Discorde politique entre le 13ème dalaï-lama et sa famille

par Jean-Paul Desimpelaere, le 11 janvier 2012

Thubten Gyatso, le 13ème dalaï-lama (1876 – 1933) était âgé d’à peine trois ans lorsqu’il fut reconnu comme la réincarnation du précédent dalaï-lama et qu’il fut placé sur le trône. Avec le 5ème dalaï, le 13ème dalaï-lama exerça une forte influence sur le développement politique du Tibet. La première moitié du 20ème siècle fut marquée par la peur du nouveau souffle républicain qui traversait la Chine et, à l’initiative du 13ème dalaï-lama, le Tibet se rangea frileusement derrière les Anglais. Pourtant ce n'était pas de l'avis de sa famille.

 

Le 13ème dalaï-lama est né dans le village de Langdun, à l’Est de Lhassa. Comme il est de coutume lorsqu’un nouveau dalaï-lama est reconnu, sa famille a déménagé à Lhassa et a reçu un titre de noblesse ainsi que des terres agricoles dispersées sur l’ensemble du territoire tibétain. La famille du 13ème dalaï-lama reçut quinze terrains avec un peu plus de milles paysans en servitude. Les terres agricoles du Tibet étaient partagées entre environ deux cents familles nobles et des monastères dont les lamas les plus influents faisaient partie de la noblesse. Entre la moitié et les trois-quarts des terres servaient directement à leur approvisionnement et étaient cultivées par les serfs (1). 

Le restant des terres était destinée à l’entretien des familles paysannes. Selon les normes de l’époque, les nobles s'habillaient et vivaient de manière luxueuse : des vêtements de soie importés de Chine, des bijoux aux pierres précieuses du Tibet et d'ailleurs, d'immenses demeures où circulaient de nombreux serviteurs et décorées de meubles et d'objets provenant d’Angleterre. La famille du 13ème dalaï-lama n’échappa pas à ce mode de vie (2).

L’impératrice douairière Cixi qui à cette époque jouait un rôle important à partir de Pékin, donna à la famille du 13ème dalaï le titre de « Duc de Langdun ».

C'est ainsi que Kunga Wanchuk (1907 – 1981), un cousin du 13ème dalaï-lama, devint Langdun Kunga Wanchuk. En 1928, alors qu’il n’avait que 21 ans, le cousin Kunga fut choisi comme « numéro deux » du Tibet, une sorte de premier ministre ou de premier secrétaire, placé directement sous autorité du dalaï-lama. Dans les archives de Lhassa, on le voit sur une photo tout habillé de vêtements de soie (3). Les descendants de Langdun Kunga Wanchuk vivent encore actuellement à Lhassa.

Après le décès du 13ème dalaï-lama en 1933, Langdun Kunga Wanchuk aurait dû devenir régent du Tibet. Cependant, les dirigeants de l’époque ainsi que certaines familles influentes décidèrent qu’il était trop jeune, trop inexpérimenté et qu’il n’était pas assez emblématique. En réalité, ces familles de la noblesse se poussaient des coudes pour obtenir le poste de régent. Des complots, des arrestations et même quelques meurtres s’en suivirent. Finalement, c'est un tirage au sort qui élut le régent. Déjà depuis le 18ème siècle, la Chine avait imposé la méthode du tirage au sort, justement pour éviter la concurrence qui dégénérait rapidement. C’est ainsi que l’abbé du monastère de Reting devint régent (4).

Durant tout un temps, Langdun Kunga Wanchuk co-dirigea le Tibet avec Reting Rinpoché, mais ce dernier l’écarta et, à partir de 1938, il prit lui-même les rennes du pouvoir (5).

En 1951, lorsque l’Armée Rouge entra à Lhassa, la famille Langdun au même titre que la plupart des familles nobles, soutenait la restauration de la souveraineté chinoise sur le Tibet. Une partie inoccupée de la maison fut mise à la disposition des officiers chinois. La famille communiquait avec ceux-ci par l'intermédiaire des trois enfants Langdun qui avaient étudié l’anglais en Inde. Assurer une éducation à l'anglaise en Inde était prisé par l’élite tibétaine, de même que défendre les intérêts de la Chine au Tibet.

Le 13ème dalaï-lama avait du manœuvrer astucieusement et demander le soutien de l'Empire britannique pour réussir à soustraire le Tibet au contrôle de Pékin pendant 20 à 30 ans durant la première moitié du 20ème siècle.

C'est ainsi que, plus tard, les partisans du 14ème dalaï-lama ont étiqueté les membres de la famille du 13 ème comme « collaborateurs ». De fait, ceux-ci ne se joignirent pas aux mouvements d'insurrection de 1959 et restèrent au Tibet même après l’échec de la révolte. Avec la réforme agraire de 1959, la famille Langdun perdit ses terres, ses serfs et ses valets, mais elle reçut des postes importants. La fille aînée de Langdun Kunga Wanchuk devint vice-directrice de l’opéra traditionnel tibétain. Son fils aîné devint vice-directeur de la TV tibétaine. Quant à Langdun Kunga Wanchuk lui-même, il devint membre de la Conférence consultative et publia des études sur la médecine tibétaine traditionnelle.

Notes :

  1. M. Goldstein, « A History of Modern Tibet, 1913-1951, University of California Press, 1989

  2. Charles Bell, « Portrait of a dalai lama », Collins, London, 1946.

  3. En.tibetmagazine.net

  4. Goldstein, ibid.

  5. Goldstein, ibid.

Au Potala, les appartements des dalaï-lama et de leur famille (photo JPDes. 2005)
Au Potala, les appartements des dalaï-lama et de leur famille (photo JPDes. 2005)