À Urumuqi, le hall de commémoration de la lutte contre le terrorisme

par Elisabeth Martens, le 24 janvier 2025

C'est pour dévoiler la violence des attentats terroristes commis en Chine depuis les années 1990 et expliquer la manière dont la Chine y a répondu, que le gouvernement central a décidé d'ouvrir au public un hall de commémoration de la lutte contre le terrorisme. Il est situé à Urumuqi près du centre culturel et du musée de l'urbanisme. Nous l'avons visité lors de notre trip au Xinjiang. Cela secoue, mais on comprend mieux les choix de Pékin quant à la manière de répondre au terrorisme : d'une part, un coup d'accélérateur au développement économique du « Grand ouest » et d'autre part, la campagne « Strike Hard » lancée en mai 2014. Ces deux initiatives se renforcent l'une l'autre en vue de stabiliser la région.

 

 

Le Xinjiang, une plaque tournante du terrorisme islamiste

 

Avec l'ouverture économique de la Chine dans les années 1980, le Xinjiang était devenu plus accessible aux séparatistes exilés. Le message des indépendantistes se diffusa largement au Xinjiang et l’islam devint un outil pour réaliser l'indépendance. La guerre d'Afghanistan de 1979 à 1989 permit à des centaines de jeunes Ouïgours de s'initier au djihad en combattant les soviétiques aux côtés des moudjahidin afghans.

Entre 1987 et 1990, le Xinjiang connut plus de 200 attentats à la bombe dirigés surtout contre des bâtiments officiels. Les indépendantistes ouïgours se faisaient la main.

Puis il y eut la chute du Rideau de Fer en 1989 et, en 1991, l'effondrement de l'Union soviétique en 1991 qui a entraîné l'indépendance des ex-républiques soviétiques musulmanes du Turkestan occidental. L'islamisme radical s'est renforcé en Asie centrale.

Déjà en 1990, la Ligue islamique mondiale pour l'Unification, une organisation panislamique d'Asie centrale, avait appelé à soutenir le mouvement du Turkestan oriental afin qu'il réalise l'indépendance du Xinjiang. Des mullah intégristes ont appelé au djihad à partir des mosquées du Xinjiang dans les années 1990 et les écoles coraniques se sont multipliées. Les autorités chinoises ont d'abord tenté de réglementer la situation en encadrant officiellement les pratiques religieuses. Les imam et mullah non enregistrés par les autorités devinrent interdits de prêche et les écoles coraniques sans licence gouvernementale ont été fermées.

Mais la lutte armée fut adoptée en 1992 par certaines organisations séparatistes afin d'accélérer le mouvement d'indépendance du Turkestan oriental. En 1993, il y eut plus de 17 explosions de bombes dans la seule ville de Kashgar et en 1994 trois grosses explosions à Aksu. C'était l'époque où fleurissaient les « meshreps », des réunions de village spontanées où des indépendantistes ouïgours incitaient les villageois à se révolter contre le gouvernement. En août 1995, les meshreps furent interdits par les autorités chinoises.

En février 1997, lorsque la police arrêta deux étudiants musulmans ouïgours pour « activités religieuses illégales » dans une mosquée de Yining, des émeutes ont éclaté. Menées par l'ETIM (Eastern Turkistan Islamic Movement), elles se soldèrent par 7 morts et 198 blessés dont des civils, des agents de sécurité et de police. Plus de 30 véhicules furent endommagés et deux maisons incendiées.

À partir de la destruction des tours jumelles du World Trade Center (WTC) le 11 septembre 2001, les séparatistes ouïgours ont encore renforcé leur collaboration avec les extrémistes islamistes. Beaucoup se sont joints au djihad dans le but de créer une République du Turkestan oriental séparée de la Chine populaire sous l'égide du « Mouvement islamique du Turkestan oriental » (ETIM). Actuellement nommé « Parti islamique du Turkistan » (TIP), cette organisation terroriste - inscrite comme telle sur la liste du Conseil de sécurité des Nations Unies - collaborait étroitement avec d’autres forces terroristes internationales et régionales telles que « l’État islamique », « Al-Qaïda » et « l’Armée de libération du Baloutchistan ».

Depuis lors, les attentats meurtriers se sont succédés à une cadence soutenue. Il y eut des milliers d'incidents liés au terrorisme, principalement au Xinjiang, mais aussi dans d'autres provinces chinoises, dont des attentats laissant derrière eux des centaines de morts. La Région autonome du Xinjiang est la région qui a le plus souffert du terrorisme, la population ouïgoure est la première à en avoir fait les frais, ceci jusqu'en 2019.

Dans le hall de commémoration de Urumuqi, chacun des attentats est présenté dans son contexte et ses conséquences, matériel photo et vidéo à l'appui. Le but ici n'est pas de les énumérer, la liste est beaucoup trop longue et ce n'est qu'une suite d'horreurs : bombes posés dans des bus publics, attentats suicides, véhicules USV lancés dans la foule sur des marchés, attaques à la machette, à la hache, au couteau, etc. Cela s'est passé dans des gares, des supermarchés et des marchés ouverts, des magasins, des postes de police, des bâtiments gouvernementaux, une mine de charbon, des mosquées, des instituts islamiques, etc. Il y eut même une jeep chargée d'explosifs lancée sur la place Tian'anmen à Pékin. Le point culminant fut le 5 juillet 2009 quand des milliers de terroristes ont déboulés dans les rues de Urumuqi, la capitale du Xinjiang, attaquant des civils et des policiers, incendiant des magasins et des transports publics. Cette journée s'est soldée par 197 morts et plus de 1700 blessés.

La Chine a alors considéré que le problème du terrorisme était suffisamment grave au Xinjiang pour y répondre de manière énergique. Elle a lancé son plan d'action « Strike hard » en 2014, un plan de redressement à deux vitesses. L'une est l'accélération du développement économique de la Région autonome et l'autre est le renforcement des contrôles, des arrestations, des peines et l'ouverture de centres de réhabilitation et de formation professionnelle.

Le public occidental est loin de soupçonner l'étendue et l'ampleur du phénomène du terrorisme en Chine. Et pour cause, lorsque la Chine a publié des documentaires sur le sujet, nos médias sont restés silencieux et ont détourné le regard. Pire, ils ont accusé les autorités chinoises de terroriser les Ouïgours du Xinjiang ! Le monde à l'envers !

Les réponses de Pékin aux violences terroristes étaient pourtant en adéquation avec les conventions mondiales de lutte contre le terrorisme qui ont été élaboré par la communauté internationale sous l'égide des Nations dans les années 1960. La Chine s'est appuyée sur ces conventions de l'ONU pour construire progressivement son propre cadre juridique antiterroriste. Basée sur la Constitution, la loi antiterroriste chinoise en est la pièce maîtresse, elle est accompagnée de lois pénales, d'une loi sur la sécurité nationale et d'autres lois complémentaires.

« Le gouvernement chinois n'est pas en guerre contre les musulmans ou contre les Ouïgours, il lutte contre le terrorisme qui pénètre le pays à travers ces frontières. Le Xinjiang est le lieu de passage des terroristes qui font le va et vient vers le Moyen Orient, et qui, au retour peuvent aller jusqu'en Indonésie », a rappelé la directrice adjointe du Ministère des Affaires étrangères chinois à Madame Bachelet lors de sa visite au Xinjiang en 2022. Il en est ainsi, le gouvernement chinois ne combat pas les Ouïghours, il les défend, comme il défend l’ensemble de la population chinoise.

 

Le panturquisme

Le terrorisme n'était pas une nouveauté au Xinjiang. Il faut aller chercher ses sources dans le mouvement de libération du Turkestan oriental, mouvement qui s'est auto-proclamé « République indépendante » par deux fois au cours des années 1940. Ces républiques qui couvraient uniquement le district de Kashgar n'ont jamais été reconnues au niveau international. Pour comprendre la revendication d'indépendance des Ouïgours, il est utile de la remettre dans son contexte historique.

Un pilier sur lequel repose le sentiment nationaliste des Ouïgours est la turcologie, une science humaine née au 18ème siècle dans la foulée de l’orientalisme. Elle s'est basée sur des sources musulmanes et chinoises pour mettre en lumière les origines communes de la culture et des langues turcophones d'Asie centrale. Selon la turcologie, les peuples turcophones ont joué un rôle essentiel dans l'histoire eurasienne pré-islamique. Cet héritage important aurait été négligé et rejeté par les Turcs eux-mêmes à partir du moment où ils se sont entièrement tournés vers l'islam.

Un puissant sentiment identitaire s'est alors emparé des peuples turcophones, entre autres le peuple ouïgour dont la langue est turcique, et a engendré le panturquisme. Cette idéologie défend que tous les peuples de la famille linguistique turque sont des Turcs. L'argument est trompeur car des peuples qui parlent une langue d'une même origine ne sont pas forcément, même rarement, d'une même ethnie. Le nombre de locuteurs des langues turciques s’élève à environ 200 millions de personnes dans le monde, réparties sur un territoire allant de l'Europe de l'est à l'Asie centrale et à la Chine. Y voir une seule ethnie turque, c'est comme de prétendre que les personnes qui parlent l'hindi, le persan, le grec ou le français sont tous d'une même ethnie.

Par ailleurs, le nationalisme s'est imposé en Europe suite au « Printemps des peuples » qui, en 1848, a enflammé les capitales européennes, de Paris à Berlin. Avant le 19ème siècle, les idéologies nationalistes étaient inexistantes dans le monde musulman. Ce n'est que sous l'influence européenne que le nationalisme a fait son entrée dans l'empire ottoman et a engendré un panislamisme.

Au début du 20ème siècle, avec la « Grande guerre », la vague nationaliste qui avait touché l'Europe a entraîné la dislocation des quatre empires multiethniques et autocratiques qui dominaient le continent européen : l'empire allemand, l'empire austro-hongrois, l'empire russe et l'empire ottoman. Le nationalisme va alors s'intensifier en Turquie, d'abord parmi les minorités religieuses, puis au sein de la majorité musulmane.

Peu à peu va naître l'idée que les Turcs ont eux aussi une identité nationale distincte qu'il faut préserver en réunifiant les pays musulmans turcophones : Turquie, Turkménistan, Azerbaïdjan, Ouzbékistan, Kirghizstan, Kazakhstan et Chypre du nord, auxquels il faut ajouter certaines minorités nationales de Russie, de Moldavie et de Chine... voici les Ouïgours du Xinjiang !

 

 

Distribution politique des pays et subdivisions autonomes où une langue turcique a le statut officiel.
Distribution politique des pays et subdivisions autonomes où une langue turcique a le statut officiel.

 

 

L'histoire de Isa Yusuf Alptekin

On revient alors à l'histoire qui nous intéresse : le mouvement nationaliste ouïgour qui, au milieu du 20ème siècle, revendique une filiation panturquiste et panislamique. Le mouvement nationaliste ouïgour a été fondé par un intégriste musulman du nom de Isa Yusuf Alptekin. Né au tournant du 20ème siècle, il était le fils d'un haut responsable du gouvernement local du Xinjiang. Dans sa jeunesse, il a reçu une éducation islamique stricte, car sa famille voulait qu'il devienne un érudit musulman, un mullah.

Selon Alptekin qui appelait le Xinjiang, le « Turkestan Oriental », le mouvement séparatiste ouïgour devait se focaliser sur ce territoire. Il fallait le protéger du communisme chinois et soviétique, considérés comme des dangers réels pour les peuples islamiques d'Asie centrale. Dans ses mémoires, Alptekin écrit qu'il « cherchait à éliminer tous les Russes et les gauchistes du gouvernement » et que « les écoles étaient également encouragées à inclure l'instruction religieuse dans leur programme ». Fervent opposant au métissage, il a œuvré pour empêcher les mariages mixtes entre Chinois han et musulmans ouïghours.

Pendant la guerre civile entre les communistes et les nationalistes chinois, Alptekin travaillait dans l'administration du Xinjiang sous les ordres du parti nationaliste du Kuomintang. Il partageait le même acharnement à combattre la « Chine rouge ». Alptekin était d'ailleurs devenu un proche de Tchang Kaï-chek, tête du parti nationaliste chinois. Dès le début de la guerre civile, ce dernier a pu profiter du soutien militaire et logistique des États-Unis. Des milliards de dollars ont été dépensés par l'administration américaine dans la lutte contre la montée du communisme chinois.

Quand le pouvoir du parti nationaliste du Kuomintang a décliné au profit des communistes, Alptekin s'est chargé de faire venir au Xinjiang des consuls états-uniens et britanniques. Il les a imploré de renforcer leur intervention en Chine et, surtout, dans la région du Xinjiang. Ce fut cause perdue puisque Mao a fini par proclamer l'avènement de la République populaire de Chine en 1949. L'année même, Alptekin prend la poudre d'escampette et va se réfugier en Turquie.

 

Là-bas, il se lie d'amitié avec Alparslan Türkes, un ultra-nationaliste pour qui l'éradication du communisme parmi les populations turques de l'Asie centrale et du Xinjiang est « le rêve qu'il chérit le plus ». Alparslan Türkes a longtemps dirigé le Parti d'action nationaliste, un parti d'extrême droite turque, et son bras paramilitaire, les « Loups Gris » qui étaient déterminés à exterminer tous les communistes. Ce groupe néo-fasciste, anticommuniste, anti-grec, anti-kurde, anti-arménien, homophobe, antisémite et antichrétien a tué de nombreux militants de gauche, des étudiants turcs et des Kurdes. Il a même tenté d'assassiner le pape Jean-Paul II le 13 mai 1981 sur la place Saint-Pierre au Vatican.

Türkes a aussi cofondé la cellule turque de l'opération Gladio (« glaive » en italien), le réseau clandestin d'armées anticommunistes de l’OTAN. Ce réseau fut mis sur pied par la CIA et le MI6 (service secret du Royaume-Uni) dans tous les pays de l’Europe occidentale au lendemain de la seconde guerre mondiale. Certaines de ses milices ont été impliquées dans de sombres actes de terrorisme d’extrême droite.

Bref, Isa Yusuf Alptekin n'avait pas que d'excellentes fréquentations ! Depuis la Turquie, il a dirigé le mouvement séparatiste ouïgour tout au long de la seconde moitié du 20ème siècle. En 1970, il s'est rendu à Washington pour rencontrer des membres du Congrès étasunien. Il s'est adressé directement à la Chambre des représentants. À Nixon, il a dit : « La Chine peut s'avérer être une plus grande menace encore pour le monde entier, et cette menace est susceptible de provoquer une destruction totale des nations libres si elles ne sont pas prudentes et prévoyantes. »

Il persuade le chef d’État US de la nécessité d'une vaste propagande médiatique anticommuniste. Son fils, Erkin Alptekin, sera embauché à Radio Free Europe/Radio Liberty (RFE/RL) où il travaillera de 1971 à 1995. Les radios RFE/RL constituent un groupe de communication privé, partiellement financé par le Congrès des États-Unis. Elles diffusent dans 21 pays en 28 langues par ondes courtes, moyennes, FM et, maintenant, par Internet. Son objectif est la dissolution totale de tous les regroupements communistes en Europe et au Moyen-Orient. Le même type de radio existe aussi pour l'Asie, elle se nomme Radio Free Asia.

Les fonds du mouvement séparatiste ouïgour sont fournis par les États-Unis via le National Endowment of Democracy (NED), une ONG fondée par Ronald Reagan, Carl Gershman et Carl Weinstein en 1982 pour remplacer la CIA. En 1986, deux ans après la fondation du NED, Gershman avouait : « Il serait terrible pour les groupes démocratiques du monde entier d’être vus et subventionnés par la CIA. C’est parce que nous n’avons pas pu continuer à le faire que la fondation a été créée ». Cela fut confirmé par Weinstein qui en 1991 déclarait au Washington Post : « Une grande partie de ce que nous faisons aujourd'hui a été fait secrètement il y a 25 ans par la CIA. »

 

Le World Uyghur Congress (WUC)

Après la mort d'Alptekin en 1995, c'est son fils Erkin Alptekin qui prend la direction du mouvement séparatiste ouïgour. Son emploi à la RFE/RL l'a mis en contact avec le frère aîné du dalaï-lama, Thubten Norbu, qui, depuis son exil aux États-Unis en 1951, dirige Radio Free Asia. Les deux radios ont les mêmes sponsors et les mêmes objectifs, l'une pour l'Europe, l'autre pour l'Asie, et plus spécialement pour la Chine. Par ce biais, Erkin Alptekin est devenu un « ami proche » du dalaï-lama, figure de proue du séparatisme tibétain qui, lui aussi, a été soutenu par la CIA, puis par le NED. « Nous travaillons en étroite collaboration avec le dalaï-lama, il est un très bon exemple pour nous », a déclaré Erkin Alptekin au Washington Post en 1999.

En 2004, Erkin Alptekin fonde le World Uyghur Congress (WUC) dont le siège se trouve à Munich. Le WUC évolue en un réseau international qui compte 33 affiliés dans 18 pays à travers le monde. L'International Campaign for Tibet (ICT), plus connue sous le nom de ses filiales « Free Tibet », a suivi le même parcours. Tant le WUC que l'ICT sont en partie financés par le NED. Si l'ICT revendique l'indépendance du « Grand Tibet » - avec un bémol d'autonomie qui s'annule en lisant sa Charte -, le WUC considère que la région du Xinjiang est le Turkestan Oriental. Pour le WUC, les habitants musulmans ouïgours du Xinjiang ne sont pas des citoyens chinois mais les membres d'une nation panturque qui s'étend de l'Asie Centrale (Xinjiang compris) à la Turquie.

Le WUC et ses ramifications - Uyghur American Association (UAA), Uyghur Human Rights Project (UHRP) et Campaign for Uyghurs - sont composés d'individus ayant des liens directs avec le gouvernement et l'armée des États-Unis. En tête, son fondateur, Erkin Alptekin, est un conseiller de la CIA, il partage avec le Congrès américain le dessein de déstabiliser la Chine et de renverser son gouvernement.

Le WUC et ses organisations affiliées ont aussi noué des liens avec les Loups Gris activement engagés dans la lutte armée, de la Syrie jusqu'à l'Asie de l'Est. Les liens entre le WUC et l'extrême droite turque ne semblent nullement troubler leurs sponsors états-uniens. Au contraire, cela renforce l'attrait du réseau en en faisant l’une des armes politiques les plus puissantes utilisées par les États-Unis dans leur nouvelle guerre froide contre la Chine.

En 2006, Erkin Alptekin a été succédé à la présidence du WUC par Rebiya Kadeer, une entrepreneure ouïgoure qui a fait fortune dans l'immobilier et le commerce. Elle est née au Xinjiang et, comme nombre d'exilés ouïgours, elle réside à présent dans l’État américain de Virginie. Le mari de Kadeer, Sidik Rouzi, a pris le relais de Erkin Alptekin pour diriger Radio Free Asia. Celle-ci s'est vue renforcée par Voice of America, deux médias privés du gouvernement états-unien, financés par le NED.

Un an avant son investiture, Rebiya Kadeer déclarait dans un discours à Washington : « Nous pourrons réaliser tous les objectifs si les Ouïgours et les Tibétains combattent ensemble pour le droit de l'homme et la démocratie ». Elle est aussi devenue une « grande amie du dalaï-lama ». Est-ce pour cela qu'elle fut nominée cinq fois pour le prix Nobel de la paix ?

Au cours de son mandat qui va durer 11 ans, de 2006 à 2017, Kadeer rencontre à plusieurs reprises le président George W. Bush, celui-là même qui a engagé une guerre illégale contre l'Irak. Elle l'appelle à défendre la cause indépendantiste des musulmans ouïgours. On la voit poser sur des photos, une fois à côté de Bush, une autre fois entre le dalaï-lama et le leader de la « révolution de velours », Vaclav Havel, grand partisan de l'OTAN. Tout cela fleure bon le capitalisme de l'oncle Sam.

 

 

   

 

 

L’actuel président du WUC est Dolkun Isa, lauréat du « prix de la démocratie 2019 » octroyé par le NED. En 2016, Isa a encore reçu le « prix des Droits de l'Homme » de la « Victims of Communism Memorial Foundation », un organisme d'extrême droite créé par le gouvernement états-unien en 1993. Un des Senior Fellow de cet organisme est Adrian Zenz qui se présente comme « directeur des études sur la Chine ». Ses recherches portent sur « la politique ethnique de la Chine, la campagne d'internement de masse, de sécurisation et de travail forcé au Xinjiang, le recrutement public et la réduction coercitive de la pauvreté au Tibet et au Xinjiang. » C'est lui qu'on trouve comme acteur principal de la propagande états-unienne concernant le Xinjiang. On y reviendra.

Dans son discours d'investiture, Dolkun Isa vante la résistance des Ouïgours au communisme. « Nous n'arrêterons pas notre travail tant que nous n'aurons pas relégué cette idéologie destructrice, selon les termes de Ronald Reagan, au 'tas de cendres de l'histoire' », déclare-t-il. Ses propos sont en désaccord avec l'image soigneusement cultivée du WUC qui s'autoproclame « organisation pacifique et non-violente » qui ne s'occupe que de « démocratie », de « liberté d'expression » et de « défense des droits de l’homme ».

 

Le Mouvement Islamique du Turkestan Oriental (ETIM)

La Turquie a accueilli une grande partie de la diaspora ouïgoure. Au sein de celle-ci se sont reconstitués des groupes indépendantistes qui entretiennent des liens avec l'extrême droite turque. Le président turc Erdogan a été accusé de tolérance à leur égard, mais le gouvernement turc nie tout soutien à ces groupes. Le WUC a pourtant appelé Erdogan à intervenir activement en Chine, avec la même virulence qu'il a pu le faire au Moyen-Orient (Syrie, Irak) et en Méditerranée (Lybie) où il ne cesse d'avancer ses pions.

Les représentants du WUC insistent auprès d'Erdogan argumentant que des centaines de milliers de Ouïghours sont prêts à s'enrôler dans l'armée turque et à « se battre pour Dieu » si le président turc le leur ordonnait. D'où viennent ces combattants ouïgours si le WUC et ses ramifications sont exempts de toute violence tel qu'ils le proclament ? Qui sont ces Ouïgours prêts à se battre pour Dieu ?

C'est ici qu'intervient le Mouvement Islamique du Turkestan Oriental (ETIM). L'ETIM a été fondé au début des années 1990 par un militant ouïgour, Hassan Mahsum, né en 1964 dans la préfecture de Kashgar. Influencé par l'islamisme radical, il s'est lié au mouvement pour l'indépendance du Turkestan oriental. Pour lui, la Chine est une puissance occupante qu'il faut combattre par les armes pour libérer le Xinjiang afin qu'il devienne un État islamique basé sur la charia. Mahsum a déplacé les opérations de l'ETIM vers l'Afghanistan et le Pakistan pour échapper aux contrôles chinois.

 

L'ETIM a rapidement établi des liens avec des groupes djihadistes des pays voisins, comme les talibans, Al-Qaïda et DAECH. Il a bénéficié de leur soutien logistique, financier et militaire. Des camps d'entraînement pour les Ouïgours recrutés par l'ETIM ont été installés dans des zones reculées du Pakistan et de l'Afghanistan. Dans les années 1990, de plus en plus de Ouïgours radicalisés ou marginalisés se sont mis en route pour rejoindre ces camps. Les groupes djihadistes leur promettaient de lutter avec eux pour la liberté du Xinjiang et pour la création d’un État islamique. Les réseaux djihadistes internationaux, la porosité des frontières, les routes clandestines entre le Xinjiang et l'Afghanistan et le Pakistan ont facilité leur transfert et leur intégration dans les groupes combattants.

Cela me rappelle que lors de mon voyage sur la Route de la soie en 1993, un père de famille afghan qui nous logeait dans sa demeure à Karimabad était fier de me montrer que sous le pan de porte qui me servait de lit était cachées des caisses de Kalachnikov et de munitions. Je ne lui ai pas demandé comment ces armes s'étaient retrouvées là, je ne parlais pas l'afghan. Mais cela m'a posé la question de qui subsidiait l'armement des terroristes ? L'implication du gouvernement et du Congrès américains, via la CIA et le NED, s'avérait l'option la plus plausible. C'est ce que j'ai pu vérifier par la suite.

Hassan Mahsum a été tué en 2003 par les forces armées pakistanaises lors d'une opération près de la frontière afghane. Sa mort a marqué un coup dur pour l'ETIM, mais le groupe a continué à recruter des jeunes Ouïgours de Chine. Les leaders de l'ETIM ont rejoint le Parti Islamique du Turkestan (TIP), une organisation qui partage des objectifs similaires mais qui a dirigé ses activités vers des conflits internationaux. La migration ouïgoure s'est poursuivie dans les années 2000 et 2010, les combattants étant directement conduits à des camps d'entraînement en Syrie, en Irak et en Turquie.

En 2011, avec le déclenchement de la guerre civile en Syrie, la migration s'est intensifiée. De plus en plus de Ouïgours sont arrivés dans les provinces d'Idlib et de Lattaquié en Syrie. On parle de 8000 à 15000 Ouïgours qui ont rejoint les groupes extrémistes entre 2014 et 2019. Aux côtés des djihadistes d’Al-Qaïda et de DAECH, les combattants ouïgours se sont impliqués dans la guerre contre l'armée syrienne. Lors de la conquête de Damas les 7 et 8 décembre 2024 par le groupe islamiste Hayat Tahir al-Sham (HTS), on a vu le drapeau bleu du Turkestan oriental fièrement brandi par des combattants ouïgours qui paradaient aux premiers rangs de cette victoire. La chute de Bachar el-Assad est pour les extrémistes ouïgours un premier pas de la « guerre sainte » qu'ils comptent mener contre le gouvernement chinois.

Une autre manière de voir la chute du gouvernement syrien est de se souvenir que pendant 13 longues années, c'est le peuple syrien tout entier qui a défendu l’unité nationale, qu'il s'est battu pour conserver une république laïque et religieusement tolérante. Cette victoire a signé la mort d’un État multiconfessionnel et multiethnique dirigé par un gouvernement d’orientation socialiste qui, pendant des décennies, a représenté un allié clé des peuples du Moyen-Orient, à commencer du peuple palestinien, dans leur résistance contre l’impérialisme.

À force de rester en place et de reprendre le contrôle d’une grande partie du pays grâce au concours d'une armée nombreuse et loyale, le gouvernement syrien était parvenu à affaiblir les prétentions occidentales au Moyen-Orient. Dès lors, on comprend que la victoire sur Damas a été saluée avec enthousiasme par nos médias, nos politiques, nos gouvernements : « Il aura fallu douze jours pour mettre fin à un demi-siècle de dictature en Syrie. À Damas, la capitale, nous avons partagé la liesse des habitants », commente un documentaire sur RTBF-Auvio.

Triste victoire !