La « Heartfulness » du dalaï-lama
par Elisabeth Martens, le 1 mars 2019
Depuis son Prix Nobel de la Paix en 1989, le dalaï-lama s'est hissé au sommet des représentants de la paix dans le monde. Il a initié des millions d'adeptes aux arcanes du Kalachakra1 les convertissant au bouddhisme tibétain, il a alimenté les liens entre le bouddhisme et les sciences occidentales, et il s'est impliqué dans la diffusion des méditations de Pleine conscience, ou « Mindfulness ». Le dalaï-lama s'est encore activé pour trouver une petite soeur à la « Mindfulness » : la « Heartfulness », née en 2005 à Vancouver.
C'est pour concrétiser son souhait d'instaurer la paix dans le monde que le dalaï-lama a initié le projet « Heartfulness », nous dit-on. Le projet du dalaï-lama touche plus particulièrement la petite enfance et le secteur éducatif. Pour quelle raison a-t-il cru bon d'ajouter une « Heartfulness » à la « Mindfulness » déjà existante? Celle-ci était-elle trop soucieuse de nos seules performances mentales?
Selon sa Sainteté, si les connaissances qu'acquièrent les enfants pendant leur parcours scolaire relevaient autant du relationnel que du purement intellectuel, ils deviendraient les acteurs d'un monde pacifié et plus juste, plus égalitaire et plus solidaire. Des études menées par des sociologues ont effectivement montré que l'apprentissage intellectuel est favorisé par un climat social et émotionnel bienveillant. On ne peut qu'applaudir, mais fallait-il faire appel à sa Sainteté et à une équipe scientifique pour prouver qu'apprentissage cognitif et environnement émotionnel sont étroitement liés ? Il suffit parfois d'un peu de bon sens.
La Heartfulness se fonde sur « le défi que s'est lancé le dalaï-lama d’éduquer le cœur des enfants et d'aider à créer un monde plus compassionnel et plus paisible », précise le site dédié à l'association.2 Le premier centre de « Plénitude du Coeur » qui s'est ouvert à Vancouver se nomme « The Dalaï-lama Center for Peace and Education ». Le site précise que « l'organisation n'a pas d'objectif lucratif ni politique et elle est 'non-religieuse' », donc laïque, suppose-t-on. C'est pourtant clairement celui qu'on appelle le « pape du bouddhisme » qui est à l'origine de l'initiative. Certes, un changement de mentalité se doit de démarrer de l'éducation, tout le monde est d'accord avec sa Sainteté, mais est-il souhaitable que ce virage s'inscrive dans le contexte du bouddhisme ?
Le projet « Heartfulness » initié par le dalaï-lama a rapidement débordé du Canada pour se diriger vers les États-Unis, puis vers l'Europe. En France, le premier institut « Heartfulness » a ouvert ses portes en 2017. Tout comme pour la Mindfulness française, son inspiration bouddhiste s'est soudainement perdue dans la nature. L'institut parle toutefois d'une transimission « yogique pranahuti » et « d'une énergie vitale, douce et subtile qui touche le cœur, clarifie et allège son atmosphère en évacuant tout ce qui l’encombre. » Mais il est aussi précisé que « la Heartfulness est un idéal, une manière de vivre par le cœur et depuis le cœur, au-delà de toute croyance, idéologie et religion. »3 Heartfulness et Mindfulness utilisent le même stratagème : la mise en évidence de leur caractère laïque ; cela les rend crédibles et permet d'élargir leur réseau de diffusion.
Le dalaï-lama a visé juste en touchant le coeur et l'affect des plus jeunes. Un cerveau en maturation est prêt à se modeler, à s'accomoder, à s'adapter à ce qu'on lui demande, c'est son rôle physiologique. L'entrée de la Heartfulness dans les écoles maternelles et primaires, mais aussi de la Mindfulness dans les écoles moyennes et supérieures, n'a rien d'innocent. Nous donnons le cerveau de nos enfants en pâture à une idéologie qui, comme la plupart des idéologies institutionnalisées, est liée à des intérêts politiques et économiques. N'est-il pas absurde de laisser une religion nous envahir, même si elle propose des techniques bénéfiques à la santé ? Nous connaissons les méfaits qu'ont causés et que causent encore les institutions religieuses, de quelle qu'obédience que ce soit.
Les jeunes sont particulièrement malléables, or que leur apprend la méditation de Pleine conscience, outre le bien-être d'une « tête vide » ? Certainement pas la révolte : la colère est un des pires poisons pour le bouddhisme ; ni l'esprit critique qui demande un peu de réflexion, ce qui paraît difficile à combiner avec une tête vide. Par contre, ils apprennent à respecter les règles au sein d'un groupe, la bonne entente entre les membres du groupes et avec les supérieurs, l'ordre établi par une hiérarchie. Ce comportement digne de « bons profils » se répercutera à l'âge adulte dans le monde du travail.
Notes :
1 http://tibetdoc.org/index.php/religion/bouddhisme-tibetain-au-tibet/448-l-initiation-de-kalachakra