Un livre sur l’expédition SS au Tibet et les liaisons sulfureuses du dalaï-lama : « Opération Shambala » de Gilles van Grasdorff

par Albert Ettinger, le 19 mai 2016

Le Belge Gilles van Grasdorff est journaliste, (ancien ?) correspondant du principal quotidien luxembourgeois (catholique conservateur, très à droite) et un proche du dalaï-lama. Il y a vingt ans, il a commencé à publier des livres sur le Tibet, bien plus d’une douzaine à ce jour, dont des titres de propagande antichinoise comme, par exemple, « Terre des dieux, malheur des hommes : Sauver le Tibet », qui rassemble ses entretiens avec le dalaï-lama. Il s’est penché sur le sort du Panchen Lama, otage de Pékin, a raconté la vie de Jetsun Pema, la sœur cadette de Tenzin Gyatso, et s’est lié d’amitié avec le médecin personnel de celui-ci, une amitié qui a conduit à la biographie intitulée « Le Palais des arcs-en-ciel ». Il a écrit une biographie du 14ième « Océan de la Sagesse » qui, pour être non autorisée, n’en est pas moins un véritable panégyrique.

 

Il sera donc difficile de dénoncer ce livre (Presses du Châtelet, 2012) sur des SS au pays des dalaï-lamas comme « un coup monté des Chinois ». C’est ce que fit Heinrich Harrer quand, à l’occasion de la sortie du film de Jean-Jacques Annaud, les antécédents nazis, SA et SS, de ce grand ami du dalaï-lama furent étalés au grand jour par le journaliste autrichien Gerald Lehner. Et c’est sans doute ce que d’aucuns voudraient faire encore, car le livre de van Grasdorff a le grand mérite de confirmer les pires reproches adressés au dalaï-lama par ses critiques les plus sévères.

 

Tout d’abord, en lisant le prologue, l’admirateur de « Sa Sainteté » peut pousser un grand soupir de soulagement, car van Grasdorff atteste que ni « le dalaï-lama ni sa famille ne peuvent… être accusés d’une quelconque complaisance à l’égard des cinq nazis qui arrivent à Lhassa au mois de janvier 1939 et en repartent au mois d’avril. »

Malheureusement, le soulagement ne dure pas longtemps, puisque déjà le prologue finit comme ceci : « La Seconde Guerre mondiale finie, Ernst Schäfer, Bruno Beger et les autres membres de l’expédition SS au Tibet, suivant les recommandations d’Heinrich Harrer, rétablissent le contact avec le quatorzième dalaï-lama. Une forte amitié les lia dès lors. Le dalaï-lama savait-il ce qui leur était reproché ? » (p. 18)

 

Van Grasdorff nous donne par la suite tous les détails de ces reproches. Il ne lâche pas d’une semelle les membres de l’expédition SS de 1939 (qui avait pour principal objectif de trouver les origines de la race aryenne au Tibet !) et continue de les suivre après leur retour précipité au « Reich ».

Ils y sont par la suite impliqués dans les pires atrocités nazies : à Auschwitz et à Dachau, ou Schäfer et Krause participent à des expérimentations mortelles sur des cobayes humains, et au camp de Natzweiler-Struthof près de Strasbourg, où le criminel de guerre August Hirt reçoit les 86 « spécimens » juifs choisis à Auschwitz par son collègue Bruno Beger et destinés, après leur assassinat, à faire partie de sa collection de crânes et de squelettes des « races inférieures ».

 

(Il s’agissait de 19 femmes et de 26 hommes originaires de Grèce, de 23 Allemands et trois Allemandes, de six femmes belges, de quatre Polonais, de deux Néerlandais, de deux Français et d’un Norvégien.)

 

Quant à Heinrich Harrer, Grasdorff confirme qu’il fut un nazi de la première heure, un SS pur et dur et « un des symboles du IIIe Reich » qui sut, après la fin de celui-ci, brouiller les pistes et passer pour un simple « alpiniste autrichien ».

 

Et le dalaï-lama dans tout ça ?

 

La petite phrase du prologue qui innocente explicitement l’actuel dalaï-lama et sa famille pour ce qui est de l’accueil privilégié des SS à Lhassa en 1939, elle ne fait au fond que démentir ce que personne n’a jamais affirmé ! Bien-sûr que le dalaï-lama, qui n’avait alors que quatre ans et qui se trouvait toujours dans son Qinghai natal, ne peut être rendu personnellement responsable de l’accueil chaleureux que le gouvernement de Lhassa réservait aux SS.

Mais dans son épilogue, après avoir relaté la rencontre très chaleureuse, elle aussi, entre le dalaï-lama et plusieurs amis SS, criminels et idéologues nazis, à Londres en plein milieu des années 1990, van Grasdorff tire des conclusions bien différentes.

« Les invités ont été triés sur le volet. (…) Heinrich Harrer, l’alpiniste SS passé à la CIA, est là. Bruno Beger, autre officier SS, condamné à trois ans de prison avec sursis pour complicité dans l’affaire des squelettes d’Auschwitz et du KL-Natzweiler-Struthof, est là aussi. Sans oublier Miguel Serrano, (…) une figure du néonazisme. »

 

Vient alors cette autre petite phrase remarquable : « Le dalaï-lama n’ignorait rien. » (p. 397)

 

Pour finir, j’ajoute une remarque personnelle sur l’inévitable « argument » des inconditionnels de « Sa Sainteté », invoqué à chaque fois qu’on parle des amitiés sulfureuses de leur gourou : « Mais parmi ses amis, il y a aussi bon nombre de gens tout à fait honorables et respectés ! » Cela ne peut convaincre personne ; chaque patron de la mafia entretenant d’excellents rapports avec les milieux cléricaux et politiques de sa zone d’activités pourrait en dire autant.

 

Et puis, avec qui le dalaï-lama a-t-il choisi de fêter son 80e anniversaire, le 1er juillet 2015, après que ses amis nazis sont déjà allés en enfer ? Avec un autre criminel de guerre : son grand ami George W. Bush !