Qu'en est-il de la liberté de religion au Tibet ?

par Jean-Paul Desimpelaere, le 24 janvier 2010

En août 2007, nous étions au monastère de Litang dans l’Ouest de la province chinoise de Sichuan, à proximité de la frontière tibétaine. Nous y avons assisté à une cérémonie présidée par un Rinpoché qui avait fui en 1956 et avait été invité pour l'occasion. La télévision locale était présente pour témoigner de l’événement... pendant que non loin de là, la police locale arrêtait un émeutier revendiquant le retour du dalaï-lama. La liberté de religion existe-t-elle au Tibet ? C'est un géographe tibétain qui nous répond depuis le Parlement européen !

 

Au 8ème siècle, la région de Litang appartenait au grand royaume des Tubo, elle faisait partie du Kham. Plus tard, la région échappa aux seigneurs tibétains locaux, mais le lien religieux persista. Le monastère de Litang est devenu un bastion de l'ancrage lamaïste dans cette région.

Durant les années cinquante, le monastère de Litang a été un centre de rebellions à répétition. Lorsque, au début des années cinquante, la jeune république populaire chinoise confisqua les biens fonciers et s'appropria les terres privées du Sichuan, le monastère de Litang est devenu un foyer de résistance à l'Armée populaire de libération (APL). En réalité, les lamas du monastère s’insurgeaient du fait que leurs terres et leurs biens (serfs, bétail, bâtiments, etc.) leur étaient confisqués, alors que ceux des monastères voisins, mais situés au Tibet même (en R.A.T.) ne l'étaient pas.

Le gouvernement chinois, conscient du poids politique et du pouvoir du bouddhisme au Tibet, lui avait réservé un statut spécial : les monastères pourraient conserver leur biens et leurs terres pendant un certain temps. C'est ce qui mit le feu aux poudres en 1956, les lamas de Litang se sont rebellés et le monastère fut bombardé par l’Armée Rouge. Les hauts lamas de la région ont alors fuit en Inde. Deux ans plus tard, c'est également du monastère de Litang que des rumeurs quant à des exactions commises par l'APL ont démarré, rumeurs qui se sont répandues comme des traînées de poudre jusqu'à Lhassa et qui ont finalement décidé le dalaï-lama à partir en 1959.

Toutefois, l’attitude tolérante des autorités chinoises vis-à-vis des pratiques religieuses depuis plus d'une décennie a amené un peu d’apaisement dans la région de Litang. C'est pourquoi un des hauts lamas qui étaient parti en 1956 est venu présider une cérémonie religieuse dans le monastère même d'où il avait fui cinquante ans plus tôt. Le monastère était en effervescence !

Pourtant, non loin de là, lors du festival annuel de courses de chevaux, un honorable père de famille s'est soudainement emparé d'un micro pour appeler la foule à exiger le retour du dalaï-lama, le rapatriement de Tenzin Delek, un autre lama important de Litang, etc. Nous avons appris plus tard qu'un de ses neveux était moine au monastère de Litang. Les sanctions furent sévères : le père de famille en a pris pour huit ans de prison, et les moines de Litang se sont vus obligés de suivre des formations d'éducation patriotique.

Nous voici revenu à notre petit confort quotidien et j'apprends qu'une commission du Parlement européen a invité Nyima Tashi, un géographe tibétain, pour donner une conférence à propos des changements climatiques et leurs impacts sur le Haut plateau. Pendant son allocution, il se fait interpeller par le secrétaire d’un membre de la commission au sujet du "manque de liberté de religion au Tibet".

Nyima Tashi a répondu ceci : « Combien d’heures par an consacrez-vous, vous les Européens, à votre religion ? Une heure par semaine dans le meilleur des cas ? Chez nous, c’est souvent plus de la moitié de l’année. S’il ne s’agit pas là de liberté ! En fait, nous devrions plutôt la restreindre. Lorsqu'un cinquième de la population mâle est cloîtrée dans un monastère – l’équivalent de tous les chômeurs masculins chez vous - et est donc improductive, qui leur paye la sécurité sociale et la pension ? L'omniprésence de la religion pour une grande partie de la population est, chez nous, au Tibet, un véritable frein au développement du bien-être des populations. Pourtant les autorités n'interdisent pas les pratiques religieuses, et c'est naturel puisqu'elles font partie du quotidien. Mais quand une institution religieuse se mêle du politique, le gouvernement intervient immédiatement, car cela mène automatiquement à des discours séparatistes. Il se passerait la même chose chez vous, en Europe. Imaginez qu’une communauté musulmane voudrait s’exclure de vos lois, le gouvernement interviendrait tout aussi rapidement. Vous intervenez même de manière plus répressive que chez nous, par exemple par rapport au port du voile des femmes musulmanes ; chez nous, les marques extérieures du lamaïsme sont autorisées partout. »

 

Je n'ajouterai que ceci (source : CT 4/99) : en 1994, 45 ménages interrogés et vivant dans les environs de Lhassa disaient consacrer plus ou moins 145 euros par an à des activités religieuses, ce qui représentait environ la moitié de leurs revenus annuels (!) Cette somme allait pour moitié à un monastère, l'autre moitié était économisée pour servir à des rituels de famille et à des pèlerinages.

au monastère de Seershu au Qinghai (photo JPDes. 2005)
au monastère de Seershu au Qinghai (photo JPDes. 2005)