La foi et la mauvaise foi contre les faits et la rigueur

par la rédaction, le 1er juillet 2018

L’article d’André Lacroix, André Comte-Sponville et le dalaï-lama, d’abord publié sur ce site le 12 mai 2018 (http://tibetdoc.org/index.php/politique/mediatisation/452-andre-comte-sponville-et-le-dalai-lama) a été repris le 17 mai sur le site « Investig’Action » et le 23 mai sur le site « Le Grand Soir ». Cette dernière publication a provoqué une série de commentaires d’intérêt varié (voir https://www.legrandsoir.info/andre-comte-sponville-et-le-dalai-lama.html). Nous n’en avons retenu que la polémique entretenue entre d’un côté, un certain « Kang Youwei », partisan inconditionnel du dalaï-lama et de l’indépendance du Tibet et de l’autre côté, Albert Ettinger et André Lacroix dont on connaît l’approche critique de la problématique tibétaine.

Ce long échange est très instructif. Il ne manquera pas d’intéresser un lectorat désireux d’en savoir davantage sur toute une série de points controversés. Pour celles et ceux qui n’auraient pas le temps ou la patience de parcourir toutes ces pages, agrémentées de photos parlantes (l'échange complet, soit 37 pages, est à télécharger au format pdf), en voici un bref aperçu, en guise de « bande annonce » ou de « teaser » comme on dit pour les films.

Ce qui frappe d’abord, c’est le fait qu’un article dénonçant l’alignement d’un éminent intellectuel français, en l’occurrence André Comte-Sponville, sur la pensée unique à propos du Tibet ait provoqué une réaction aussi vive et aussi pugnace de la part d’un autre représentant de cette même intelligentsia. Mais alors qu’André Comte-Sponville a eu l’élégance de faire savoir personnellement à André Lacroix que, faute de temps, il ne pouvait répondre en détail, mais que son propos « n'était pas de soutenir la théocratie tibétaine » (courriel du 13 mai), tout autre a été l’attitude de ce « Kang Youwei », utilisant un nom d’emprunt au service du dalaï-lama.

La polémique qu’il provoque et relance à plusieurs reprises fait penser à un match de boxe avec, dans un coin du ring, un combattant masqué portant des gants truqués et, dans l’autre coin, un opposant qui finit par l’emporter à la régulière. D’un côté, l’utilisation de toutes sortes d’arguments foireux made in Dharamsala et de l’autre, la volonté de ne rien affirmer qui ne soit vérifiable et basé sur des témoignages de première main.

Derrière le pseudonyme de Kang Youwei (un réformateur chinois mort en 1927 !), se cache une plume assez aiguisée, habile à masquer, sous un vernis historique, la pauvreté argumentaire de la propagande dalaïste : foi aveugle dans des sources contestables, approximations, extrapolations fantaisistes, préjugés, contre-vérités, déni des tares de l’Ancien Régime, déni des relations du dalaï-lama avec des personnages fort peu recommandables, procès d’intention, accusations fausses, etc. Dans son mépris pour toute rigueur méthodologique, Kang Youwei tente même de jeter le discrédit sur les travaux de Melvyn Goldstein, celui que Robert Barnett, pourtant peu enclin de complaisance vis-à-vis de Pékin, reconnaît comme « le plus éminent spécialiste de l’histoire politique et de la langue tibétaines au XXe siècle ».

Les travaux qui font autorité (Goldstein, Grunfeld, French, Lopez, etc.), Kang Youwei les écarte d’un revers de la main. Le 28 mai, il répond à André Lacroix : « Vous croyez vos sources et je croirai quant à moi le Dalaï-lama ». Ce qui n’a pas manqué de susciter dès le lendemain ce commentaire d’Albert Ettinger : « Vous admettez de la sorte qu’en fait, c’est votre position à vous qui est biaisée. Le dalaï-lama étant le principal représentant de l’une des deux parties du conflit, il n’est évidemment pas du tout impartial. On ne peut raisonnablement accorder à ses propos le même crédit qu’on doit accorder aux recherches des historiens occidentaux spécialistes du Tibet. »

En fait, pour « Kang Youwei », l’important, c’est moins de tenter de s’approcher de la vérité que de croire sur parole l’Océan de Sagesse et, par tous les moyens, d’appuyer les fantasmes des exilés indépendantistes. Pas étonnant dès lors qu’il ne se montre pas très regardant en matière de rigueur intellectuelle et qu’il préfère se cacher derrière un pseudonyme pour mieux distiller ses propos contestables.

Plutôt que d’accepter une discussion à visage découvert comme l’en ont prié André Lacroix et Albert Ettinger, ce « Kang Youwei » revendique même son anonymat sur Internet « comme un droit réel qu’il convient d’affirmer au XXIème siècle » (28 juin). Encore faudrait-il comprendre que, comme tous les droits, le droit à l’anonymat n’est pas absolu ; encore faudrait-il se demander dans quel contexte et dans quel but ce droit peut s’exercer. Si c’est, par exemple, pour éviter qu’un travailleur victime de harcèlement subisse des représailles d’un petit chef, ou pour permettre à un lanceur d’alerte de divulguer sans trembler des opérations délictueuses commises par sa multinationale, alors, bien sûr, l’anonymat doit être préservé. Mais si, comme on peut le constater chaque jour, c’est pour déverser impunément des tombereaux d’insanités, alors ce droit devrait assurément être à tout le moins encadré sérieusement… Dans le cas qui nous occupe, il est permis de se demander pourquoi ce défenseur acharné du dalaï-lama utilise un pseudo.

Ce « Kang Youwei » serait-il, dans la réalité, un converti au bouddhisme tibétain, ne supportant pas la moindre mise en cause de sa foi de néophyte ? Serait-il un personnage politique en vue, ne voulant pas courir le risque de déplaire à Pékin ? Ou un essayiste, craignant d’être ridiculisé par un critique mieux informé ? Ou un professeur d’université, voulant garder un minimum de crédibilité au sein de son institution ?

Quoi qu’il en soit, nous laissons à Maxime Vivas le soin de conclure ce (trop) long échange au nom du « Grand Soir ». « On s’épuiserait, écrit-il, à répondre point par point aux contre-vérités des partisans du régime théocratique obscurantiste des dalaï lama. Je l’ai fait dans mon livre Le dalaï lama pas si zen (2011, éd. Max Milo). » Ce « Kang Youwei » ayant prétendu que les Français auraient acclamé les Nazis sur les Champs-Elysées, Maxime Vivas poursuit : « Comment peut-on proférer de telles énormités ? En tout cas c’est indicatif sur le crédit qu’il faut accorder au reste. »