La situation des droits de l'homme pour les minorités ethniques en Chine
par Elisabeth Martens, le 22 mars 2024
Une journée de conférences sur la protection des droits de l'homme en Chine s'est tenue à Genève le 18 mars 2024. Elle était organisée par l'ONG "China Society for Human Rights Studies (CSHRS)" et a donné la parole à plusieurs observateurs et chercheurs chinois et européens. Ceux-ci se sont exprimés tour à tour sur la situation des droits de l'homme en Chine, en particulier celle des minorités ethniques vivant au Xizang (Région autonome du Tibet) et dans la région autonome du Xinjiang (à majorité ouïghoure). Les intervenants ont insisté sur l'importance de la protection de la langue, de la culture et des traditions spécifiques à chacune des minorités ethniques vivant au Xizang et au Xijiang.
Les questions abordées ont couvert différents aspects des droits de l'homme, par exemple pour le Xizang (Tibet), l'importance de conserver en mémoire l'histoire réelle du Xizang (Tibet), mais aussi la protection de la culture et de la langue, l'enseignement et la situation des internats tibétains ; pour le Xinjiang, il a été question de la lutte contre le terrorisme et l'extrémisme et la protection de la mémoire et des droits des victimes du terrorisme.
Liang Junyan, chercheur au Centre d'étude en tibétologie situé à Pékin, a introduit la conférence par un aperçu de l'histoire du Tibet. Il a rappelé que: « avant 1959, le Dalaï Lama possédait 160 000 liang (un liang équivaut à 50 grammes) d'or, 95 millions de liang d'argent, plus de 20 000 bijoux et articles de jade, et plus de 10 000 pièces de soies, satins et manteaux de fourrure précieuse. Sa famille possédait 27 manoirs, 30 ranchs et plus de 6 000 fermiers et bergers travaillait pour lui. En 1959, il y avait 197 familles aristocratiques héréditaires au Tibet, chaque famille possédait quelques centaines d'hectares de terre jusqu'à des dizaines de milliers d'hectares. »
Voir ici son Power point : http://tibetdoc.org/images/2024/Genève_18-03-2024_Liang_Junyan.pdf
Jia Chunyang, directeur du « Center for Economic and Social Security Studies of the China Institutes of Contemporary International Relations », a présenté son étude sur la situation actuelle dans les internats tibétains. Selon les résultats de ses recherches, deux tiers des élèves disent « apprécier, ou grandement apprécier, la vie en internat", 30,56% disent l'apprécier moyennement, tandis que 5,15% disent ne pas aimer vivre dans les internats. Du côté des parents, 71,43% d'entre eux se disent rassurés de savoir leur enfant en internat, tant pour l'éducation qu'ils y reçoivent que pour la sécurité. Pour Jia Chunyang, la situation actuelle des internats tibétains est un indicateur fiable de l'engagement du gouvernement à vouloir assurer une éducation performante à tous les enfants des minorités ethniques en âge scolaire. « Bien sûr, il y a encore des améliorations à apporter, par exemple, au niveau de la qualité des repas, de l'espace des dortoirs, ou du nombre d’événements sportifs, mais globalement, la cotte des internats tibétains est déjà élevée et profite maintenant à un million d'enfants », a-t-il déclaré.
Ensuite, ce fut au tour de Dechen Shak-Dagsay, une célèbre musicienne tibétaine qui a autrefois joué avec Tina Turner, à prendre la parole. Exilée depuis l'âge de trois ans, elle vit actuellement en Suisse. L'année dernière, à 64 ans, elle retournée pour la première fois au Tibet. Elle a évoqué avec émotion son voyage n'en revenant toujours pas qu'à Lhassa, partout autour d'elle, elle entendait parler le tibétain. « C'était comme de revenir à la maison », a-t-elle dit émue. Elle a été impressionnée par l'élimination de la pauvreté et s'est dit sincèrement touchée de constater qu'à présent tout le peuple tibétain a la possibilité de vivre dans la dignité. « Je suis heureuse d'apprendre que les internats tibétains attachent une grande importance à l'enseignement de la langue tibétaine et à la transmission de la culture tibétaine traditionnelle. Il est très important que les jeunes sachent lire et écrire le tibétain et puissent obtenir une expertise académique dans leur langue. J'espère que le système d'internat se poursuivra au mieux », a-t-elle ajouté.
André Lacroix, un universitaire belge qui travaille depuis plus de vingt ans sur divers aspects de la « question tibétaine », a déclaré dans son discours : « En Europe, nous avons l'impression que les Tibétains sont une minorité opprimée, que leurs droits ne sont pas respectés, mais lorsque vous vous rendez au Tibet, une fenêtre totalement différente s'ouvre à vous. En 1999, lors de mon premier voyage au Tibet, je croyais aussi que les Tibétains étaient victimes d'un génocide culturel, mais j'ai été témoin de la richesse des monastères, de l'omniprésence des moines, de la vitalité et de l'abondance des événements culturels, tant religieux que profanes.
De retour en Belgique, j'ai étudié la "question tibétaine" et j'ai réalisé, après avoir lu les meilleurs tibétologues, que le bouddhisme n'était pas seulement la philosophie de compassion et de sagesse comme présentée dans le monde occidental, mais il est aussi une religion à part entière avec les mêmes déviances que les autres religions et que, chez nous, l'image du Dalaï Lama est idéalisée, elle ne correspond pas à la réalité. » Puis André Lacroix a parlé d'un livre qu'il a découvert en 2008 : « The Struggle for Modern Tibet : The Autobiography of Tashi Tsering ». Il l'a traduit en français sous le titre : « Mon Combat pour un Tibet moderne, récit de vie de Tashi Tsering ».
Lors de la conférence, il retrace brièvement la vie de cet érudit tibétain : « Né en 1929, il était destiné à rester un paysan sans instruction mais, dans des circonstances exceptionnelles, il est devenu un érudit et le fondateur de nombreuses écoles sur le plateau tibétain, ainsi que l'auteur d'un dictionnaire trilingue(Tibétain-Chinois-Anglais. J'ai eu la chance de le rencontrer à deux reprises, en 2009 et en 2012. Son histoire est un témoignage de première main de la transition d'une théologie archaïque et médiévale à une société moderne qui mérite d'être beaucoup plus connue. »
Au cours des 71 années qui se sont écoulées depuis la libération pacifique du Tibet, la démocratie consultative a été progressivement intégrée dans tous les aspects de la vie du peuple tibétain. Dans le système socialiste chinois, l'essence de la démocratie populaire veut que le peuple discute de ses propres affaires afin de trouver le meilleur terrain d'entente sur la base des souhaits et des besoins de l'ensemble de la société. Pour cette raison, chaque village élit son chef qui rassemble les souhaits et les plaintes des villageois pour les transmettre au gouvernement régional. Les décisions concernant la région, par exemple la construction d'un internat, d'une usine ou d'une serriculture, se prennent au niveau du gouvernement régional ; les autres décisions concernant le pays, par exemple la construction d'un barrage ou celle d'un mégacentrale photovoltaïque, sont discutées entre le gouvernement central de Pékin et le gouvernement régional de Lhassa. C'est en ce sens qu'on parle d'autonomie de la région tibétaine.
Sources: https://www.eureporter.co/world/tibet/2024/03/19/the-state-of-human-rights-for-minorities-in-china/
"Experts hail Xizang plan for students. Boarding school program benefiting 1 million children in region applauded", by Chen Weihua for China Daily, March 20, 2024