La « déclaration d’indépendance du Tibet » du 13ème dalaï-lama

par Jean-Paul Desimpelaere, le 22 janvier 2011

Le 13ème dalaï-lama a régné sur le Tibet (une surface équivalente à l'actuelle R.A.T.) de 1879 à 1933. Au début du 20ème siècle, constatant le déclin de l’Empire mandchou et l’arrivée des pays occidentaux en Chine, il chercha des alliés puissants capables de garantir son pouvoir temporel et spirituel sur le Tibet.

 

Dans ce but, il s’est rendu à cheval à Oulan-Bator chez les Mongols, à Pékin chez les Chinois, et à Darjeeling chez les Anglais. Il était loin d'être isolé du monde et « ignorant des règles de diplomatie internationale », comme le prétendent les actuels défenseurs de l'indépendance du Tibet (entre autres, Anne-Marie Blondeau, en France). En effet, il avait à son service un conseiller russe et un conseiller japonais, et lors de la chute de l’Empire mandchou, en 1912, il choisit les Anglais pour armer ses troupes et expulser l’armée chinoise du Tibet. Soit dit en passant, cette expulsion s’accompagna du bannissement ou de la lapidation des femmes tibétaines mariées à des Chinois (voir l'ouvrage de Laurent Deshayes (1)). 

Pour resituer les événements dans leur contexte, il faut se souvenir qu'en 1910, l’armée mandchoue est entrée au Tibet et est arrivée à Lhassa pour « y restaurer l’ordre des marchés ». Craignant pour sa position et pour sa vie, le 13ème dalaï-lama s’est réfugié temporairement à Darjeeling. De retour au Tibet en 1913, il écrivit une lettre à tous les fonctionnaires tibétains, moines et laïques, pour leur faire savoir qu’il était revenu et que le pouvoir lui appartenait.

Cette lettre, datée de février 1913, dit ceci : « J’ai quitté Lhassa avec mes ministres par la frontière indo-tibétaine, en espérant rendre clair à l’Empereur mandchou que la relation existant entre le Tibet et la Chine avait été celle de religieux à protecteur, qu’elle n’avait pas été fondée sur la subordination de l’un à l’autre. Il n’y avait nul autre choix pour moi que de franchir la frontière, car les troupes chinoises me suivaient avec l’intention de me prendre mort ou vif ». Sa lettre traitait encore de lutte contre la corruption, de paix et de « la remise en ordre du système intérieur du Tibet ». Il voulait conserver le système féodal tel qu’il était au Tibet et n’avait aucune confiance dans les idées révolutionnaires de la toute jeune République de Chine.

Quand il parlait du « Tibet » ou de « son pays », il s’agissait bien du Tibet dans sa forme actuelle (R.A.T.), puisqu'il écrit : « les autorités chinoises au Sichuan et au Yunnan se sont efforcées de coloniser notre pays ». Or le 13ème dalaï-lama avait envoyé ses troupes pour refouler l'armée chinoise au-delà du Yangzi, c'est-à-dire la frontière actuelle de la Région autonome du Tibet. La notion de « Grand Tibet » n’est apparue qu’une demi-année plus tard, lors de la conférence de Simla. Dans le texte proposé par le 13ème dalaï-lama à cette conférence, on lit clairement : « en nous basant sur les cartes géographiques britanniques, nous voulons garder le Tibet, auquel nous voulons ajouter une zone-tampon ». Or les cartes britanniques dessinaient les frontières du Tibet comme elles le sont actuellement pour la R.A.T. Le « Grand Tibet » est le Tibet auquel sont rajoutés le Qinghai, une partie du Gansu, du Sichuan et du Yunnan Cet ensemble forme la dite « zone-tampon ».

Bref, avec cette « lettre de déclaration d’indépendance », le 13ème dalaï-lama a voulu restaurer son autorité sur le Tibet auprès des fonctionnaires locaux, après trois ans d’absence. Il s'est allié à des puissances extérieures (Angleterre et Japon, entre autres) dont il n’était pas le maître spirituel mais desquels il recevait des armes. Il n’était plus question ici d’échange entre guide spirituel et protection temporelle, bien qu'auparavant, ce type d'échange a pu caractériser les relations entre les Tibétains et les Mongols, puis entre les Tibétains et les Mandchous.

Cette lettre écrite par le 13ème dalaï-lama en février 1913 ne vaut pas comme déclaration d’indépendance du Tibet puisqu'elle n'a pas été envoyée à ses alliés anglais de l’époque, ni au président chinois, ni à aucun membre de la communauté internationale, m^me si dans le texte, on lit : « nous sommes une nation petite, religieuse et indépendante ». C'est cette phrase que les défenseurs actuels de l’indépendance du Tibet mettent en exergue, affirmant que le 13ème dalaï-lama ignorait les « règles de la diplomatie internationale »... c’est franchement le dénigrer ! Il avait fait de nombreux voyages en Asie orientale et était bien conscient de ces règles. Les Anglais, qui ont exercé une certaine tutelle sur le Tibet pendant cette période, en témoignent d'ailleurs aussi.

Note :

  1. « Histoire du Tibet », Laurent Deshayes, Fayard, 1997, page 267