Le canyon le plus profond du monde
par Jean-Paul Desimpelaere, le 24 novembre 2008
Le canyon le plus profond du monde se situe au Tibet, non loin de la ville de Nyingchi, dans l’Est du Tibet. Non loin de là, vivent les Memba et les Lhoba... et le tigre de l'Himalaya !
Le canyon le plus profond du monde est formé par le fleuve Yarlung Tsangpo (nommé le « Brahmapoutre » en Inde) qui fraie son chemin entre deux montagnes mythiques : le Namjabarwa (7782m) et le Gyala Beile (7284m). Le lit de la rivière se situe 5400m plus bas que les sommets de ces deux colosses. Le canyon est difficilement accessible. Ce n’est qu’en 1998 qu’une première expédition en parcourut toute la longueur à pied (soit environ 500km).
La végétation est subtropicale dans la partie la plus basse du canyon et, aux pieds des glaciers, on arrive aux forêts de conifères. Les glaciers sont formés grâce aux moussons en provenance du Bangladesh et du Sud-ouest de la Chine. Malgré un climat relativement chaud, les glaciers descendent fort bas, jusqu’aux environs de 2500mètres d'altitude. Le plus long glacier, le Khaging, s'étend sur 35km.
Professeur Zhang Jianghua (de l’Institut d’ethnologie et d’anthropologie de l’Academie des Sciences Sociales de Pékin) est spécialiste des gorges du Yarlung. Ses recherches portent surtout sur la culture des populations Memba et Lhoba qui vivent près des gorges, au Sud-est du Tibet.
J’ai eu l’occasion de le rencontrer en octobre 2008. Professeur Zhang me disait qu’il y a à peine quelques décennies, les Memba et les Lhoba vivaient essentiellement de la chasse. Ils pratiquaient aussi un peu d’agriculture sur des parcelles de forêt brûlée, ce qui ne posait pas de problèmes tant que ces populations vivaient en nombre limité. Or ces cinquante dernières années, ces popualtions se sont considérablement multipliées.
Dès lors, un programme de développement alternatif a été mis en place localement. Des parcelles de terres arables ont été désignées pour l'agriculture, le déboisement a été interdit, et un programme de reboisement s’est même mis en place. La chasse a été remplacée par de petits élevages.
Pour un futur développement de la région et de ses habitants, le professeur Zhang pense que « l’écotourisme » pourrait jouer un rôle important. D’après lui, il serait souhaitable de combiner l’attraction que représentent les gorges et leurs richesses naturelles (faune et flore locales) et celle de la culture traditionnelle des Lhoba et des Memba (artisanat, chants et danses). La région des gorges du Yarlung a maintenant un statut de « zone protégée ».
Les autorités locales ne délivrent pas de nouveaux permis de séjour, ce qui empêche une éventuelle immigration vers ces régions. La petite ville de Metok (Préfecture de Nyingchi) est le centre de la région où vivent actuellement environ 15000 personnes (Tibétains, Memba, Lhoba).
Le professeur George B.Schaller, du « Wildlife Conservation Society » à New York, relativise un peu le succès de ce programme de développement. Il prétend que la façon ancestrale de pratiquer l’agriculture n’a pas totalement disparu dans la région des gorges. D'après lui, des autochtones mettent encore le feu à des parcelles de forêt pour les cultiver. Après une année d'exploitation, ils les laissent en friche pour que la forêt les regénère.
Ces semi-clairières deviennent alors l’endroit idéal pour mener le bétail composés de quelques chevaux, yacks et cochons. Mais qui se cache dans les broussailles ? Le tigre de l’Himalaya ! Chaque années, les cheptels se voient diminué d’un animal sur dix ! Or il est interdit aux Memba et aux Lhobas de chasser et de tuer le tigre, ce qui est évidemment une règle respectable. D'après le professeur Schaller, les Memba et les Lhoba n’ont pas entièrement abondonné la chasse, car l'intediction de chasse ne concerne pas le petit gibier.
Mais dans le plan gouvernemental de protection de la faune, le petit gibier est réservé au tigre, pas aux Membas ni aux Lhobas ! Alors le tigre se voit bien obligé de prendre sa revanche sur les cheptels... voilà les commentaires du professeur Schaller.
Dans l’ancien regime au Tibet, les peaux de tigre ou de panthère étaient reservées à l’élite laïque et cléricale. Elles étaient un symbole de pouvoir. Mais comme l’élite n’était pas nombreuse, il ne fallait pas tuer beaucoup de tigres et de panthères.
Un équilibre écologique était ainsi maintenu… Avec la modernisation du Tibet, beaucoup plus de Tibétains ont pu s’acheter une peau à une époque où la réglementation n’était pas encore en vigueur. Le contrôle étant devenu strict depuis une vingtaine d’années, les peaux de tigre synthétiques ont envahi les marchés tibétains.