Le Rap au Tibet : une tradition séculaire
par Elisabeth Martens, le 29 juillet 2015
La musique au Tibet ne se limite pas à des mantras et des chants sacrés accompagnés de conques, tambours, damaru, trompes, bols chantants, et autres instruments typiques de l'Hymalya. Les chants accompagnant les activités quotidiennes ou glorifiant l'une ou l'autre épopée lyrique de l'Histoire du Tibet sont aussi très populaires. Nous les appelons "opéra", mais en réalité ces chants récités traditionnels du Tibet sont beaucoup plus proches du rap moderne. Le chanteur récite plus qu'il ne chante, parfois pousse la mélopée, des cris, des murmures entrecoupés de rires ou de pleurs...
La pièce la plus jouée et la plus célèbre raconte l'histoire du Roi Gésar. Il s'agit d'un poème épique de plusieurs millions de vers, ce qui en fait l'œuvre littéraire la plus longue actuellement connue dans le monde. Composé il y a plus de huit siècles à partir de récits plus anciens, il continue à être interprété de nos jours par plusieurs dizaines de "rappeurs" dans les régions de populations tibétaines, mongoles ,Tu, Yukou, Naxi, Bai.
En 2009, "Gesar" a été classé sur la liste du patrimoine mondial culturel immatériel. Au cours des dernières années, le Tibet a pris des mesures telles que le recensement et l'établissement des archives en provenance des rappeurs du poème Gesar. Des successseurs officiels ont été sélectionnés, chargés de la transmission orale. Des livres, des CD et des DVD ont été publiés et enregistrés afin de préserver ce trésor culturel mondial.
Le 7 juillet dernier, près de 80 rappeurs en provenance de la Préfecture de Nagqu (R.A.T.) se sont réunis à Lhassa pour participer à la première formation de chanteurs, sélectionnés avec soin en vue de transmettre le poème séculaire. Nagqu est appelé la "Colline du Foyer des artistes de Gesar", c'est là qu'on trouve la plus grande concentration de rappeurs tibétains. Ils constituent la "Base de l'héritage du Roi Gesar".
Durant la formation à Lhassa, différentes méthodes de chant et de parler adaptées aux divers airs de Gesar ont été enseignées. D'après Tsering Dradul, un chanteur de niveau national et instructeur, la plupart des rappeurs de "Gesar" ne sont pas bien instruits.
Par exemple, Chaou à 69 ans est l'élève le plus âgé élève de la formation, il chante "Gesar" depuis 56 ans. Il raconte : "Je n'ai jamais été à l'école et j'ai l'habitude de donner les représentations seul. Pendant cette formation, je vois qu'il y a tellement de méthodes pour chanter Gesar que j'ai bien envie d'apprendre auprès des jeunes."
La transmission se limite souvent à la méthode orale, ce qui ne permet pas d'enregistrer le contenu du rap. De plus, les rappeurs sont dispersés géographiquement, ce qui rend la communication difficile. "L'organisation d'une telle formation nous donne une plate-forme de communication centralisée, nous pouvons travailler ensemble, non seulement sur le contenu du rap, mais aussi sur les techniques du rap et l'expérience de la transmission", ajoute Dradul.
C'est aussi durant ce type de formation que les chanteurs prennent conscience qu'ils sont les détenteurs d'un des joyaux du patrimoine mondial culturel immatériel. Avec fierté, ils se sentent responsables de la transmission du poème épique du Roi Gesar.