Discussion ouverte après la présentation d'Élisabeth Martens, le 20 novembre à Bruxelles, de son essai « La méditation de pleine conscience, l'envers du décor »

par Françoise Penet (participante au débat), le 4 décembre 2021

Je remercie Élisabeth Martens d'avoir répondu à l'invitation de l'APED pour participer à la journée des « 6h pour l’école démocratique » et d'être venue nous éclairer à propos de la présence de la méditation de Pleine conscience dans l'enseignement et dans d'autres secteurs de notre vie publique et privée. Après son exposé que j'ai trouvé passionnant, clair et bien construit, nous pouvons passer aux questions et aux remarques. Quelqu'un veut-il ouvrir la discussion ?

Elisabeth Martens lors de la présentation de son essai
Elisabeth Martens lors de la présentation de son essai

 

A: Oui, moi. J'ai été enseignante pendant toute ma carrière et je suis retraitée depuis déjà une dizaine d'années. Je n'ai jamais eu à faire directement avec la nouvelle vague de « spiritualité » dans les écoles. Mais je l'ai suivie de loin car elle m'a directement interpellée. C’est pourquoi je voudrais ouvrir le débat en remerciant Madame Martens pour le travail de recherche qu'elle a effectué. J'ai lu son livre et il m'a éclairé sur beaucoup de questions que je me posais, surtout concernant l'entrée des pratiques bouddhistes dans les écoles, mais aussi son infiltration dans notre vie quotidienne. Mme Martens raconte une histoire passionnante dans son livre, une histoire qui est malheureusement trop peu connue de la plupart d'entre nous, celle du bouddhisme à partir de son entrée en Occident. Sans cet historique, il n'est pas possible de comprendre l'ascendant que le bouddhisme a pris sur nos vies.

 

B : J'ai aussi lu le livre de Mme Martens avec grand intérêt. Depuis le début de ma carrière, je suis dans l'enseignement. Il y a 30 ans, on se débrouillait avec nos connaissances pédagogiques, on apprenait plus ou moins sur le tas, il n'y avait pas de formation obligatoire. Ces dix dernières années, il y a eu de plus en plus de formations obligatoires. A celles-ci se sont ajoutées des injonctions qui se sont faites pressantes concernant le bien-être des élèves, la bienveillance vis-à-vis d'eux, et on a commencé à parler des bienfaits de la méditation à l'école. J'étais assez sidérée, pour ne pas dire choquée, pourquoi venait-on me parler tout à coup de bienveillance, alors que je suis bienveillante depuis 40 ans? Qui étaient ces gens qui se permettaient de telles intrusions dans notre travail ?

 

C : En effet, avant on ne parlait pas de ce genre de choses dans les écoles et là, tout à coup, c'est comme si on ne pouvait plus s'en passer. Même en classe maternelle où je me sens poussée à faire des pratiques de Mindfulness plutôt que d'apprendre une nouvelle chanson aux enfants, par exemple. Mais si on ne peut plus s'en passer, est-ce parce que les profs sont moins bien formés ou informés, ou parce que les enfants sont plus turbulents et que les jeunes se permettent des remarques et des gestes déplacés? Vers qui faut-il se tourner pour trouver les « coupables » d'une telle dégradation dans les écoles, une dégradation bien réelle? D'ailleurs n'y a-t-il que l'enseignement qui est touché?

 

D: moi, j'ai travaillé pendant plusieurs années dans une multinationale dont je ne dirai pas le nom. L'ambiance au travail se voulait du genre "new management", des grands espaces ouverts, un resto bio, des plantes vertes dans tous les coins, beaucoup de fenêtres et de lumière, des salles de loisir, des équipes assez jeunes et dynamiques, etc. Comme pour beaucoup de mes collègues, au bout de quelques années dans la boîte, le médecin m'a diagnostiqué un burn-out. Ceci pour dire que, même dans une ambiance qui a l'air cool-relax, les exigences du marché sont au-dessus de la capacité de beaucoup d'entre nous. À la longue, j'ai quand même compris que ce qu'il fallait remettre en question n'était pas tant nos capacités au travail, mais le niveau d'exigence demandé. Alors oui, quand des coachs venaient nous proposer des séances de méditation, on en voulait, et même, on en redemandait.

 

A: mais dans ce que vous dites, j'entends que c'est l'entreprise et son but mercantile qui sont la cause de votre burn-out et de ceux de vos collègues, c'est la volonté entrepreneuriale et le profit requis qui vous ont rendu malade.

 

D: oui, et c'est ça l’aberration, l'exigence productiviste est devenue telle que les salariés sont sur les genoux. Et que fait la multinationale? Au lieu d'alléger les charges de travail ou d'engager plus de personnel compétent, elle fait venir des cuisiniers bio, des plantes d'intérieurs et des coachs de Mindfulness. Évidemment, pour elle, c'est moins cher que d'engager du personnel. Mais je voudrais ajouter ici que j'ai aussi grandement apprécié les bénéfices des rencontres Mindfulness au sein de l'entreprise, ceci parce que la pratique de la méditation met dans un état de relaxation qui permet d'exprimer plus librement nos ressentis. C'est un outil puissant qui peut être salutaire aussi pour les employés, pas uniquement pour l'entreprise.

 

C: je voudrais rebondir sur ce que dit Madame, car dans nos classes de maternelle, les pratiques de Mindfulness sont adaptées aux enfants et ils y trouvent un grand bienfait. Suite à ces séances, ils sont nettement plus calmes et on profite de ces moments d’accalmie pour leur apprendre à exprimer leurs émotions agressives ou leur colère ou leurs frustrations sans que cela ne tourne au vinaigre. Je pense que c'est fort important d'apprendre cela dès le plus jeune âge.

 

B: Oui, c'est vrai, mais il y a d'autres méthodes que passer par des pratiques qui relèvent d'une religion.

 

G: La méditation de pleine conscience, ce n'est pas un truc spirituel, cela ne relève pas d'une religion, c'est une technique de rééducation cognitive utilisée avec succès en psychiatrie notamment dans le traitement de l'anxiété, de la dépression, des TOC, etc. Mais il est vrai que si cela permet de soigner de nombreuses maladies autant mentales que physiques, cela peut aussi mener à des expériences spirituelles très fortes, jusqu'à l'illumination. Ce que je veux dire c'est qu'on peut fort bien pratiquer la Mindfulness en dehors de toute religion, et on peut pratiquer le même type de méditation dans un but spirituel, elle devient alors un outil pour atteindre l'illumination.

 

A: dans ce que vous dites j'entends qu'il s'agit d'une pratique qui vient bien du bouddhisme.

 

G: elle vient du bouddhisme mais peut se pratiquer hors du bouddhisme. D'ailleurs dans son exposé, Mme Martens mélange les différentes écoles du bouddhisme, sans doute pour mieux le dénigrer.

 

B: cela se voit que vous n'avez pas lu son livre car elle y distingue clairement les différentes écoles bouddhiques d'Asie et sa transformation quand il est arrivé en Occident, une histoire longue et complexe. Qui plus est, elle prône aussi les techniques méditatives pour traiter les maladies psychosomatiques. Et c'est d'ailleurs ce genre d'effets qu'espèrent les instructeurs de Pleine conscience. Ils gagnent ainsi la confiance des enfants, des profs, des parents, des médecins, des psys, etc. Pour le bouddhisme, c'est tout bénéfice. Mais ne vous y trompez pas, si notre société est globalement malade, c'est bien à cause de la société néo-libérale qui nous bousille et qui, en même temps, bousille la planète. Il y a une énorme offensive des « nouvelles spiritualités » au service du capitalisme, et le bouddhisme en fait partie. La grande précarité et la promiscuité dans laquelle vivent certains élèves sont très impactantes sur leurs comportements et leurs apprentissages. La méditation et le mindfulllness est tellement inadaptée et décalée eu égard à leur situation de vie singulière et qui génère honte, tristesse et colère.

 

D : en fait, c'est aussi le problème de beaucoup de travailleurs actuellement, ils ne savent pas ni pour quoi ni pour qui ils travaillent. Ils se sentent vivre dans un mensonge permanent. Mais beaucoup d'entre eux se posent des questions, ils sentent bien que la vie, ce n'est pas ça, ils veulent faire table rase de ce carcan dans lequel la société les a fourrés. De plus en plus de gens remettent le système en question et veulent autre chose. C'est aussi pour ça qu'ils se tournent vers des pratiques de développement personnel et se retrouvent assis en lotus devant une bougie.

 

G: la méditation de Pleine conscience, c'est gratuit, simple et fait énormément de bien, pas besoin de gourou ou autre commerçant pour l'apprendre, elle aide à garder la tête sur les épaules, à ne pas sombrer dans la folie de ce monde, prendre du recul par rapport à toutes ces horreurs sans tomber dans la dépression, permet de mieux réfléchir, de garder une bonne santé et devrait être enseignée dans les écoles. Quel est l'intérêt d'un tel livre ? Je me le demande. Franchement, ce genre d'entreprise est imbécile ou simplement maligne. Ou alors, Mme Martens est communiste, voire maoïste, et est à la solde du PCC.

 

E: moi, je n'ai pas encore lu le livre de Mme Martens, mais ce qui me frappe dans mon quotidien est la facilité avec laquelle l'iconographie bouddhiste est entrée dans nos vies. On voit des petits bouddhas un peu partout. Le bouddhisme tibétain est le plus pénétrant, sans doute à cause du dalaï-lama qui a son petit succès. Mais finalement, toute cette « positive attitude », n'est-ce pas comme une tartine de confiture qu'on donne à un enfant pour qu'il reste tranquille ? N'a-t-on pas le droit d'aussi exprimer de la tristesse, de la colère ? La Pleine conscience nous arrive de tous les côtés à la fois et je m'étonne de la facilité avec laquelle on y apprend à méditer. Est-ce si facile que ça ? On fait 8 séances de 2h30 et hop, on sait méditer, et la vie devient plus simple, plus heureuse ? Ça a l'air tellement enfantin.

 

F: je peux témoigner de ce qui m'est arrivé lors d'une séance de Mindfulness que j'ai suivie sur Smartphone. Je m'étais inscrite sur une des applications dédiée à la Mindfulness. La première fois que je m'y suis branchée, je me suis positionnée comme m'indiquait la voix féminine, un peu suave, qui semblait venir des nuages. Puis la voix a induit un lâcher-prise en scannant mon corps de haut en bas, elle m'a ordonné de laisser passer les idées, de les observer avec bienveillance, etc. Une sorte d'état hypnotique m'a envahi et sur le moment, je ne me rendais pas compte que les injonctions devenaient des ordres et que les ordres devenaient des petits diktats. Comme dans le Livre de la Jungle, quand le serpent Kaa endort Mowgli. Je me suis réveillée d'un coup au moment où la voix m'a dit : « maintenant, laissez-vous guider totalement, sans peur, vers où je vous mène ». J'ai sursauté et j'ai vu défiler les troupes fascistes en chemise brune. Je veux dire par là qu'une confiance qu'on donne à des gens et à des méthodes qu'on ne connaît pas, cela ne se passe pas en 10 minutes. Cela se gagne, cela prend du temps, cela se construit dans une relation égalitaire. Car une fois qu'on se laisse réellement aller dans la détente, on devient perméable à tous les discours et, ça, c'est très dangereux.

 

A: je saute sur l'occasion pour dire que les exemples d'abus de pouvoir dans les écoles bouddhistes sont aussi nombreux que dans le monde chrétien. Mme Martens revient sur certains exemples de lien entre des lamas tibétains et le 3ème Reich, ou des bonzes zen avec les impérialistes japonais, ou du dalaï-lama avec la CIA, etc. Je suis tombée de haut !

 

B: raison de plus de parler avec justesse et argumentation de cette nouvelle offensive « spirituelle » dans les écoles, il faut que les profs entendent d'autres sons de cloche que ceux des nouveaux prophètes du bien-être.

 

F: Oui, mais il ne faudrait pas oublier que ces pratiques peuvent aussi venir soutenir un travail de transformation intérieure. Ce qu'on peut peut-être reprocher à la Mindfulness est son vernis du « facile », du « vite fait », du « clef sur porte ». Alors que ce que les gens cherchent maintenant est un travail en profondeur, ils veulent être éclairés sur ce qui leur arrive, ne plus participer à la folie de la productivité à tout prix, de la consommation sans mesure. Il y a quelque chose de la vie simple qui revient, de la volonté de comprendre, de prendre soin de soi et des autres. Je pense qu'il est important d'éveiller et de nourrir cette petite flamme.

 

C: certes, mais comment faire dans nos classes si ce n'est par les méthodes de Mindfulness qui sont faciles à apprendre aux élèves et efficaces d'un point de vue thérapeutique ? Y en a-t-il d'autres qui ne soient pas liées au bouddhisme ou à une autre religion ?

 

B: vous disiez vous-même, apprendre une chanson aux enfants. Il n'y a rien de plus calmant que de chanter, cela aère les poumons, le cerveau, et toutes les cellules du corps. Et puis il existe des mouvements fort simples qu'on appelle la brain gym qui visent à rééquilibrer les deux hémisphères cérébraux. Il peut y avoir les auto-massages, le modelage ou le coloriage... ce sont des méthodes simples auxquelles les enseignants ont recours de manière intuitive.

Voir ausi : Méditation de Pleine conscience: le livre

A lire aussi : Présentation du livre « La méditation de Pleine conscience, l'envers du décor »