Lutte contre le changement climatique sur le Haut-Plateau

par Jean-Paul Desimpelaere, le 1 mars 2010

Ces cinquante dernières années, la température moyenne au Tibet a connu une augmentation de 0,3°C par décennie, ce qui fait aujourd’hui 1,6°C de plus qu’en 1959 (1). Les quatre hivers les plus chauds de ces 35 dernières années au Tibet se comptent tous à partir de l’an 2000. L’Organisation Météorologique Mondiale (OMM) prévoient une augmentation de 1,6°C d’ici 2039, puis encore de 2,4°C supplémentaires d’ici la fin du siècle... dans le meilleur des cas, c'est-à-dire en comptant sur une diminution drastique des émissions de CO2, à l’échelle mondiale. Sans cela, ce sera deux fois plus, soit une augmentation de  8°C.

 

Différentes études de par le monde ont montré que les régions situées à plus de 4000m d’altitude se réchauffent plus vite que le reste de la planète. Les glaciers du Tibet reculent chaque année de 10 à 15 m. Dans la région de la source du Yangzi, au Qinghai, à peu près 200km² de glaciers ont disparu en quarante ans.


Certains lacs se sont étendus malgré les faibles précipitations au Tibet. Ainsi, le lac Serling Tso, le deuxième plus grand lac du Tibet, s’est étendu de 800 km² ces dix dernières années, ce qui implique une réduction d'autant de la surface de pâturage.


Au Tibet, le réchauffement aura une influence positive sur l’agriculture à ces hauteurs rigoureuses, mais la gestion de l’eau risque de poser des problèmes. Les conséquences pourraient aussi bien se compter en nombre d'inondations qu'en pénurie d'eau potable et eau d'irrigation.  


Par ailleurs, il faut aussi compter avec une diminution de l’effet de refroidissant du Haut- Plateau asiatique sur le climat mondial. Si l’effet refroidissant diminue, le réchauffement planétaire ira en s'accélérant.
Dans le nord et dans l’ouest du Haut-Plateau, c'est-à-dire au Qinghai et au Tibet occidental, la hausse des températures est couplée à une baisse des précipitations : en moyenne, le volume de précipitations est 20% moins élevé qu’il y a 50 ans, avec pour conséquence immédiate l'avancée du désert. Le peu d’herbe qui y poussait disparaît, les flancs de montagne deviennent sablonneux. Depuis vingt ans que je me rends régulièrement au Tibet, j’ai pu le constater de mes propres yeux.

Une partie du Haut-Plateau est déserte, ici, en région autonome du Tibet (photo JPDes., 2008)
Une partie du Haut-Plateau est déserte, ici, en région autonome du Tibet (photo JPDes., 2008)


L’élevage accentue encore la désertification. Aujourd’hui, il y a trois fois plus de yacks et de moutons qu’il y a cinquante ans... mais c’est qu’il y a aussi trois fois plus de Tibétains (2) !
Par le passé, les nombreux prédateurs des pikas (espèce de rats de montagne herbivores) étaient chassés pour leur fourrure ou leurs plumes (3), aussi ces petits rats se sont propagés comme des traînées de poudre rasant toute l'herbe des plateaux. Aujourd'hui, la chasse est interdite et les prédateurs reviennent, mais les « pikas » grouillent encore de partout.

 

 Pikas du Tibet (photo du Net)
Pikas du Tibet (photo du Net)


Au Tibet oriental et dans la province du Sichuan, la tendance de la décennie passée fut au contraire à l’augmentation des précipitations, alors que c’était déjà une région fort humide. Les risques d’inondation et de glissement de terrain augmentent. Par contre, les glaciers ne reculent pas pour le moment, ils restent stables.

 

à la frontière entre le Tibet et le Sichuan, il peut faire très humide (photo JPDes., 2007)
à la frontière entre le Tibet et le Sichuan, il peut faire très humide (photo JPDes., 2007)
Ceci n’est qu’un tout petit glissement de terrain (Sichuan, photo JPDes., 2007)
Ceci n’est qu’un tout petit glissement de terrain (Sichuan, photo JPDes., 2007)

Le gouvernement réagit en mettant en route des projets de reboisement, en diminuant les cheptels pour protéger d’énormes superficies d’herbage et en limitant l’industrialisation. On pourrait se dire : « voilà qui est évident ! » Mais la rapidité d'exécution de ces mesures n'est pas aussi évidente à une telle échelle.  Le Haut-Plateau est grand comme cinq fois la France et représente un quart de la surface du territoire chinois, ce qui est énorme. De plus, la Chine est à plusieurs points de vue encore un pays en voie de développement, avec un PNB par habitant inférieur à celui de la Turquie, or des milliards d’euros sont libérés par le gouvernement central pour lutter contre les conséquences du réchauffement climatique (4).


Au Tibet, rien que durant ces six dernières années, un total de 1,7 milliards d’euros a été consacré à la plantation et à l’entretien de zones boisées. Celles-ci couvrent à peu près 100.000 km² (trois fois la Belgique). Du fait que l’état chinois contrôle majoritairement l’économie nationale, il a amassé beaucoup d’argent avec les impôts, du coup il peut se donner des priorités. Si la protection de l’environnement sur le Haut-Plateau est une priorité de l'agenda budgétaire chinois, nous ne pouvons que nous en réjouir, car tous nous en profitons de ce troisième « pôle de la planète ». Une économie libérale voudrait-elle et pourrait-elle mettre en œuvre un programme aussi ambitieux ?


La Chine y trouve évidemment un intérêt, sinon elle ne le ferait pas. Son autonomie alimentaire et en eau dépend du Haut-Plateau. Si elle ne sauve pas le Haut-Plateau, le nord de la Chine sera bientôt face à de graves problèmes. Mais qui vole au secours de la Chine alors que le  Haut-Plateau a un impact certain sur le climat planétaire ? Personne !... au contraire, on entend crier pour l’indépendance du Tibet et pour le retour d'un chef religieux qui, au final, n'est qu'un pion destiné à affaiblir la Chine dans le jeu des super-puissances mondiales. Quelle économie occidentale investirait pour sauver le Haut-Plateau ? À voir l’avancée du désert en Afrique, ce n’est pas chez nous qu'on ouvrirait notre portefeuille !


En cette année 2010, une bande boisée d’une largeur moyenne de 800m sera plantée tout le long de la route de Xigaze à Sakya, sur une distance de 150 km dans l’ouest du Tibet. Cette route sillonnent à une altitude légèrement supérieure à 4000m. Avant, il n’y poussait pas grand chose si ce n'est quelques touffes d'herbe sèche.
 

plantations le long des routes en R.A.T. (photo JPDes., 2008)
plantations le long des routes en R.A.T. (photo JPDes., 2008)

Une autre manière de protéger les arbres du Haut-Plateau consiste à favoriser l’installation de cuves de bio-méthanisation. Ces cuves servent à produire du biogaz à partir des excréments des animaux ; le biogaz remplace efficacement le bois comme carburant pour le poêle. Ces dernières années, ces installations sont distribuées gratuitement aux familles paysannes du Tibet pour les dissuader de couper le bois nouvellement planté.

 

Un brûleur de biogaz dans une maison tibétaine (photo JPDes., 2008)
Un brûleur de biogaz dans une maison tibétaine (photo JPDes., 2008)

D'autres projets de reboisement à grande échelle sont mis en route dans la province du Qinghai qui couvre le nord du Haut-Plateau, ainsi que dans une partie de la province de Gansu au nord-est du Haut-Plateau. Des centaines de kilomètres carrés sont replantés de jeunes arbres ; le projet a été subsidié par le gouvernement central chinois à raison de 140 millions d’euros.


Au cours des années, j’ai pu constaté moi-même que les populations participent à ces projets. Des structures locales sont mises en place, par exemple, des groupes de villageois plantent les arbres, avec une petite compensation financière journalière, alors que ce sont les militaires de l'armée frontalière qui creusent les trous.


Au Tibet même, un peu plus de 100 millions d’euros ont été consacrés au reboisement, rien qu'en 2009. Quand on visite le Tibet, d’année en année, ces efforts de reboisement sont visibles. Lhassa est devenue une ville verte, exception faite de la vieille ville qui est préservée comme patrimoine culturel. Récemment, sur un marché à Lhassa, j'ai pu acheté une ancienne photo du Potala, datant du début du 20è siècle. On peut y voir les larges alentours du palais... mais pas un seul arbre ! (pure invention que de dire que le régime chinois a ratiboisé tout le Tibet depuis 1951 !)

Aujourd’hui, il y a des arbres à Lhassa : 10,5% de zone boisée en ville, ce qui est assez élevé pour une agglomération urbaine d’autant plus qu'elle se situe dans des conditions géographiques et climatologiques extrêmes. Cette année, l’administration de la ville prévoit de planter 13 km² d'arbres supplémentaires qui serviront d'écran contre les tempêtes de sable.

Les efforts de reboisement ne sont pas uniquement visible à Lhassa, mais également dans de nombreuses villes du pays. L'ensemble du territoire chinois est actuellement couvert de 21% de zone forestière,  ce qui n’est pas mal étant donné l’aridité du nord et l’étendue du Haut-Plateau dont une grande partie se trouve au-dessus de 5000m. Ce taux atteind presque les 24% de la Papouasie Nouvelle Guinée qui pourtant se situe en zone tropicale ! Dans les cinq années à venir, la Chine espère y ajouter encore 2%. Vu l'énorme surface du pays et le peu de terres disponibles (7% de la surface arable de la planète pour 20% de la population mondiale), il s'agit d'un réel exploit.


Sur le flanc oriental du Haut-Plateau, dans l'ouest de la province du Sichuan, trop d’arbres ont été abattus durant les années 1960 et 1970. Les  conséquences en sont encore visibles maintenant : les pentes des profondes vallées creusées par les affluents du Yangzi sont désolées.

Dans les années 1980, les interdictions de couper le bois dans ces régions se sont succédées, mais en vain, car avec la libéralisation du marché en Chine, les exploitations allaient bon train et la politique de gestion forestière n'a pas été appliquée de manière suffisamment stricte, comme en témoigne J. Studley (5). Le gouvernement chinois a dû légiférer et, en 1998, une loi a interdit tout abattage. Un système de vérification efficace a été mis en place sur une zone de 45000 km². 

En parallèle, le double de cette surface a encore été destiné au reboisement. Le tout ensemble couvre une étendue de quatre fois la Belgique. Cependant, la Chine doit encore faire face à de nombreux problèmes de gestion forestière.

Notes :
(1) "Journal of Geographic Sciences", Volume 16, 2006, 3
(2) L’affirmation des groupes autour du dalaï-lama qui dit qu’ 1,2 millions de tibétains ont péri suite à l’occupation chinoise est tout bonnement impossible alors que la population à triplé pour arriver à 6 millions d’habitants aujourd’hui, ce que démontrent différents démographes. Mais cette fausse information continue à circuler.
(3) Les chasseurs étaient des Tibétains, pas des chinois Han comme le racontent encore les groupes autour du dalaï-lama. Les actuels gardes-chasses et éventuels braconniers sont également des Tibétains.
(4) Il est difficile d’établir un total précis car presque chaque mois de nouveaux budgets sont alloués. De plus, il y a aussi les budgets régionaux et les projets subsidiés par d’autres provinces et même quelques uns financés depuis l’étranger. Pour 2010, le gouvernement central libère 2,5 milliards d’euros pour l’entièreté du Haut-Plateau (Xinhua, 02/03/09).
(5) Sources : agence de presse Xinhua ; John Studley dans « International forestry review » 1