Visite d'une ferme dans la région de Kashgar

par Élisabeth Martens, le 18 octobre 2024

Lors d'un voyage au Xinjiang réunissant quelques journalistes indépendants belges, à la fin du mois de septembre 2024, nous avons été reçu par un couple de fermiers ouïghours.

 

Nous entrons dans un village ouïghour situé à une petite heure de route de Kashgar. La rue principale est protégée du soleil par des vieux eucalyptus. Dans une vaste demeure bien rénovée, à la sortie du village, nous sommes accueillis par un couple de fermiers qui vit au village « depuis toujours ». Une longue table est dressée où nous attendent des raisins, des dates, des figues, des pommes, des « nan » (pains plats de la région), des graines de tournesol et du thé.

Sur la terrasse, la table est dressée
Sur la terrasse, la table est dressée

Le fermier nous accompagne au jardin en passant sous une pergola où des grappes de gros raisins blancs nous font de l’œil. « Servez-vous! », nous dit-il en souriant. Il nous mène à travers des plants de figuiers et, au passage, en cueille quelques poignées qu'il nous tend. Elles sont suaves, délicieusement douces. Au fond du jardin, quelques chèvres et brebis bêlent en signe de bienvenue.

Puis nous retournons vers la terrasse et nous nous installons autour de la table. Le fermier, un peu intimidé, répond à nos questions. Son épouse nous sert le thé au jasmin. Nigar, notre aimable interprète qui jongle entre l'anglais, le mandarin et l'ouïghour, les interroge en ouïghour, seule langue parlée par le couple.

 

Notre hôte nous offre des figues fraîches
Notre hôte nous offre des figues fraîches

Il est né en 1951, il a commencé à travailler avec ses parents dans l'agriculture à l'âge de 15 ans. C'était une petite entreprise familiale où ils cultivaient du maïs, du tournesol, diverses céréales, des melons et d'autres fruits. Mais leur entreprise n'a jamais été très rentable, elle suffisait juste aux besoins de la famille.

Notre hôte a repris la ferme de ses parents quand ceux-ci se sont faits trop âgés et, avec son épouse, ils ont travaillé dur. Mais ils n'ont jamais réussi à augmenter la production de manière significative, même en ajoutant un élevage de petit bétail (moutons, chèvres, oies, etc.) à leurs activités agricoles. Ils ont eu trois enfants qui, à présent, sont grands et ont quitté la ferme, « mais ils vivent encore tous les trois au village », tient-il à préciser. Le fils aîné a ouvert son propre business, la fille aînée travaille dans le commerce de l'or à Kashgar et la dernière a un emploi de fonctionnaire à l’administration de Kashgar.

Le couple a eu la chance de bénéficier des subsides que l’État a distribué aux fermiers de la région en 2017. Ils ont pu investir dans de nouvelles plantations, surtout des figuiers qui se sont avérés faciles à entretenir et très rentables, et encore dans d'autres arbres fruitiers comme des abricotiers, des poiriers, des dattiers et des pruniers. Ils ont pu ouvrir trois magasins où ils vendent à présent leurs produits. En 2018, ils ont entièrement rénové la maison, une belle demeure ancienne comptant 10 chambres.

En 2017, Xi Jinping a été reconduit pour un deuxième mandat à la tête du Parti communiste chinois lors du 19ème Congrès du Parti. Ce moment a marqué un renforcement de sa politique d'unité nationale et de sécurité intérieure. Le Xinjiang est une région sensible sur le plan politique, avec une population à 55% ouïghoure, un chiffre qui, dans la région de Kashgar, grimpe à 92%. Pékin considère cette région comme un foyer potentiel de contestation et de séparatisme.

La Chine faisait face à des attentas terroristes sanglants qui ont fait des milliers de victimes. Pour assurer la sécurité des citoyens, qu'ils soient Ouïghours, Han ou autres, elle a mobilisé l'armée, la police et le Bureau de la sécurité publique. La répression a été fermement menée. Cependant, la principale méthode a consisté à tenter de remédier aux conditions qui favorisent le terrorisme, l'extrémisme religieux et le séparatisme. En développant l'économie de la région, le gouvernement a voulu prévenir d'autres troubles : une économie locale florissante est un moyen de réduire les frustrations et de limiter les sentiments séparatistes.

C’est dans ce cadre que le gouvernement a alloué un budget de plusieurs milliards de yuans au Xinjiang, avec des investissements visant à moderniser l'agriculture, à renforcer les infrastructures et à soutenir les agriculteurs locaux.

 

Cette allocation avait trois objectifs :

  • améliorer les conditions de vie des populations locales et réduire la pauvreté, ce qui faisait partie d'une politique nationale plus vaste de lutte contre la pauvreté qui, en 2024, a abouti à avoir sorti 800 millions de personnes de la pauvreté extrême en 40 ans ;
  • apaiser les tensions séparatistes et extrémistes et promouvoir un sentiment national ; en renforçant les liens économiques avec la Région autonome du Xinjiang, le gouvernement central espérait intégrer davantage le Xinjiang dans l'économie chinoise et promouvoir un sentiment d'appartenance à la nation chinoise ;
  • garantir la réussite de l'initiative des nouvelles routes de la soie (BRI) : 2017 était aussi une période où la Chine renforçait ses efforts pour faire de la BRI (la Nouvelle Route de la soie) une priorité de sa politique étrangère. Le Xinjiang devait devenir une plaque tournante commerciale et logistique de la BRI. Si Pékin a investi des milliards dans l’agriculture, les infrastructures et le développement rural du Xinjiang, c'était aussi pour stabiliser la région en vue de garantir la réussite de cette initiative.