette définition au seul cas du Tibet. Il se présente comme un fauteur de guerre en Chine en incluant dans sa revendication ethniciste d’autres provinces chinoises et d’autres minorités nationales dans le même discours. « La politique chinoise de transfert de population n’est pas nouvelle. Elle a déjà été systématiquement appliquée dans d’autres régions. Au début de ce siècle, les Mandchou formaient une race distincte, avec une culture et des traditions propres. Aujourd’hui, il ne reste plus que 2 ou 3 millions de Mandchou en Mandchourie, contre 75 millions de Chinois qui sont venus s’y installer. Au Turkestan oriental, rebaptisé Sinkiang par les Chinois, la population chinoise est passée de 200 000 en 1949 à 7 millions, soit plus de la moitié d’une population totale de 13 millions. A la suite de la colonisation chinoise de la Mongolie intérieure, on dénombre 8,5 millions de Chinois dans cette région pour 2,5 millions de Mongols. »

En application du même raisonnement, le Dalaï Lama demande-t-il à 91 millions de « colons chinois » et à la Chine de rentrer chez eux, c’est-à-dire d’évacuer la Mandchourie, le Sinkiang et la Mongolie ? C’est ce que demandent les porteurs de drapeaux tibétains dans les rues de Paris ? C’est ce que réclament Bertrand Delanoë et les autres zélés de l’enthousiasme de commande pour cet incroyable ethniciste religieux ? Non bien sûr. Ils ne savent même pas ce qui est dans les textes. Ils ne lisent pas, ils ne se renseignent pas. Pour eux, puisque par définition les chinois ont tort, tous ceux qui s’opposent à eux ont raison. Au nom des droits de l’homme on se retrouve occupé à défendre la théocratie, le pouvoir absolu et le nettoyage ethnique. Et le pire c’est que c’est sans le savoir. Aucune leçon du passé afghan, iranien et autres n’a été retenue.

Après cela, et pour en finir avec la référence au discours du Dalaï lama au parlement de Strasbourg (http://www.tibet-info.net/www/Discours-de-Sa-Saintete-le-Dalai.html) où il aurait renoncé à l’indépendance, je vais me contenter de citer le passage de ce discours qui est conscré a cet aspect de la question posée. Je lis qu’il reprend tout simplement l’affirmation du point de droit selon lequel le Tibet est un état indépendant en toute hypothèse. Le Dalaï Lama rappelle que c’est la revendication "irrésistible" du peuple tibétain. Puis il déclare qu’il accepte de discuter sur une base qui met cette revendication. Ce qui n’est certes pas y renoncer. Voyons le texte. D’abord il rappelé la dimension centrale du fait ethnique c’est-à-dire de ce fait que le problème des droits de l’homme n’est pas une question rapportée aux individus mais au peuple en tant qu’entité : « Pour qu’il y ait progrès quant à la question des droits de l’homme au Tibet, il faut que la question du Tibet soit traitée comme un problème en soi. » Après cela, qui, de bonne foi peut dire que les phrases qui suivent sont une renonciation au caractère ethniciste et indépendantiste de la position du Dalaï Lama ? Lisez. « Historiquement et aux termes du droit international, le Tibet est un état indépendant soumis à l’occupation illégale chinoise. Cependant, au cours des dix-sept dernières années, depuis que nous avons établi un contact direct avec les autorités de Beijing en 1979, j’ai adopté une approche modérée de réconciliation et de compromis. Bien que retrouver l’indépendance nationale soit le désir irrésistible des tibétains, j’ai déclaré publiquement à maintes reprises que j’acceptais d’entrer en pourparlers sur des bases qui excluaient l’indépendance. L’occupation prolongée du Tibet présente une menace toujours plus grande pour l’existence même de l’identité distincte tibétaine, nationale et culturelle. Par conséquent, je considère que ma toute première responsabilité est de prendre toute mesure susceptible de sauver de la destruction totale mon peuple et son patrimoine culturel unique. »

Dans la mesure où j’argumente il me semble que les personnes qui continueront à s’intéresser à ce débat pourront argumenter à leur tour pour motiver leurs opinions. Il va de soi que je suis très heureux quand j’apprends que mes textes sortent des frontières ou que mes lecteurs les font connaitre sur leurs propres listes. Comment, sinon, faire vivre un point de vue différent ? Le matraquage médiatique et l’homogénéité en béton armé de la bonne conscience formatée ne nous laisse pas d’autres moyens d’agir. Mais nous avons ce moyen.