Au sujet de la visite du dalaï-lama à Strasbourg :
Quand le religieux cache le business et la provocation politique
par Albert Ettinger le 16 septembre 2016
Mais où est donc passé Benoît XVI ? On se souvient : en 2013, Joseph Aloisius Ratzinger a renoncé à son poste de représentant de Dieu sur terre et de souverain de l’État du Vatican. Il s’est retiré dans un monastère du nom de « Mater Ecclesiae » et a déclaré vouloir être appelé dorénavant « Père Benoît », en toute modestie. Depuis lors, il n’a fait que de très rares apparitions publiques, à l'occasion de services religieux et de la remise de diplômes universitaires honorifiques. Dans le seul discours qu’il y a tenu, il a parlé de musique sacrée.
Le dalaï-lama lui aussi a officiellement renoncé, il y a plusieurs années, à toutes ses fonctions politiques, les laissant e. a. à son « premier ministre » Lobsang Sangay (un digne représentant du peuple tibétain puisque, né en Inde et docteur en droit, grâce à une bourse Fulbright, de la Harvard Law School à Cambridge/Massachusetts, il n’a jamais mis le pied au Tibet). Mais a-t-il pour autant choisi de suivre l’exemple du pape émérité ? N’est-il plus désormais qu’un simple moine bouddhiste, comme il aime à le répéter ? En tout cas il n’est pas devenu simple et modeste au point de renoncer à demander la somme rondelette de 300 euros par personne aux milliers de dévots qui affluent pour l’entendre parler de « spiritualité » et du bonheur qu’on ne trouve que… loin du matérialisme, de l’esprit de lucre et du culte de Mammon !
Dans la nouvelle farce politico-médiatique qu’est l’actuelle visite du dieu-roi déchu, la énième, dans notre Europe crépusculaire, le Parlement Européen a voulu jouer son rôle. « Tout en soulignant qu’il avait pris sa retraite et n’était plus chargé des dossiers politiques », comme nous l’apprend AFP, une agence de presse qui décidément a le sens de l’humour, le simple moine a donc pu parler devant la Commission des Affaires étrangères du Parlement européen pour exhorter les eurodéputés à faire pression sur la Chine « dès qu’ils en auront l’occasion ». Car, selon le « chef spirituel » tibétain qui « a ensuite évoqué la question chinoise devant des responsables et des diplomates du Conseil de l’Europe », six millions de Tibétains « vivent dans la peur constante ».
La situation doit être grave au Tibet, bien plus grave en tout cas qu’en Turquie, en Syrie, en Iraq, à Gaza, dans les territoires occupés de Palestine, en Libye ou au Cachemire occupé par l’Inde - des « questions » au sujet desquelles la majorité des parlementaires de Strasbourg a toujours fait (et fait toujours) preuve d’une retenue remarquable. La raison de cette retenue ne peut en aucun cas être une quelconque pression extérieure. Car Elmar Brok, président chrétien-démocrate de ladite commission de Strasbourg, n’a pas manqué de préciser que « le Parlement européen a le droit de rencontrer qui il veut », et qu’il s’est fiché complètement des « pressions qui ont été exercées pour annuler cette réunion ». M. Brok aurait dû ajouter qu’il s’est fiché également du droit international qui interdit les ingérences dans les affaires intérieures des autres États, et des règles de la diplomatie.
Faut-il pour autant s’attendre à ce que ces parlementaires courageux invitent bientôt les leaders du Parti Démocratique des Peuples turc ou l’Indienne Irom Sharmila, qui vient de survivre à la grève de la faim la plus longue de l’histoire, pour qu’ils leur parlent de la « peur », bien fondée et bien réelle celle-là, dans l’Est de la Turquie et dans le Nord de l’Inde ? Vont-ils à nouveau braver toutes les pressions extérieures en recevant Edgar Snowden ? Vont-ils enfin soulever d’autres « questions » qui les concernent de beaucoup plus près (puisqu’ils siègent à Strasbourg), par exemple la « question » des DOM-TOM français ou celle de la place et du statut accordés, dans l’éducation et l’administration françaises, aux langues alsacienne, basque, catalane ou bretonne?
Rien n’est moins sûr.