Le « Grand Cinquième », placé au pouvoir par les Mongols

par Jean-Paul Desimpelaere, le 15 février 2008

Le premier dalaï-lama a avoir acquis un pouvoir politique au Tibet fut le 5ème. Il a été placé sur le trône par un seigneur de guerre mongol, Gushri Khan, pour régner sur la vallée du Yarlung, de 1642 à 1682.

 

Gushri Khan était venu restaurer l’ordre au Tibet central. En effet, l’école des Kagyupa et l’école des Gelugpa (les Bonnets jaunes, dont les dalaï-lamas successifs étaient les responsables du monastère de Drepung à Lhassa) étaient en guerre civile à cette époque. Ce n'était pas la religion qui était l'objet des frictions entre les deux écoles bouddhistes, mais les terres et les biens. Gushri Khan devait choisir entre les deux écoles (tout comme les grandes puissances actuellement choisissent entre le camp des chiites et des sunnites, par exemple) et il a opté pour les Gelugpa. En tant que bouddhiste fervent, il avait étudié les textes sacrés à Lhassa, ceci grâce à son grand-père qui, au 13ème siècle, avait élu le bouddhisme tibétain comme une des religions d’État (avec l'Islam) en vue de contrôler son vaste Empire.

Le règne du Grand Khan, Kubilai Khan, avait pris fin depuis longtemps quand Gushri Khan, son petit-fils, fit quelques tentatives d'incursion dans l'Empire chinois des Ming (1368-1644)... ce qui valut la restauration de la Grande Muraille sous les Ming. Gushri Khan s'est rapidement rendu et était déjà vassal de l'Empereur des Ming quand il décida de venir remettre de l'ordre au Tibet. Le Tibet et l’actuelle province Qinghai, au Nord du Tibet, ont été le terrain de chasse favori des Mongols pendant plusieurs décennies, aussi Gushri Khan connaissait-il les enjeux des rivalités intestines entre écoles bouddhistes. Cette seconde période mongole au Tibet prit fin lorsque Lajang Khan, un descendant de Gushri, essaya d’imposer un enfant de sa famille comme réincarnation du 6ème dalaï-lama. Le clergé tibétain se révolta et la dynastie chinoise des Qing (1644-1911) renvoya leurs vassaux mongols à leurs prairies et leurs moutons.

Mais revenons à Gushri Khan. Il se déclara « po gyalpo », roi religieux du Tibet et il conféra au 5ème dalaï-lama un titre équivalent à celui de premier ministre pour administrer le Tibet central (non pas le « Grand Tibet »). Ce territoire était plus petit que la Région autonome du Tibet actuelle. Le 5ème dalaï-lama n’avait aucun pouvoir politique au Qinghai (ou Amdo, à l’époque), région natale de l'actuel dalaï-lama, ni au Tibet de l’Est (ou Kham) dont les habitants étaient considérés comme d'irréductibles bandits. L'Amdo et le Kham étaient gouvernés par des chefs de clans locaux. D'ailleurs une rivalité entre les Amdopas et les Khampas persiste encore aujourd'hui.

Par la suite, le 5ème dalaï-lama fut nommé « Grand Cinquième », car il fit construire le palais du Potala et y fit son entrée comme Roi du Tibet, en écartant doucement les descendants de Gushri Khan. Mais en réalité, le guide spirituel de l’école des Gelugpa, depuis ses débuts et encore maintenant, est le supérieur du monastère de Ganden. Ce monastère a été construit au 15ème siècle par Tsongkapa, le fondateur de l'école des Gelugpa, devenue l'école dominante du bouddhisme tibétain. Donc, la plus haute autorité religieuse du Tibet n’est historiquement pas un dalaï-lama, bien qu'en raison de leur position politique importante et surtout en raison de la réputation du 14 ème dalaï-lama et de la tournure internationale qu'a prise la lutte pour l'indépendance du Tibet, le Grand lama responsable du monastère de Ganden est passé à la trappe. Toutefois, en Europe, il y a des courants bouddhistes qui le révèrent encore comme guide suprême du bouddhisme tibétain, en lieu et place du dalaï-lama.

Ganden et son monastère (photo JPDes. 2005)
Ganden et son monastère (photo JPDes. 2005)