Le Tibet vu et revu par GEO, 5e et dernière partie : un certain regard sur la culture

par André Lacroix, le 2 décembre 2017

Le dossier-Tibet du n° 464 de GEO se termine par deux articles offrant moins de prise à la critique que les précédents. Il s’agit d’un reportage d’Edward Wong sur les imprimeurs de textes sacrés et d’une présentation par Jules Prévost de quelques peintres tibétains contemporains.

 

Chez les imprimeurs du toit du monde

 

Tel est le titre de l’article repris du « New York Times News Service », dû à la plume du grand reporter américain Edward Wong, lequel fait preuve de plus de professionnalisme que ses confrères français, Servant et Haski (voir articles précédents). Son enquête porte sur l’imprimerie du monastère de Dergué Parkhang, situé dans le xian (c.-à-d. district ou canton) de Dêgê de la Préfecture autonome tibétaine de Garzê au nord-ouest de la Province du Sichuan.

Le monastère de Dergué Parkhang (commons.wikimedia.org)
Le monastère de Dergué Parkhang (commons.wikimedia.org)

 

Plus de 320 000 tablettes en bois y sont conservées, vieilles de plus de 260 ans en moyenne. Mais « l’imprimerie, nous dit Edward Wong, ne fait pas que préserver les tablettes xylographiques d’antan : depuis les années 1980, elle en produit de nouvelles » selon des procédés de fabrication complexes, réclamant six mois de travail, depuis la recherche du bois adapté, la découpe, le trempage etc. jusqu’à l’application d’ « une mixture à base d’herbes qui permet d’écarter rongeurs et insectes. » Certains artisans sont spécialisés dans la gravure sur ces planchettes de textes en négatif qui vont être « appliquées sur du papier confectionné à partir de la plante Stellera chamaejasme. » « Les petites mains du Dergué Parkhang ne sont plus des moines, mais de simples laïcs », une soixantaine de personnes. « Tous les jours, poursuit Wong, ils impriment environ 2 500 feuilles de papier, recto verso, des sutras qui seront ensuite distribués à travers tout le plateau du Tibet. » Les textes imprimés en noir ou en rouge « serviront aux vénérables lamas pour enseigner le bouddhisme. »

Le reportage d’Edward Wong invite le lecteur à découvrir ce remarquable type d’artisanat à fonction religieuse – un bel exemple, dit-il, d’« incarnation d’une tradition sacrée » qui, soit dit en passant, dément, photos à l’appui, le mythe du « génocide culturel » encore véhiculé par les adeptes du « Free Tibet ».

Un bémol toutefois : pourquoi Wong (ici wrong…) se croit-il obligé d’ajouter que l’imprimerie est « aussi l’un des deniers lieux où la langue tibétaine est sauvegardée (…) » ? Il s’agit là d’une pure contre-vérité, car l’enseignement du tibétain, dont ne bénéficiaient sous l’Ancien Régime que 5% de la population, est aujourd’hui obligatoire dans les écoles primaires de la RAT et dans les préfectures limitrophes autonomes.

Remarquons encore que le reportage de Wong sur l’imprimerie de Dergué (ou Derge) n’est pas un scoop : Jean-Paul Desimpelaere en avait déjà fait la matière d’un article paru en juin 2010 (http://www.tibetdoc.org/index.php/culture/langue-litterature/231-l-imprimerie-de-derge)

La peinture tibétaine contemporaine

Le dernier article, signé Jules Prévost, du dossier de GEO sur le Tibet est consacré à un survol de la production picturale tibétaine actuelle sous le titre « Six artistes en plein choc des cultures ». Comme le dit justement le cartouche en sous-titre, « ces Tibétains, vivant au pays ou à l’étranger, renouvellent le regard sur leur région. »

Effectivement, l’art pictural tibétain ne se limite plus aujourd’hui à la reproduction de thangkas. Ils sont nombreux les peintres, souvent jeunes, à se frotter aux problèmes du temps, comme Gade, par exemple, dont Jules Prévost nous dit qu’il « s’est fait une spécialité de mélanger codes traditionnels chinois ou religieux tibétains et iconographie occidentale. Une manière pour lui d’illustrer l’influence grandissante de la culture mondialisée en Chine et au Tibet. » Et cette observation vaut pour les cinq autres peintres retenus.

On peut toutefois regretter que Jules Prévost ꟷ que le CFJ (Centre de Formation des Journalistes) appelle « l’apprenti de GEO » ꟷ ait limité sa documentation à la seule collection « Tibet » d’Imago Mundi de l’entrepreneur italien Benetton. Difficile de comprendre qu’il n’ait même pas fait allusion au collectif « Gedun Choepel Artist’s Guild », fondé en 2003, qui tient une place de choix dans le rayonnement de la peinture tibétaine, de Lhassa à Pékin et dans le monde. À conseiller à tous ceux qui s’intéressent à la question, un article abondamment illustré d’Élisabeth Martens sur le site (http://www.tibetdoc.org/index.php/culture/arts-plastiques/16-le-collectif-gedun-choephel-artist-s-guild), mettant en valeur nombre de peintres, jeunes et moins jeunes, comme, par exemple, Dedrun, une artiste tibétaine née en 1976 qui, dans la peinture reproduite ci-dessous, « semble interroger avec humour un thème cher au bouddhisme : l’enfermement dans le Samsara (ou la « Roue des existences »), d’après le commentaire d’É. Martens.

Pour aller plus loin

GEO conclut son aperçu de la culture tibétaine par une page intitulée « Pour aller plus loin » et sous-titrée « Photos, chants traditionnels… notre sélection culturelle pour les amoureux du Tibet. »

Y sont présentés et brièvement commentés :

  • une exposition : Les 21 avatars de Tara (« la mère de tous les bouddhas »),
  • un disque : Le chant des cimes (enregistrements de musique rituelle tibétaine par KinK Gong, alias Laurent Jeanneau),
  • un beau livre : Images du Tibet éternel (photographies de Jacques Borgetto, commentées notamment par Matthieu Ricard),
  • un documentaire : Le yak, c’est chic (sur la création contemporaine d’écharpes de prix en duvet de yak),
  • le site internet de l’association France Tibet (« un contrepoint aux informations que Pékin diffuse sur la version française de sa chaîne »).

Cette dernière notation confirme, si besoin en était, le climat dans lequel baigne la rédaction de GEO.

On regrettera aussi que la sélection opérée fasse l’impasse sur :

  • la littérature tibétaine (voir, par exemple, La splendeur des chevaux du vent de Zhaxi Dawa, Les pavots rouges d’Alai, etc.),
  • le cinéma tibétain (et sa figure de proue, le réalisateur Pema Tseden, couronné de nombreux prix internationaux),
  • le film d’Éric Valli, Himalaya. L’enfance d’un chef dans lequel joue Tsering Dorjee, le « Pavarotti tibétain »,
  • des sites internet alternatifs (voir leur liste sur notre site → Page d’accueil → Liens).

À tous les amoureux du Tibet je conseille vivement de ne pas se contenter du dossier de GEO. Comme disait François Mauriac, « le véritable amour est lucide et déteste de se faire illusion. »