L'école professionnelle supérieure de Kashgar
par Elisabeth Martens, le 13 novembre 2024
Dans les environs de Kashgar, à une trentaine minute du centre-ville, se situe l'école professionnelle supérieure de Kashgar. Nous avons été invités à la visiter. Tous, nous avons été sidérés par l'immensité des lieux, autant en ce qui concerne les bâtiments et les allées que les salles de classe et de pratique, que les terrains de sport et de détente. Tout était immense. Le site officiel de l'école annonce qu'elle couvre 720 mu (48 ha), les espaces construits occupant 21 ha dans un envirronnement aéré. Elle compte 60 départements dont 22 filières pour l'enseignement professionnels supérieur et 7 filières pour l'enseignement professionnel moyen.
L'école supérieure professionnelle de Kashgar accueille plus de 11.000 étudiants, âgés de 16 à 22 ans. Ils peuvent s'inscrire pour un premier cycle de trois années (ce qui, chez nous, correspond aux moyennes supérieures), après quoi ils obtiennent un certificat « low level ». Ensuite ils peuvent poursuivre leurs études pendant encore trois années pour obtenir le « high level » avec un diplôme technique universitaire à la clef. Une partie des étudiants est interne, les autres profitent des navettes de bus entre Kashgar et l'établissement. Le corps enseignant compte 920 professeurs dont 96% ont au moins un niveau « bachelor » (Bac+3). Les cours se donnent tous en chinois, c'est la langue commue des diverses minorités nationales représentées dans l'école. La plupart des classes sont composées d'un mix de nationalités et de langues. Quand un étudiant ne comprend pas un terme ou une explication en chinois, il peut faire recours à un enseignant qui parle sa langue maternelle.
La majorité des étudiants est ouïghoure, ils viennent surtout de Kashgar, une ville où 92 % de la population est ouïghoure, de sorte qu'ils n'oublient pas comment parler leur langue maternelle. Mais plus personne ne leur apprend à lire et à écrire l'ouïghour, ce qui pour certains intellectuels du Xinjiang représente une perte culturelle. Selon ces derniers, il serait nécessaire pour ces élèves non seulement de pouvoir parler leur langue, mais aussi de savoir lire et écrire pour pouvoir accéder à la littérature de leur propre groupe ethnique. Interrogeant la directrice de l'école à propos des langues utilisées pendant l'enseignement, elle nous apprend que de nombreux instituts au Xinjiang proposent une option de cours de langue ouïghoure de trois à cinq heures par semaine. Mais, en pratique, les parents ne veulent pas que leurs enfants passent leur temps à apprendre l'ouïghour, ils préfèrent qu'ils se concentrent sur leurs études. Pour eux, il semble suffisant que leurs enfants parlent l'ouïghour à la maison et souvent avec leurs camarades de classe. La réussite de leurs études peut au contraire leur assurer un avenir meilleur avec un job bien rémunéré.
L’enseignement professionnel supérieur est récent en Chine. Il connaît un essor remarquable depuis les années 2000, tant en ce qui concerne la hausse des inscriptions que l’employabilité des diplômés. Ouvert aux élèves venant du secondaire ou de lycées professionnels, on attend des étudiants sortants qu’ils soient immédiatement employables. Les zones rurales et les villes de troisième rang constituent le vivier principal de ces établissements. En 2014, sur le nombre total d’étudiants diplômés, 52 % étaient issus de familles rurales, des familles d'agriculteurs ou d'ouvriers, près de 30 % provenaient des comtés ou des districts moins développés de l’Ouest et des régions habitées par des minorités. Pour les familles, ces établissements supérieurs ont permis à leurs enfants d’accéder à un niveau universitaire sans quitter la région, ceci à un coût abordable. En effet, les élèves jouissent de la politique « 3 exemptions et un subside » : le logement, la nourriture et les fournitures scolaires sont gratuits et ils reçoivent une bourse d'étude.
L'enseignement de ces écoles est directement orienté vers les besoins socio-économiques de la région. Pour le gouvernement, il s'agit de mettre en place une politique de formation de techniciens qualifiés pour la production industrielle, l’urbanisation et la construction des villes nouvelles, les secteurs commerciaux et technologiques, l’industrie des services, les soins de santé, la gestion au niveau de la production de base, etc. Cette stratégie nationale vise un rééquilibrage du développement entre l'Est de la Chine et le « Grand Ouest ». Si en 2014, il y avait déjà plus de 80 % des étudiants qui ont pu achever leurs études dans leurs provinces d’origine et y trouver un emploi qualifié, en 2024, ce chiffre a grimpé jusque 98,5% de diplômés qui y trouvent immédiatement un emploi avec un salaire moyen de 3500 yuan par mois.
Les matières enseignées dans l'école professionnelle supérieure que nous visitons à Kashgar sont très variées. Nous sommes passés de classes d'électronique, mécanique, ingénieur aux classes d'informatique, webmastering et robotique, aux métiers de la construction et architecture, puis à ceux de la communication, aux cuisiniers, esthéticiennes, coiffeuses, pédicures et manucures, maquilleuses, confection et stylisme, hôtesse d'accueil, hôtellerie, guides touristiques, designer, etc. Plusieurs sections étaient consacrées à la culture locale : danse, musique, art du thé, pâtisserie, peinture, sculpture, etc. Au-delà de la mise à disposition d’équipements multimédias qui favorisent l’apprentissage interactif, le corps enseignant cherche à améliorer la qualité des formations de manière novatrice. Des sortes de « master class » sont créées pendant lesquelles les étudiants bénéficient d’une formation ciblée assurée par des experts dans le domaine choisi. Les enseignants invitent aussi des experts techniques à devenir formateurs de façon temporaire pour présenter aux étudiants les dernières avancées technologiques dans leur filière. Enseignants fixes, et professeurs ou experts invités proviennent des quatre coins du pays selon les demandes spécifiques de l'école.
Nous avons interrogé quelques étudiants de différentes filières, dont une jeune fille de 14 ans qui était en pratique de couture et stylisme. Elle a été interrogée en ouïghour et disait que durant l'école primaire, les cours se donnaient en ouïghour et en han. À partir de l'école secondaire, les cours étaient donnés en han uniquement, mais il y avait une option d'un cours d'ouïghour proposée par l'école. Un jeune de 17 ans était en train de fabriquer un drone en cours d'électronique. Il était ouïghour mais avait plus facilité en han. Il se disait confiant quant à son avenir car quasi la totalité des étudiants diplômés de l'école obtiennent rapidement un emploi après leurs études. De plus, à la fin du cycle d’étude, l'école organise une sorte de « foire aux jobs » où les entrepreneurs de la région ou de provinces jumelées avec l'école (comme le Guangdong pour celle-ci) viennent eux-mêmes proposer différents jobs aux étudiants sortants. À raison de trois jobs pour un étudiant, il ne s'en fait pas ! On a senti les élèves très appliqués et très motivés, se penchant consciencieusement sur leur travail. On n'entendait pas une mouche voler dans les salles de classe et de pratique qui toutes sont spacieuses, propres, aérées, lumineuses. Un journaliste de notre groupe qui a été prof de math dans une école professionnelle en Belgique a dit en riant qu'enseigner ici, c'est le paradis, autant pour les enseignants que pour les élèves.
Sources complémentaires :
https://journals.openedition.org/ries/4641
https://www.banquemondiale.org/fr/news/feature/2015/08/07/china-skills-training-for-rural-migrants-makes-a-big-difference
http://www.tibetdoc.org/index.php/politique/ouighours-et-tibetains/757-pourquoi-les-langues-minoritaires-disparaissent-elles-de-certaines-salles-de-classe-au-xinjiang-mais-pas-au-tibet