« Tibet, un autre regard » avant-première

par André Lacroix, le 4 octobre 2023

En préouverture du Festival des Écrans de Chine, au Centre Sèvres dans le 6e arrondissement de Paris, a eu lieu le mercredi 27 septembre la projection en avant-première de Tibet, un autre regard, réalisé par le documentariste Jean-Michel Carré, auteur d’une quarantaine de films et couronné par un vingtaine de prix.
Le film "Tibet un autre regard » version 62mn sera diffusé sur la RTBF TROIS ,le 11/11/23 vers 23H41

 

La projection a été précédée d’une brève introduction par l’éminent sinologue John Lagerwey, directeur de l’Institut Ricci de Paris, et par Michel Noll, réalisateur et producteur de nombreux documentaires, à qui appartiendra aussi la tâche de modérer les débats d’après projection.

 

De gauche à droite : John Lagerwey, Michel Noll et Jean-Michel Carré (photo Thérèse De Ruyt)
De gauche à droite : John Lagerwey, Michel Noll et Jean-Michel Carré (photo Thérèse De Ruyt)

 

En dépit des compromis et des omissions qu'ARTE lui a imposés, Jean-Michel Carré a réussi la prouesse d’intégrer tous les aspects importants de la « Question tibétaine », des réalités mal connues des Occidentaux biberonnés aux mantras de la mouvance « Free Tibet » :

- le fait que le bouddhisme a été introduit au Tibet au 7e siècle par une princesse… chinoise,

- la préexistence d’une religion locale, le Bön, et sa persistance aujourd’hui,

- la misère et l’analphabétisme de l’immense majorité des Tibétains sous l’Ancien Régime théocratique,

- l’absence de toute reconnaissance internationale de l’indépendance autoproclamée du Tibet par le 13e dalaï-lama en 1913,

- l’accord en 17 points de 1951 pour la libération pacifique du Tibet,

- l’accueil du jeune 14e dalaï-lama par Mao Zedong en 1954 et son engagement à moderniser le Tibet,

- les troubles provoqués par les Khampas en opposition à la réforme agraire,

- la fuite du dalaï-lama en 1959 soutenue par la CIA,

- l’ouverture actuelle du Tibet au tourisme et l’amélioration de conditions de vie des habitants,

- la place de l’enseignement dans le Tibet d’aujourd’hui,

- la coexistence pacifique à Lhassa des musulmans et des bouddhistes,

- etc.

Le documentaire, fruit de nombreux contacts sur le terrain et d’une impressionnante collection d’archives, donnant la parole à des experts reconnus, a été salué par des applaudissements d’une bonne partie du public.

Mais, comme il fallait s’y attendre, certains admirateurs et surtout certaines admiratrices inconditionnelles du dalaï-lama n’ont pas hésité après la projection du film à dire tout le mal qu’ils et elles en pensaient : « partial », « prochinois », « antiaméricain », « ne donnant pas la parole aux Tibétains », « ridiculisant le dalaï-lama »…

Objections auxquelles Jean-Michel Carré n’a eu aucun mal à répondre, avec calme. L’accusation de partialité ne tient pas la route ; c’est aussi l’avis de Michel Noll qui connaît bien Jean-Michel Carré et sa déontologie irréprochable.

Parmi les quelques interventions négatives, on a pu relever les propos d’une dame se présentant comme chercheuse, prétendant notamment que le « Grand Bond en Avant » avait provoqué une famine au Tibet – ce qui est formellement contesté par les plus grands tibétologues actuels.

J’ai été particulièrement frappé sinon choqué par la longue attaque de la sinologue Marie Holzman contre la République populaire de Chine, accusée de tous les maux : une diatribe que n’auraient pas désavouée certains néocons d’Outre-Atlantique.

Le reproche de partialité est d’autant moins fondé que Jean-Michel Carré a dû naviguer pendant des années avec une censure qui ne dit pas son nom et que certains points particulièrement touchy n’ont pas été creusés comme les liens de dignitaires tibétains avec le nazisme, ni même évoqués comme le financement passé et présent des séparatistes tibétains ou les dérives sexuelles de certains lamas adeptes de pratiques tantriques…

Mais, même ainsi expurgé, le film de Jean-Michel Carré constitue une formidable approche de la « question tibétaine » et un moyen idéal pour dessiller les yeux d’un grand public. On ne peut que lui souhaiter une large diffusion.