D'un parc naturel de 400.000 km² à une réserve de 2,5 millions de km²

par Élisabeth Martens, le 21 novembre 2017

Reconnue par le gouvernement chinois comme une priorité dans le vaste plan de protection environnementale que la Chine a engagé ces deux dernières décennies, la réserve naturelle nationale de Sanjiangyuan qui couvre 400.000 km² a été créée en 2003 et a été désignée « Parc national » en 2016. Le gouvernement semble avoir compris l'importance de préserver cette région puisqu'un nouveau projet de création de réserve couvrirait cette fois 2,5 millions de km², la plus vaste réserve naturelle au monde.

 

Dans la réserve de Sanjianyuan (photo JPDes. 2009)
Dans la réserve de Sanjianyuan (photo JPDes. 2009)

 

Sanjiangyuan est une gigantesque réserve naturelle située dans la préfecture de Yushu, province du Qinghai. D'une superficie de 400.000 km², elle est la plus grande réserve naturelle de Chine et la plus élevée au monde (plus de 4000m au-dessus du niveau de la mer). Elle abrite une riche biodiversité où les grands carnivores et les ongulés errent encore librement. Beaucoup d'entre eux - tels que le léopard des neiges, l'ours brun tibétain, l'antilope tibétaine, le yak sauvage, l'âne sauvage tibétain, la gazelle tibétaine et le mouton bleu - sont uniques à la région. Le maintien de ce vaste écosystème est difficile parce que la population locale augmente rapidement ; celle de Sanjiangyuan a doublé depuis 1980.

Sur notre site tibetdoc.org, nous avons déjà parlé plusieurs fois de cette réserve naturelle située au Qinghai. Voir : Tibet : le « robinet de l’Asie » ? / Impact social de la nouvelle ligne de chemin de fer Golmud-Lhassa / De l'espoir pour les antilopes tibétaines.

Entre autres, J-P Desimpelaere, qui relatait ses rencontres avec des familles tibétaines au cours de l'automne 2007, écrivait ceci : « Les dernières décennies ont été témoins d’une désertification de la région de Sanjiangyuan en raison du réchauffement climatique, d'un élevage trop intensif et de la pression démographique. Depuis trois ans, les éleveurs de la région sont invités à quitter la région. Les autorités locales prévoient d’aider plus de 100 000 personnes à déménager d’ici 2010. D'ici une dizaine d'années, la désertification devrait reculer de manière significative. Une centaine de villages sont en passe d’être construits en vue de reloger la population déplacée, chaque famille bénéficiant d'une maison de 70 à 80 m² de surface habitable ainsi que, parfois, d'une serre pour cultiver des légumes. »

Dix ans après, voyons comment a évolué la situation pour ces familles tibétaines.

Mais d'abord quelques rappels...

Les Tibétains ne sont pas à proprement parler des « nomades », mais ils sont semi-nomades, c'est-à-dire qu'ils habitent au village durant la longue saison froide et que, dès que le dégel le permet, ils mènent leurs troupeaux aux pâturages. Dans les années 1990, faute de main-d'œuvre dans les agences gouvernementales, les prairies de cette vaste région de Sanjiangyuan ont été données en gestion aux pasteurs tibétains. Le bétail s'est multiplié sans contrôle, ce qui a amené à une surpopulation de bétail et accéléré le processus de désertification de la région.

Transhumance sur le haut plateau (photo JPDes. 2005)
Transhumance sur le haut plateau (photo JPDes. 2005)

 

Selon Wang Genxu de l'Institut de l'environnement du Qinghai, outre la désertification, l'assèchement des zones humides et des lacs est un autre problème : « De 1976 à 2008, les marais et marécages ont diminué de plus de 32 % » dans la zone de Sanjiangyuan. En 1999, pour protéger l'eau de la Chine et d'une partie de l'Asie du Sud-est, les autorités de Pékin ont mis en œuvre un projet de replantation de l'herbe et des arbres en amont des bassins de ces grands fleuves. Selon le gouvernement chinois, en 2001, 4 200 ha ont ainsi été « reforestés » et les forêts existantes jouissent à présent d'une meilleure protection. Dans l’ancien Tibet, le bois était un privilège réservé à l’élite. Cette tradition est toujours d'actualité puisque ce sont surtout les monastères qui consomment le bois, pour faire la cuisine principalement, mais aussi pour la construction des temples (les piliers sont en bois). Les paysans et semi-nomades tibétains utilisent les bouses de yak séchées comme combustible.

Réserve de bois au monastère de Ganden près de Lhassa (photo JPDes. 2005)
Réserve de bois au monastère de Ganden près de Lhassa (photo JPDes. 2005)

 

Fin 2004, le gouvernement central a engagé un plan de protection et la restauration écologique de la réserve de Sanjiangyuan qui doit marquer le début de la restauration des zones humides du centre du Haut plateau tibétain. Sept milliards et demi de yuans (soit plus de 900 millions de US$) sont engagés dans ce plan qui concerne 223 000 Tibétains dont le quart devrait être évacué. Le déplacement des populations tibétaines vers des villages construits sur mesure a fait couler beaucoup d'encre chez nous, surtout dans les sphères dalaïstes où l'on a crié au scandale : « parquer des populations nomades dans des villages » fait partie de ce que ces milieux dalaïstes ont nommé le « génocide culturel ».

Force est de constater que dans ces villages « clé sur porte », il n'y a plus de puits au milieu du village, mais de l'eau courante qui arrive dans les maisons, il n'y a plus de rues en terre battue, mais des voies bitumées, il n'y a plus de construction en terre cuite et paille, mais en blocs de béton, il n'y plus de bougies le soir pour s'éclairer, mais de l’électricité. Tout cela manque d'exotisme, certes, mais les Tibétains, qu'en disent-ils ?

Un nouveau village en construction entre Xining et Golmud (photo JPDes 2007)
Un nouveau village en construction entre Xining et Golmud (photo JPDes 2007)

 

Eh bien, les avis sont assez mitigés. Certains se plaignent, évidemment, mais c'est surtout par manque de travail ; leurs occupations quotidiennes a tout à coup fait place à un désœuvrement morose. Cependant, la plupart des villageois y voient le bénéfice d'un confort bienvenu et, surtout, ils y découvrent l'occasion d'envoyer leurs enfants à l'école au-delà des années primaires (qui sont obligatoires). Les enfants tibétains ne sont plus systématiquement sollicités pour garder les cochons, les yacks ou les moutons, mais ils peuvent aller à l'école secondaire, puis choisir des études supérieures. Du coup, ces pères et mères de famille espèrent un avenir plus aisé pour leur progéniture.

Et puis, il y a ceux qui s'adaptent, trouvent des avantages, créent du nouveau. Ils regardent autour d'eux et voient ce qui va et ce qui peut être amélioré. Ici, sur le Haut plateau, dans la région de Sanjiangyuan, ce qui est à faire en priorité, c'est protéger l'environnement et la biodiversité. Certains villageois ont compris que cela ne pourrait pas se faire sans eux ; en effet, ils sont assis aux premières loges du spectacle désolant de la désertification du « Troisième pôle de la planète », du recul de 95% des glaciers, de la montée des eaux dans les grands lacs sacrés, des 10% de permafrost qui se dégrade et libère son carbone dans l'atmosphère, etc.

Aussi ces villageois, au lieu de se désoler et de se plaindre, ont regroupé leurs forces et se sont associés à un projet de protection des espèces menacées mené dans la région de Sanjiangyuan par une ONG basée à Pékin, le « Shanshui Conservation Centre ». Cette ONG a été fondée en 2007 par Madame Lü Zhi, professeur de biologie de Pékin, qui a été reconnue pour son travail au sein de la WWF de Chine. Elle s'est engagée dans la protection des pandas géants, des léopards des neiges des gazelles de Przewalski et des ours bruns du Tibet.

Affiche utilisée par des chercheurs de l’Université de Pékin pour la sensibilisation à la protection des léopards des neiges dans les communautés bouddhistes de la réserve de Sanjiangyuan (photo Cambridge Core, 2016)
Affiche utilisée par des chercheurs de l’Université de Pékin pour la sensibilisation à la protection des léopards des neiges dans les communautés bouddhistes de la réserve de Sanjiangyuan (photo Cambridge Core, 2016)

 

 

En même temps, le professeur Lü Zhi souligne l'importance de l'engagement des populations locales dans la gestion des réserves naturelles. D'après elle, ce type de gestion est bénéfique à la fois aux espèces menacées et aux villageois qui intègrent à leur quotidien la notion de durabilité de l'exploitation des terres. En pratique, 16 400 emplois de gardiens du Parc ont été créés (un par ménage), avec un salaire mensuel de 1 800 yuans (environ 260 dollars). La prochaine étape consiste à explorer la possibilité de réduire le pâturage dans les habitats clés pour permettre à la faune - en particulier les grands carnivores tels que les léopards des neiges - de prospérer et de ralentir la dégradation des prairies.

Le village de Yunta près de Yushu a été pionnier dans ce projet pour le Parc de Sanjiangyuan, puis d'autres ont suivi le mouvement. Par exemple, dans la vallée de Tongtianhe située dans la grande réserve naturelle de Hoh-Xil (frontière R.A.T. et Qinghai), c'est tout un réseau de villages qui s'est constitué en association avec le « Shanshui Conservation Centre » afin de protéger l’environnement. Ces expériences ont prouvé qu'avec une formation adaptée, les Tibétains peuvent être d'excellents agents de protection de l'environnement. Le Professeur Lü Zhi espère voir émerger un « nouveau système économique qui reconnaisse et paye la valeur de la nature » et à « Shan Shui », on modélise déjà ces types de systèmes économiques pour le gouvernement chinois.

En Chine, plusieurs grands programmes écologiques ont été lancés ces dernières décennies - peut-être parmi les plus grands programmes financiers au monde - pour financer la protection et la restauration des forêts, des prairies et des zones humides, mais leur efficacité pourrait être améliorée par une planification et une participation scientifiques plus poussées.

C'est dans cette optique que le gouvernement central chinois a élevé la zone de Sanjiangyuan au titre de « Parc national » en 2016. Toute la région est touchée par une désertification galopante due essentiellement au réchauffement climatique (0,4°C sur le Haut plateau par décennie depuis les années 1970, pour une moyenne mondiale de 0,2°C) et accélérée par un pâturage excessif. Or, comme son nom l'indique, elle est le « Jardin des Trois Fleuves » (San Jiang Yuan, en chinois) les plus grands d'Asie : le Jaune, le Yangtze et le Mékong. Ensemble, ceux-ci approvisionnent en eau 1,4 milliards de personnes.

Le gouvernement semble avoir compris l'importance de préserver cette région puisqu'un nouveau projet de création de réserve couvrirait cette fois 2,5 millions de km², soit le double de la surface de la R.A.T. elle-même (qui vaut déjà cinq fois l'étendue de la France) ! Cela protégerait cette immense étendue des excès de l'activité humaine : exploitations minières, barrages, déboisement, pâturage, etc. et limiterait les dégradations dues au réchauffement climatique. C'est dans ce but que s'est constituée une expédition scientifique de grande ampleur sous l'égide de l'Académie des Sciences de Pékin. Elle rassemble une centaine d'experts et se basera sur les rives du lac salé Serling pendant une dizaine d'années en vue d'étudier l'état des écosystèmes du Haut plateau à l'aide de satellites et de drones.

La volonté politique, les intérêts de la société et des populations locales et les valeurs traditionnelles se rencontrent tous dans ces projets environnementaux, ce qui nous fait croire qu'il est possible d'allier la protection des écosystèmes et celle du bien-être culturel et économique des communautés locales.... et nous fait espérer que la coexistence entre les humains et la nature n'est pas seulement un vœu pieux !

Professeur Lü Zhi, à côté de lama Tashi Sangpo, lors du « Nangqen International Wildlife Watch Festival » organisé par le gouvernement local de Nangqen (préfecture de Yushu) et l'ONG 山水-ShanShui, conçu pour protéger la biodiversité de la région (2017)
Professeur Lü Zhi, à côté de lama Tashi Sangpo, lors du « Nangqen International Wildlife Watch Festival » organisé par le gouvernement local de Nangqen (préfecture de Yushu) et l'ONG 山水-ShanShui, conçu pour protéger la biodiversité de la région (2017)


Notes et sources :

https://www.thethirdpole.net/2017/06/09/villagers-protecting-biodiversity-tibetan-plateau/

https://www.chinadialogue.net/article/show/single/en/9654-Source-of-Mekong-Yellow-and-Yangtze-rivers-drying-up

http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/12/08/cop21-le-tibet-n-est-pas-que-le-toit-du-monde-il-est-son-troisieme-pole-et-il-est-aussi-menace-que-les-deux-autres_4826929_3232.html

https://en.wikipedia.org/wiki/L%C3%BC_Zhi_(conservationist)

https://www.cambridge.org/core/journals/bjhs-themes/article/studying-the-snow-leopard-reconceptualizing-conservation-across-the-chinaindia-border/992F367FE853AA276EB4B229FE71A716/core-reader

https://birdingbeijing.com/page/2/

Géo n°464, octobre 2017 « révolution verte sur le Troisième pôle », Pierre Haski