La Chine en ce début du 21e siècle

par André Lacroix, le 1 mars 2013

Il y a quarante ans tout juste, Alain Peyrefitte publiait son célèbre essai « Quand la Chine s’éveillera ». Le moins qu’on puisse dire est que ce réveil a été spectaculaire. Après des siècles de domination européenne et puis états-unienne, on peut sans doute affirmer que le 21e siècle sera marqué par l’hégémonie chinoise.

Un tel bouleversement ne peut manquer de réveiller chez nombre d’Occidentaux la hantise du péril jaune et, pour conjurer leur peur, ils s’empressent de transformer la Chine en repoussoir. Que cet immense pays, confronté à d’énormes problèmes, fasse l’objet de sévères critiques, cela peut se comprendre. Encore faut-il raison garder.

Expo près du nid des J.O. À Pékin en 2008
Expo près du nid des J.O. À Pékin en 2008

Le non-respect des droits de l’homme constitue sans doute le principal chef d’accusation formulé par l’Occident à l’égard de la Chine. On peut, bien sûr, regretter que les progrès en matière de libertés individuelles en Chine, soient trop lents, mais on ne peu nier qu’ils existent.

Il suffit, par exemple, d’acheter le China Daily, en vente dans la Chine entière, pour se rendre compte que la Chine est loin d’être un monolithe figé : du moment qu’on ne critique pas le prééminence du Parti communiste et qu’on ne met pas en cause l’intégrité du territoire, on peut très largement s’exprimer en Chine, sur bien des sujets : on peut, par exemple, critiquer sévèrement la politique économique, dénoncer ouvertement la corruption, on peut même discuter de la peine de mort, etc.

Bien sûr, tout est loin d’être parfait ; mais il ne faut jamais oublier que la Chine, comme de très nombreux autres pays dans le monde, n’a connu ni la Renaissance ni la philosophie des lumières qui ont promu les libertés individuelles ; tout au long de son histoire millénaire fort marquée par le confucianisme, la Chine a privilégié les valeurs sociales et cette tendance s’est naturellement perpétuée avec l’avènement au pouvoir des communistes. (*)


Et, sous le rapport du respect d’autres droits de l’homme fondamentaux que sont le droit à la nourriture, le droit à l’éducation et le droit à la santé, la Chine n’a pas à rougir quand on la compare avec d’autres pays à propos desquels on se pose moins de questions. Depuis la fin des années 1980, la Chine a sorti plus de 400 millions de gens de l’extrême pauvreté ; c’est du jamais vu dans l’histoire mondiale. La faim a été éradiquée : ça fait un cinquième de la population mondiale qui échappe désormais à ce fléau ; ce n’est pas en Chine qu’on verra des « émeutes de la faim ».

La mortalité infantile en Chine est trois fois inférieure à celle de l’Inde, vantée pour son système démocratique. L’OIT (Organisation internationale du Travail) cite deux pays comme modèles en ce qui concerne l’éradication efficace du travail des enfants : le Brésil et la Chine ; le voisin indien compte encore 40 millions d’enfants au travail. Le PNUD (Programme des Nations unies pour le Développement) a mis au point un nouvel indicateur : l’indice de développement humain. Selon cet indicateur, de tous les pays de la région, c’est la Chine qui connaît le développement le plus rapide.


Pour nous Occidentaux, il n’y a pas de démocratie sans multipartisme et sans « élections libres ». Il n’en va pas de même en Chine, où existent de véritables élections au niveau local, élections inscrites dans un système de parti unique qui est généralement accepté par la population. Si la Chine ne connaît pas le suffrage universel, il est inexact de dire que l’opinion publique n’y joue pas un rôle important.

Comme le fait remarquer Chenva Thieu, le « Monsieur Asie » de l’UMP, « on considère en France comme valable un sondage basé sur l’opinion de 800 personnes, à laquelle on fait subir divers ajustements destinés à la faire devenir ‘représentative’… Personne ne remet ceci en question. Que dire alors d’un sondage réel portant sur 75 millions de personnes (les membres du Parti communiste chinois), qui passent une partie de leurs temps de réunions à voter ? »


Autre critique généralement adressée à la Chine : sa politique de l’enfant unique, considérée par beaucoup d’Occidentaux comme une violation inacceptable de la liberté individuelle. Sans conteste, cette politique va provoquer, et provoque déjà, de sérieux problèmes sociétaux.

Mais ceux qui de l’extérieur stigmatisent la Chine doivent savoir que, si cette restriction n’avait pas été imposée par Deng Xiaoping, la population chinoise compterait aujourd’hui 140 millions d’habitants supplémentaires ! Il faut aussi savoir que la politique de l’enfant unique ne s’applique pas aux minorités ethniques, mais seulement à l’ethnie Han (qui représente un peu plus de 90% de la population totale de la Chine).


Un autre reproche adressé à la Chine est sa politique africaine. Bien évidemment, il s’agit ici de realpolitik : le développement économique de la Chine rend nécessaire l’acquisition de matières premières. Mais on comprend difficilement que des pays qui ont colonisé le monde et qui continuent, par leur néocolonialisme, à appauvrir des continents entiers puissent exiger que la politique chinoise n’obéisse qu’à des impératifs philanthropiques…

Dans sa conquête de marchés nouveaux, la Chine bénéficie d’atouts considérables que n’ont pas les pays occidentaux : elle ne traîne pas un lourd passé colonial, elle n’impose pas de conditions hypocrites de respect des droits de l’homme, elle peut se présenter comme un pays qui était encore sous-développé il y a cinquante ans. Et même si elle tire de substantiels avantages du sol africain, la Chine contribue aussi, par ses investissements dans les transports ferroviaires et routiers ainsi que dans les télécommunications, à rompre l’isolement économique de ce continent.


Il est encore bien d’autres problèmes que doit affronter la Chine. Il s’agit de défis gigantesques à la mesure de l’énormité du pays, des défis dont sont bien conscients les dirigeants chinois et qu’ils ont commencé à relever.


Commençons par les problèmes écologiques. Du fait de son industrialisation (trop) rapide, la Chine connaît de terribles atteintes à son environnement : désertification, pollution de l’air et de l’eau, gaz à effet de serre. Ici aussi, les choses sont en train de changer.

Les « émeutes vertes » se multiplient en Chine, qu’il s’agisse de protester contre une tannerie, une raffinerie de pétrole ou une pollution au plomb, etc. Il semble bien que les autorités chinoises aient pris la mesure du problème et soient décidées à se saisir de ce problème à bras-le-corps.

C’est ainsi que le douzième plan quinquennal qui couvre la période 2011-2015 accorde une large place à la lutte contre la pollution et au développement d’une économie verte. Il fixe notamment l’objectif de faire passer de 8 à 11,4% la part d’énergie renouvelable dans la consommation d’énergie primaire. Il prévoit une réduction des émissions de gaz à effet de serre, une diminution de 8 à 10% des émissions de ses polluants majeurs, une augmentation du couvert forestier…


Autre défi de taille : la lutte contre la corruption, une tare qui gangrène la nation. Le nouveau président Xi Jinping s’est engagé à combattre ce fléau. Il a fait de la lutte contre la corruption une priorité de son mandat. Il semble bien décidé à mettre toutes ses forces dans la bataille. L’immense majorité des Chinois compte sur lui pour débarrasser le corps social de ses membres corrompus.


Mentionnons encore de graves problèmes socio-économiques comme le fossé entre les riches et les pauvres, la disparité flagrante entre les villes en plein boom et la campagne à la traîne, la situation alarmante des travailleurs migrants, etc. Ce sera une autre priorité du nouveau gouvernement chinois d’instaurer une plus grande justice sociale entre les individus et les régions. L’avenir nous dira si le modèle chinois, cette curieuse synthèse entre communisme et capitalisme sera à même d’y parvenir.


Reste une autre épine dans le pied du géant chinois : les revendications centrifuges de certaines minorités et singulièrement de la minorité tibétaine. Disons ceci pour faire court : quelles qu’aient été les erreurs du gouvernement chinois quand il a tenté en vain d’extirper le bouddhisme qui tient à la fibre des Tibétains, le problème apparaît bien aujourd’hui aux observateurs sérieux comme essentiellement géopolitique.

Pour ceux qui ont été sur place et qui ont vu l’abondance et la richesse des monastères et l’omniprésence des moines, il est évident que le prétendu génocide culturel est une fable entretenue de l’extérieur par de puissants lobbies. Ce que Pékin combat aujourd’hui – parfois maladroitement, il est vrai –, ce n’est pas la religion, mais l’instrumentalisation de la religion à des fins séparatistes. Si le dalaï-lama veut rentrer au pays, il sait ce qu’il a à faire : mettre fin à son « gouvernement en exil », reconnaître une fois pour toutes que le Tibet fait partie de la Chine, condamner les prétentions indépendantistes de certains de ses adeptes et abandonner toute tentative de restaurer la théocratie.
Moyennant ces conditions, les autorités de Pékin seraient toutes prêtes à l’accueillir comme leader spirituel et seulement spirituel.


Cette petite note n’a pas la prétention de faire le tour de la réalité chinoise. De nombreuse publications existent sur le sujet comme, par exemple, le remarquable essai d’Éric de La Maisonneuve, justement intitulé « Chine. L’envers et l’endroit » (éditions du Rocher, 2012). Il ne faut par ailleurs jamais oublier que la Chine n’obéit pas à la même logique que celle qui a cours en Occident. En Chine, rien n’est tout à fait noir, ni tout à fait blanc. Le yin et le yang sont indissolublement mêlés. La philosophie chinoise est en cela très éloignée de notre mode de pensée cartésien.


Note :
(*) ajout 01/10/2013 : « Sous le gilet rouge, c’est un cœur jaune qui continue à battre » : Cyrille JAVARY, dans « Le discours de la tortue. Découvrir la pensée chinoise au fil du Yi Jing », Paris, Albin Michel, 2003, p. 223, cité par Élisabeth MARTENS dans : « Qui sont les Chinois ? Pensées et paroles de Chine », Paris, Max Milo, 2013, p. 160.