Réactions tibétaines et internationales à la prise de pouvoir communiste en 1951

par Jean-Paul Desimpelaere, le 10 juin 2009

Avant la prise de pouvoir du Tibet par les communistes chinois, en 1951, aucune nation sur terre n’avait jamais reconnu le Tibet comme pays indépendant. Le Tibet était considéré comme un état vassal de la Chine.

 

Le grand voisin méridional du Tibet, l’Inde, qui a gagné son indépendance en 1947, fit savoir par l’intermédiaire du premier ministre Nehru que l’aristocratie tibétaine aurait tout intérêt à reconnaître l’autorité de Beijing. L’Inde considérait la question du Tibet comme une affaire intérieure chinoise et ne souhaitait pas qu'elle devienne internationale. L’Angleterre, qui pourtant occupait une position privilégiée au Tibet depuis quarante ans déjà, se rangea à l’opinion indienne. Mais il restait encore une grande puissance internationale en jeu, c'était les États-Unis

Avant la deuxième guerre mondiale, les États-Unis considéraient le Tibet comme faisant partie de la Chine et ils freinaient même l’avancée de l’Angleterre au Tibet. Mais après la guerre, les États-Unis ont voulu se servir du Tibet et de son aura spirituelle pour former une sorte de « rempart religieux » face au communisme asiatique qui grimpait en flèche (Sibérie, Mongolie, Chine, Corée, Indochine). Cependant, ils étaient isolés, une coalition internationale n’était pas possible comme ce fut le cas pour la Corée. C’est pourquoi les États-Unis optèrent pour une stratégie très précise : d'une part, convaincre le 14ème dalaï-lama de partir en exil et, d'autre part, fournir clandestinement des armes à d’éventuels rebelles tibétains.

Les autorités cléricales et l’aristocratie tibétaines étaient divisées sur la question. Une partie était d’avis qu'il fallait négocier avec la nouvelle autorité chinoise, une autre partie était dans le doute, et une minorité partit en exil dès 1951. Parmi ces derniers, il y avait la famille du 14ème dalaï-lama et sa colossale fortune. Deux frères du 14ème dalaï-lama devinrent immédiatement des agents de liaison des États-Unis, qui représentaient leur seul espoir de soutien.

En 1951, lors d'une « Assemblée Générale », la majorité de l’élite tibétaine vota pour l’accord de « libération pacifique » négocié avec la Chine. Un détail croustillant du « Programme en 17 points pour la libération pacifique du Tibet » : au point 7, le gouvernement chinois avait stipulé qu’« il ne serait pas touché aux fondements de la religion tibétaine ». La délégation tibétaine voulut remplacer le mot « fondements » par le mot « revenus ». Au texte final, une phrase fut ajoutée : « il ne sera pas touché aux revenus des monastères et des temples ».  (1)

Avoir opté pour la voie de « libération pacifique n'empêcha pas l'élite tibétaine de continuer à douter. « Tôt ou tard, nous perdrons notre position privilégiée », se disaient-ils. Ils estimaient que les seuls qui leur promettaient de l’aide, les États-Unis, ne leur en proposaient pas assez. C'est pourquoi Tsipon Shakabpa, le trésorier du Tibet et représentant principal du gouvernement tibétain auprès des États-Unis, demanda aux Américains ce qu'ils feraient si les négociations de paix avec la Chine échouaient, sur quel soutien le Tibet pourrait compter auprès de l’ONU, si les États-Unis étaient prêts à offrir l’asile au 14ème dalaï-lama et à une centaine de personnes de son entourage, s’ils étaient prêts à financer la résistance et leur fournir des armes, s'ils accueilleraient immédiatement le frère aîné du dalaï-lama, Takster Rinpoche (2).

Les États-Unis répondirent qu’ils ne prendraient pas d’initiative auprès des Nations Unies, que l’argent pour l’exil pourrait venir de la fortune du 14ème dalaï-lama, que le lieu d’exil devrait plutôt être proche du Tibet et pas aux États-Unis, que les États-Unis étaient prêts à fournir des armes légères à condition que l’Inde accepte de les laisser passer par son territoire et à condition qu’il y ait réellement des Tibétains qui se rebellent. Cependant Takster put se rendre directement aux États-Unis

On peut comprendre que l’élite tibétaine voyait peu de perspectives dans les propositions des Etats-unis : pas de soutien pour une demande d’indépendance, pas de grande intervention militaire comme en Corée, seulement un exil à perpétuité... ce n'était finalement pas joyeux comme perspective.

Notes :

(1) Voir les correspondances entre les instances tibétaines, les Etats-Unis, l’Angleterre, l’Inde et la Chine, minutieusement citées jour après jour dans « A History of Modern Tibet », Volume 2,page 102, MC Goldstein, University of California Press, 2007

[2] Ibidem, pages 104, 124, 126, 145