Le musée du Xinjiang à Urumuqi

par Élisabeth Martens, le 11 novembre 2024

Pour aborder l'histoire d'une région, rien de mieux qu'un musée ! Notre première visite au Xinjiang fut celle du « Musée de la Région autonome ouïghoure du Xinjiang », un musée qui a ouvert ses portes en 1963 et qui fut déplacé et agrandi en 2005. Dans le hall d’entrée, un décor en 3D style kitch chinois représentant la Route de la Soie accueille les visiteurs... Cela va de soi : le Xinjiang est bien cette province la plus occidentale de Chine qui relie le bassin central aux pays en « stan » - Kazakhstan, Kirghizistan, Tadjikistan, Afghanistan, Pakistan -, un pivot de l'Asie centrale et le départ de la Route de la Soie.

 

 

Hall d’accueil du musée du Xinjiang
Hall d’accueil du musée du Xinjiang

Avec le « jet lag » sur l'estomac et un supplément de quelques heures de vol de Beijing (Pékin) à Urumuqi, capitale du Xinjiang, notre petit groupe de six journalistes indépendants belges évolue dans le brouhaha sourd d'un musée comble. Apparemment, nous y sommes les seuls « laowai » (les « vénérables de l'extérieur », un surnom aimable pour désigner les étrangers). Il y a pourtant un monde fou dans ce musée. On pourrait croire que pour un samedi après-midi, c'est normal. Mais non, quand je visite un musée d'Histoire dans une ville de province quelque part en Europe, je ne me fais pas bousculer de la sorte, même pas pendant le week-end. Ici, il faut pousser des coudes pour arriver à voir les objets de collection dans les vitrines. Cela m'épate et me fait chaud au cœur de constater que les gens de la région et des touristes venus des quatre coins de la Chine s'intéressent autant à l'Histoire de leur pays. Cela me donne l'espoir que tout espoir n'est pas vain.

Touristes rencontrées au Musée du Xinjiang de Urumuqi
Touristes rencontrées au Musée du Xinjiang de Urumuqi

Notre guide a sans doute reçu la consigne de ne pas traîner, car c'est au pas de course que nous passons de salle en salle. Pourtant on pourrait passer une journée entière dans ce musée tant l'histoire de la région est riche et passionnante. La province du Xinjiang est la plus grande province de Chine (3x la France, 54x la Belgique), elle couvre le sixième de la surface totale du pays, elle est même plus grande que le Tibet. Depuis la préhistoire, elle a été le carrefour de nombreux peuples, langues et cultures. Dès lors, on n'est pas étonné qu'aujourd'hui la province du Xinjiang est habitée de 12 des 56 nationalités que compte la Chine. Hormis les Han, les autres sont les Ouïghours, les Kazakhs, les Mongols, les Kirghiz, les Hui, les Tadjiks, les Ouzbeks, les Russes, les Tatars, les Daur, les Xibo et les Mandchous. Ensemble, ils forment un patchwork multiethnique, conséquence de la longue et tumultueuse histoire du Xinjiang.

Comme tout musée d’Histoire qui se respecte, il est agencé de manière chronologique. Les premières salles sont consacrées à la préhistoire. Des copies de peintures rupestres retrouvées dans des grottes du Xinjiang y sont exposées. J'ai toujours trouvé fascinante la similitude des œuvres qu'offre l'art pariétal de la préhistoire, et ceci d'un bout à l'autre de la planète. Ici encore, en plein milieu du désert de Taklamakan, on retrouve l'aptitude des premiers homo sapiens à exprimer leurs émotions à travers le mouvement des animaux.

La salle suivante est l'attraction du musée, c'est la salle des momies du Xinjiang. Celles-ci ont été découvertes sur le site de Loulan dans les années 1980. Elles étaient dans un parfait état de conservation grâce aux conditions climatiques propres au désert qui ont permis une dessiccation naturelle des corps. Loulan est un ancien royaume bâti au milieu d’une grande oasis aujourd’hui disparue, à l’Est du désert du Taklamakan. C'était une escale importante pour les caravanes qui se déplaçaient sur la Route de la Soie. Des troncs de peupliers vieux de 2000 ans donnent aux vestiges du site des airs de fantômes égarés dans les sables. La momie la mieux conservée qui y a été retrouvée sur le site est, elle, âgée de 4000 ans. Elle a reçu le doux nom de Loulan. Comme les autres momies du Xinjiang, elle a des traits européens, des cheveux clairs et une peau pâle. Leur analyse suggère que des peuples caucasiens d'origine européenne ou indo-européenne étaient présents dans la région bien avant l'ouverture d'une route commerciale. Cette découverte confirme que la région du Xinjiang a été marquée par des échanges culturels, ethniques et commerciaux depuis des temps immémoriaux.

 

Panneau explicatif sur la découverte des momies du Xinjiang
Panneau explicatif sur la découverte des momies du Xinjiang

Puis, durant la dynastie des Han (de 206 av. J.-C. à 220 apr. J.-C.), des liens étroits se sont noués entre les peuples de Chine, d'Asie centrale et ceux d'origine indo-européenne. Au début de notre ère, les territoires du Nord et de l'Ouest de la Chine actuelle étaient occupés par des tribus nomades connus sous le nom générique de « Xiongnu ». Les Xiongnu regroupaient des tribus d'origine diverses dont les langues se rattachaient au groupe altaïque des langues mongoles, turques et tongouses. Leurs terres de transhumance s'étendaient du lac Baïkal au lac Balkhash et, vers le sud, jusqu'au bassin du Tarim. Elles englobaient le Xinjiang actuel. Les Han constatant la richesse des tribus nomades Xiongnu ont compris l'importance des échanges avec l'Ouest à partir de ces terres. Ils ont commencé à verser d'importants tributs aux Xiongnu, dont de nombreux rouleaux de soie, dans le but de créer une voie commerçante vers l'Ouest et faire de ces territoires des commanderies qui deviendront rapidement un protectorat chinois.

Outre les rouleaux de soie offerts aux Xiongnu pour les amadouer, les Han ont également envoyé des garnisons militaires vers les terres d'Occident. Puis des centaines de milliers de paysans, artisans, commerçants y ont été transférés. Se voyant progressivement occupés par les activités commerçantes et administratives des Han, les Xiongnu ont eux-mêmes fait pression sur les Yuezhi, un groupe d'origine iranienne et de langue indo-européenne qui s'étaient répandus dans la région des oasis du Taklamakan jusqu'au Gansu. Les Yuezhi ont été refoulés vers l'Ouest et ont été se fixer dans les confins du monde indien, dans le Gandhara, la région de Taxila, Peshawar et de la vallée de Swat (Nord du Pakistan et Afghanistan actuels), où s'est développée la culture de Gandhara. L'art et la religion qui ont prospéré dans cette région, découle en grande partie des Yuezhi, qui ont créé un royaume puissant dans cette région stratégique, le royaume de Kouchan. Leur héritage a fusionné avec les influences hellénistiques, perses, parthes et indiennes pour donner naissance à une culture unique, marquée par la rencontre entre l'Orient et l'Occident.

Tandis que la région du Xinjiang a été peu à peu placée sous protectorat chinois, un protectorat plus ou moins opérationnel selon les aléas de la longue histoire impériale de la Chine et selon la turbulence de ses voisins du Nord. Les premières traces écrites concernant une voie d'échanges commerciaux entre la Chine et les territoires occidentaux datent de la dynastie des Han. De nombreuses pièces de brocart finement tissées de motifs d'animaux et de personnages du style Han, ainsi que des figurines funéraires que les nobles plaçaient dans les tombes des défunts (les fameux « ming qi ») attestent d'une présence chinoise dès le 2ème siècle av. J-C. Leur influence s'étendait loin vers l'Ouest puisque l'empire romain connaissait les soieries venant de Chine. Rome avait donné le nom de « Royaume de Seres », du latin « serica » ou « soie », à ce lointain pays de l'Est. En échange, les artisans romains confectionnaient de précieux objets de verre - des perles, des bouteilles, des vases, des bijoux et des objets décoratifs - qui étaient envoyés au Royaume de Seres via les empires perse et parthe.

 

Brocart de soie avec des motifs typiques de la dynastie des Han
Brocart de soie avec des motifs typiques de la dynastie des Han

Outre la soie qui y circulait en quantité, de nombreux autres trésors s'échangeaient sur les sites de la route commerçante : épices, sel, thé, laine, tapis, chevaux, dromadaires, etc. Elle était également empruntée par des délégations diplomatiques, des armées avec leurs stratèges et leurs équipements de guerre, des savants et des prophètes. Elle a facilité la pénétration du bouddhisme en Chine au 1er siècle ap. J-C. via l'empire Kouchan qui s'était convertit à la « nouvelle religion ». Trop transcendantale pour le pragmatisme chinois, le bouddhisme n'aura un réel impact en Chine qu'à partir du déclin de la dynastie des Han. Durant la difficile période qui a suivi les Han, celle des Trois Royaumes, le peuple chinois a sans doute trouvé un certain réconfort dans la compassion bouddhiste. Plusieurs sites bouddhistes situés sur la Route de la Soie, comme les grottes de Bezeklik et de Mogao, témoignent de l'importance de la diffusion du bouddhisme vers l'Est à partir du 4ème siècle ap. J-C. Des copies des merveilleuses fresques murales de ces grottes ainsi que des statuaires bouddhistes sont exposées au musée rappelant aux visiteurs que le Xinjiang fut la première terre d’accueil du bouddhisme en Chine.

Si ce sont les Han qui ont placé la région de la Route de la soie sous leur tutelle, c'est surtout pendant l'âge d'or de la Chine, durant le 7ème et 8ème siècles, sous la dynastie des Tang (618 à 907), que les échanges furent les plus fructueux. Le premier empereur des Tang était lui-même issu de la région du Xinjiang. Plusieurs des hauts fonctionnaires et généraux sous le règne des Tang étaient également d'origine turco-mongole. Cela va marquer le règne des Tang du sceau de l'ouverture aux peuples de l'Ouest, à leur pensée et aux religions venues d'Occident. Le mazdéisme, le nestorianisme, le manichéisme et l’islam vont faire leur entrée en Chine. Le musée du Xinjiang possède plusieurs dizaines de peintures originales de la dynastie Tang témoignant de l'esprit d'ouverture du début de ce règne et la grande mosquée de Xi'an (ou Chang'an, ancienne capitale sous les Tang) construite en 742 atteste de l'entrée de l’islam en Chine à partir du 7ème siècle, principalement grâce aux commerçants arabes et perses qui circulaient sur la Route de la Soie.

 

 
 
  Les « guo suo », documents officiels équivalant à nos passeports qu'il fallait présenter aux frontières occidentales de la Chine durant la dynastie des Tang

 

Mais c'est aussi durant les Tang, au 8ème siècle, que la Chine va connaître une défaite cinglante sur ses frontières Ouest, à Talas en 751, dans une bataille menée contre les armées arabo-musulmanes qui cherchaient à étendre leur pouvoir sur l'Asie centrale et contrôler les routes commerçantes. La prospérité de la Route de la Soie va basculer en faveur du monde arabe. Du 9ème au 11ème siècle, un « nouvel ordre mondial » s'impose, Bagdad devient « the place to be » (ou « al-makān allatī yajibu an takūn fīh », en arabe). Des savants du monde entier s'y rencontrent. Leurs échanges de savoirs vont avoir un impact considérable sur les sciences (astronomie, mathématique, physique, médecine, etc.), sur la philosophie et sur la technologie. Suite à la bataille de Talas, l'expansion de l'islam s'est faite progressivement vers l'Est, par la propagation pacifique du commerce, des échanges culturels et des missions de prédication. L'islam va s'installer dans tout le Xinjiang et dans les régions occidentales de Chine.

Puis, durant l’hégémonie mongole, au 13ème siècle, la Route de la Soie devient une vaste toile de routes commerciales reliant la Chine à l'Asie centrale, au Moyen-Orient et à l'Afrique du Nord. C'est la seule période durant laquelle tous les tronçons de cette route marchande sont unifiés d'Est en Ouest. C'est aussi durant cette période que quatre inventions majeures de la Chine vont transiter jusqu'en Europe, elles viendront y changer la face du monde. La boussole (invention chinoise du 2ème siècle av. J-C.) a permis la navigation et la découverte du Nouveau monde, dès lors l'Europe n'était plus l’aboutissement de la Route de la Soie, elle en est devenue le centre ; la poudre noire (9ème siècle ap. J-C.) qui, en Chine, n'était utilisée que pour les pétards et les feux d’artifice fut adaptée aux armes à feu et aux canons qui vont soumettre les populations lointaines. Le papier (2ème siècle ap. J-C.) et l'imprimerie (11ème siècle) ont facilité la diffusion des savoirs, la Renaissance frappait aux portes de l'Europe, et avec elle, la colonisation du Nouveau monde.

En Chine, l'abandon de la Route de la Soie à partir du 8ème siècle fut symbolisé par la reconstruction progressive de la Grande Muraille. C'est sous les Ming (1368 à 1644 ) qu'elle a pris sa forme et son ampleur actuelles, avec des sections en briques et en pierres, renforçant les structures antérieures en terre battue et en bois. Elle se termine au Xinjiang près de la ville de Jiayu Guan, un site stratégique pour contrôler l’accès au désert de Gobi et à la Route de la Soie. 6300 km de protection à l’abri desquels la Chine va se réunifier. Elle décidera ensuite de se tourner vers ses territoires du Sud où elle va abattre des forêts entières pour construire une flotte gigantesque qui la mènera, elle aussi, vers des terres lointaines. Cependant, les expéditions maritimes chinoises avaient des objectifs diplomatiques, commerciaux et de prestige impérial. Elles ont permis à la Chine de renforcer son influence dans l'Asie du Sud-Est, le sous-continent indien, le Moyen-Orient, et même sur les côtes de l'Afrique de l'Est. Alliant échange pacifique et démonstration de puissance, elles ne visaient pas à coloniser ou à conquérir de nouveaux territoires, mais plutôt à maintenir et à garantir la stabilité des routes commerciales... une ébauche des actuelles Routes de la Soie maritimes ?

Mais je reviens au musée du Xinjiang qui consacre encore une grande salle aux us et coutumes des divers peuples du Xinjiang, à leur mode de vie, religion, cérémonies, costumes, bijoux, instruments de musique, habitats, ustensiles de la vie quotidienne, etc.  Actuellement peuplé par 12 groupes ethniques de la Chine, le Xinjiang a une population totale d’environ 25 millions d'habitants. La province se nomme « Région autonome ouïghoure du Xinjiang » pour la bonne raison que les Ouïghours y sont majoritaires. Ils constituent quasi 50% de la population avec plus de 12 millions d’habitants répartis dans toute la province. Les Chinois Han comptent pour 40 à 45% et se concentrent plutôt dans le Nord du Xinjiang, plus développé. Les autres ethnies se divisent les 5% restant, elles sont différemment réparties, mais elles occupent surtout le Sud.

 

Dans la salle sur les us et coutumes des ethnies du Xinjiang
Dans la salle sur les us et coutumes des ethnies du Xinjiang

En Chine, on dit qu'une région est « autonome » quand le gouvernement provincial a pouvoir sur toutes les décisions hormis celles qui concernent la défense nationale et les relations extérieures. Avec le Xinjiang, cela se complique car c'est est une région stratégique avec des frontières s'étendant sur plus de 5000 km. Elles touchent à sept pays différents : le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan, l'Afghanistan, le Pakistan, l'Inde et la Mongolie extérieure. Le Xinjiang est une région clé pour les échanges commerciaux et les relations diplomatiques, particulièrement via les nouvelles Routes de la Soie (ou BRI). De ce fait, l'orientation générale du développement économique est donnée par le pouvoir central. Par ailleurs, une autre particularité du Xinjiang vient nuancer son caractère autonome, c'est la présence de groupes terroristes aux frontières occidentales de la Chine. Des groupes islamistes radicaux venant des pays limitrophes offrent leur assistance et leur soutien militaire à certains groupes indépendantistes ouïghours, mettant en danger les citoyens de Chine, qu'ils soient Ouïghours, Han, Kazakhs, Kirghizes ou autre. Par conséquent, l'autonomie du Xinjiang est relativement plus limitée que pour les autres régions autonomes de la Chine (Tibet ou Xizang, Mongolie intérieure, Ningxia, Guangxi).

Au Xinjiang, ce sont surtout les Ouïghours qui nous intéressent, car ces dernières années, des groupes indépendantistes ont attiré l'attention internationale en revendiquant l'indépendance du Xinjiang qu'ils appellent le « Turkestan oriental ». Or qu'apprend-on à ce propos au musée du Xinjiang ?

Tout d'abord, que l'origine du peuple ouïghour n'a pas encore pu être déterminée avec certitude. Les Ouïghours sont associés à des groupes ethniques et culturels qui ont émergé sur le plateau mongol à l'époque des dynasties Sui et Tang, vers le 6ème siècle ap. J-C. Leur religion était le mazdéisme. De nombreux noms ont été utilisés dans les documents historiques pour désigner ces groupes.

À cette époque, les peuples installés sur le plateau mongol étaient sous domination des Khaganats turcs. Avec l'appui des troupes chinoises des Tang, ils se sont rebellés contre le Khaganat des Göktürks (552-744) et ont établi un Khaganat ouïghour. Celui-ci est lui-même devenu une puissance dominante en Asie centrale durant le 8ème siècle s'étendant sur la partie sud de la Mongolie et nord du Xinjiang actuel et de territoires situés plus à l'Ouest. Les Ouïghours avaient ainsi sous leur contrôle une portion des routes commerciales reliant l'Est et l'Ouest, ce qui leur apportait richesse et influence. Au  8ème siècle, l'Empire des Ouïghours et celui des Tang ont entretenu des relations diplomatiques, commerciales et militaires, en particulier contre des ennemis communs lors de l'invasion des troupes Tubos (tibétaines) menées par Songtsen Gampo et lors de la rébellion d'An Lushan. Les Tang ont cherché à maintenir des relations amicales avec les Ouïghours pour sécuriser leurs frontières et leurs routes commerciales. Au fil du temps, l'islam a progressivement remplacé le mazdéisme des Ouïghours, en particulier après le 9ème siècle avec l'expansion des califats arabes dans la région.

À son tour, le Khaganat ouïghour s'est vu renversé en 840 par les Kirghizes. Suite à cette défaite, une partie des Ouïghours s'est déplacée vers l'intérieur du pays pour vivre avec les Hui (musulmans chinois) et les Han. L'autre partie s'est divisée en trois sous-groupes. L'un d'eux s'est dirigé vers le bassin de Turpan où il a fondé le royaume ouïghour de Gaochang qui s'est rapidement éteint (en 848). Un autre s'est installé dans le corridor de Hexi (au Gansu) où il a fusionné avec des groupes ethniques locaux. Le troisième sous-groupe s'est installé à l'Ouest du Pamir, il s'est dispersé dans des régions allant de Kashgar à l'Asie centrale par le col de Karakorum. Ces derniers ont fusionné avec les Ouïghours installés dans le bassin de Turpan et avec d'autres peuples du bassin de Tarim pour, ensemble, former l'ethnie actuelle des Ouïghours. Au 19ème siècle, certains partisans du panturquisme ont décrété que tous les peuples de la famille linguistique turque étaient des Turcs, en argumentant qu'ils appartenaient à une ethnie commune parce qu'ils parlaient des langues dont l'origine était commune. Or une famille linguistique et un groupe ethnique, ce sont deux concepts différents. Il est dangereux, voire malhonnête, de les mélanger. En Chine, les Ouïghours, les Kazaks, les Kirgiz, les Ouzbeks, les Tatars, etc. parlent tous des langues turciques, mais chacune de ces ethnies a sa propre histoire et sa propre culture. On ne peut pas prétendre que ces peuples sont turcs même si leur langue est de la famille linguistique turque. Ce serait comme de dire que les Indiens, les Français et les Russes sont de la même ethnie parce qu'ils parlent des langues d'origine indo-européenne.

La revendication d'indépendance des groupes indépendantistes ouïghours est basée sur cet argument linguistique qui n’est pas vraiment défendable, et sur des arguments historiques qui, eux aussi, sont discutables. Le premier étant que le Khaganat ouïghour du 8ème siècle était un empire indépendant... mais une France qui revendiquerait le territoire conquis par Charlemagne ne se ridiculiserait-elle pas ? Puis deux brèves périodes au cours du 20ème siècle leur servent d'arguments historiques pour parler d'un « Turkestan oriental ». Si on contextualise les deux périodes citées, on voit que ces arguments sont faibles. Après 1911, la République de Chine a maintenu le Xinjiang dans son giron. En 1933, les Ouïghours se sont rebellés et ont proclamé une « République islamique du Turkestan oriental » qui concernait les environs de Kashgar et le corridor du Karakorum. Elle a duré du 16 mars 1933 au 16 février 1934 avant d'être absorbée par les Hui, les musulmans chinois. En 1944, il y eut une nouvelle tentative de rébellion dans le Nord du Xinjiang à la frontière du Kazakhstan. Cette seconde « République du Turkestan oriental » fut tolérée par le Kuomingtang (parti nationaliste chinois) et dura de 1944 à 1949. Elle concernait une région tout aussi réduite que la première République. Cette seconde expérience prit fin avec la déclaration de la République populaire de Chine quand Mao concrétisa le vœu de Sun Yatsen d'unir tous les peuples de la Chine. Ces deux Républiques étaient des entités de fait, ni l'une ni l'autre n'ont été reconnues au niveau international.

Au vu de l'histoire du Xinjiang, les arguments des groupes indépendantistes ouïghours ne sont vraiment pas convaincants. Qui plus est, le Parti islamique du Turkestan (PIT), aussi appelé « Mouvement islamique du Turkestan oriental » (ETIM), qui est un des principaux groupes à revendiquer l'indépendance du Xinjiang, a mené de nombreux attentats attentats avec de nombreuses victimes à la clef en se basant sur une idéologie islamiste radicale. L'ETIM est un mouvement obscur et violent qui a été placé sur la liste des organisations terroristes par les États-Unis et par l’ONU en septembre 2002 pour ses liens avec Al-Qaïda (les États-Unis ont toutefois retiré l'ETIM de leur liste des organisations terroristes étrangères en 2020). Dès lors, on peut se demander pour quelles raisons leurs revendications sont soutenues avec tant d'acharnement par les politiques et les médias des pays occidentaux, dont la Belgique. C'est entre autres pour dénouer cette énigme que nous sommes au Xinjiang. Peut-être en apprendrons-nous plus pendant notre périple ?