Un village situé à 100 km de Lhassa

par Jean-Paul Desimpelaere, le 22 février 2008

En août 2005, notre petit groupe de voyage a été reçu par le chef d'un petit village situé à 100km de Lhassa, le long de la voie ferrée encore en construction, et qui reliera bientôt Golmud à Lhassa. Le village compte 286 personnes répartis en 64 familles.

 

 

Sur le talus du chemin de fer (photo JPDes., 2005)
Sur le talus du chemin de fer (photo JPDes., 2005)


La surface cultivable est d’une soixantaine d’hectares pour tout le village, ce qui revient à peine à un hectare par famille. Trente ans auparavant, le village disposait encore de deux hectares par famille, parce qu’à l’époque, le nombre d’habitants était la moitié de celui d’aujourd’hui.

Toutefois, même avec une superficie réduite, le rendement agricole a dû augmenter pour pouvoir nourrir la population croissante. Actuellement, vingt-cinq hectares sont réservés à la culture de l’orge et du froment d’hiver, sept hectares à celle du colza, et deux aux pommes de terre. Autour des maisons, les villageois cultivent des légumes pour leur propre consommation. Le village gère un troupeau de 320 bêtes, yacks et moutons confondus. L’été, quelques villageois les emmènent paître dans les montagnes. Les travaux des champs sont organisés en commun.

Après le retrait d’une partie des récoltes pour l’usage de chaque famille, le surplus des moissons est rassemblé pour en faire une seule vente. Le bénéfice de la vente est lui aussi partagé entre les familles, en tenant compte de la surface des champs. Dans ce village-ci, elle est pratiquement identique pour toutes les familles. Actuellement, le bénéfice moyen par famille est de 200 euros par an.

Une partie du bénéfice de la vente est mise de côté avant le partage, en vue de faire des achats groupés. En quoi consistent-ils ? Il ne s’agit pas de semences, les agriculteurs en produisent eux-mêmes, ni de semences « améliorées » qui, elles, sont offertes par les autorités locales. Le village achète parfois des engrais chimiques car le fumier « bio » est difficile à ramasser, le bétail circule la plupart du temps en liberté. Dans le passé, les bouses de yaks servaient aussi au chauffage, mais aujourd’hui, le village est passé au charbon.


Les petites infrastructures villageoises sont également gérées en commun et nécessitent parfois des dépenses. Par exemple, un dispensaire est destiné à l’aide médicale urgente ; il faut de temps en temps renouveler le stock de médicaments et entretenir le local. Les achats groupés peuvent aussi concerner la construction d’un nouveau stupa ou d’un nouveau temple (ce qui fut fait au village, il y a quelques années), ou le renouvellement des canaux ou tuyaux d’irrigation, etc.

 

canal d'irrigation fraîchement rénové (photo Jpdes., 2005)
canal d'irrigation fraîchement rénové (photo Jpdes., 2005)


Mais comment tout ceci est-il organisé ? Le chef du village est élu par les villageois pour une période de six ans. C’est lui le « manager », comme il se plaît à le dire lui-même. Pour lui, il s’agit d’organiser l’économie générale du village, de partager les bénéfices, de dispatcher les tâches communes.

Lors de conflits au sein du village, il doit aussi jouer le rôle de médiateur. Et puis, il est la personne de liaison entre les villageois et les autorités tibétaines. En R.A.T., les chefs de village d’un même canton se réunissent régulièrement pour échanger leurs expériences et s’informer mutuellement sur les initiatives récentes prises par les autorités régionales, par exemple, les nouvelles possibilités de formation pour les agriculteurs.

le chef du village (photo JPDes., 2005)
le chef du village (photo JPDes., 2005)


Lors de la construction du chemin de fer, les villageois qui avaient participé à l'élévation d'un talus pour poser la voie, ont reçu un salaire mensuel de 170 euros ; idem pour une participation au projet de reboisement sur les flancs de montagnes aux environs, avec, en prime, une parcelle de terre pour y pratiquer de la sylviculture quand les arbres auront atteint leur maturité. Ces travaux occasionnels viennent arrondir le maigre bénéfice des cultures (200 euros par an).

Deux familles sur trois ont pu s’acheter un petit tracteur et quatre familles du village possèdent aujourd’hui un camion. Par contre, il n’y a ni moto, ni chevaux au village. Pour aller à l’école primaire, les enfants doivent marcher jusqu’au village voisin qui, heureusement, n’est pas très éloigné. Les enfants de secondaire restent la semaine à l’internat de Tulun, chef-lieu du canton.


Quand je demande au chef du village ce qu’il projette pour les années à venir, la réponse est immédiate : « construire de meilleures maisons avec ce que va rapporter la petite fabrique nouvellement installée ». En effet, un Chinois de Hong Kong a fait construire une petite usine de biscuits dans la vallée, non loin du village.

Les biscuits seront fabriqués à partir de l’orge produit sur place. Quelques villageois trouveront un emploi dans la biscuiterie et, de plus, le village pourra vendre son orge à un prix plus élevé.

la petite usine de biscuits s'installe (photo Jpdes, 2005)
la petite usine de biscuits s'installe (photo Jpdes, 2005)