Le train vers Lhassa vu par le dalaï-lama

par Jean-Paul Desimpelaere, le 25 février 2009

Depuis le 1er juillet 2006, Lhassa est relié au réseau de chemin de fer chinois. Lhassa est le terminus. Une gare entièrement neuve a été aménagée, située à l’écart du centre-ville, à proximité d’un bourg de banlieue qui tout à coup est devenu un petit centre urbain grouillant de vie.

Chaque jour, quelques milliers de voyageurs et plusieurs tonnes de marchandises circulent dans les deux sens sur la ligne qui relie Xining, la capitale du Qinghai, à Lhassa. Fini les colonnes de camions bruyants, entourées de leur fumée noire de diesel, qui déboulaient sur les cinq axes routiers conduisant jusqu’à Lhassa. Mais le « train le plus haut du monde », de quoi est-il le symbole ?... d’une invasion chinoise ou d’une caravane de pèlerins ? Qui prend le train vers Lhassa ?... ou mieux dit : qui « a la permission » de prendre le train vers Lhassa ?

 

Le 14ème dalaï-lama craint que trop de Chinois ne prennent le train qui conduit à Lhassa. Mais en tant que diplomate divin, il se doit de mesurer ses mots. Toutefois, il ne peut s’empêcher de laisser passer son avis. « A condition qu’il n’y ait pas de motivations politiques dissimulées, le train peut être bénéfique pour le Tibet. Mais s’il accentue encore la colonisation chinoise ou s’il rompt l’équilibre écologique, alors cela deviendra une catastrophe pour le Tibet. », déclare le dalaï-lama (1). De toute évidence, cela implique que, pour le dalaï-lama, le Tibet est déjà une colonie chinoise et que le train ne peut qu’aggraver cette situation.

On pourrait écrire tout un livre à ce sujet, mais est-ce bien utile, puisque ces quelques paroles prononcées à la va-vite par Sa Sainteté ont déjà été « communiées » par une majorité d’Occidentaux et, dès lors, elles ont déjà imprégné l’opinion publique. Ce genre d’interventions sur-médiatisées éclipse, d’un seul coup, les sommes colossales que la Chine a injectées depuis 55 ans dans le développement de la RAT. Par contre, que le dalaï-lama veuille retourner au Tibet avec, dans ses bagages, « le marché libre et la démocratie à l’occidentale » (2), n'est relevé par aucune onde radiophonique occidentale, en aucune langue, cela nous paraît tout à fait normal.

le train vers Lhassa (photo JPDes. 2008)
le train vers Lhassa (photo JPDes. 2008)

S’il en avait la possibilité, le 14ème dalaï-lama renverrait volontiers des millions de Chinois de Lhassa vers Pékin par ce train, or un grand nombre d’entre eux sont établis de longue date au « Tibet ». J’indique « Tibet » entre guillemets, parce que quand le dalaï-lama parle du « Tibet », il s’agit en réalité du « Grand Tibet », ou de ce qu'il nomme le « Tibet historique », parfois le « Tibet culturel ». En tout cas, il s'agit pour lui d'une surface double de celle de la RAT . « Malheureusement » pour Sa Sainteté qui préfère la pureté à la diversité, plusieurs peuples différents cohabitent sur ce territoire depuis des siècles. Le discours d’exclusion ethnique que le dalaï-lama tient régulièrement sur nos antennes sans que cela ne dérange personne, et qui vise à éliminer de « son pays » tant les Chinois Han que les Chinois Hui (pour la plupart des musulmans), me pose question : finalement, qui sont les colonisés et les colonisateurs ?

Bref, le dalaï-lama accepte le train parce qu’il représente une avancée technologique pour le Tibet, mais comme la ligne se trouve entièrement sur son « Grand Tibet », seul le train est bienvenu, mais pas les Chinois (3) . Évidemment, ce serait agréable pour lui de voyager depuis le monastère de Kumbum, situé dans sa région natale près de Xining (capitale du Qinghai), jusqu’à son palais d’été à Lhassa, bien confortablement installé dans un wagon « ruan wo » (couchettes molles). Adieu les périlleuses et glaciales traversées du Haut Plateau, à cheval et à pied, comme cela se passait dans le temps !

Notes :

  1. DPA, une interview d’une agence de presse allemande le 30/6/2006

  2. « Tibet : A Future Vision » de Samdhong Rinpoche, haut dignitaire spirituel, nommé président du parlement des Tibétains en exil par le 14ème dalaï-lama en 1991, et nommé premier ministre en 2001. En 1992, le 14ème dalaï-lama a lui-même écrit les grandes lignes du texte de base de « A Future Vision » et Samdhong Rinpoche a complété les détails. Le texte a été publié en 1996.

  3. DPA, idem