Les spectateurs du désert
par Jean-Paul Desimpelaere, le 30 janvier 2011
La Chine compte plus de 6 millions de postes d’observation du désert. Ceux-ci servent accessoirement à prendre des photos des dunes de sable, mais ils sont surtout destinés à observer comment se comporte le désert. La préoccupation première est de mesurer les avancées et les reculs du désert. En l’espace de 5 ans (2005-2009), ces postes ont récoltés 250 millions de données qui ont été inventoriées de façon dynamique. Elles montrent que les déserts ont très légèrement reculés tout au long de cette période d'observation. Cependant, le recul est très léger, de 0,5%. Dans les cinq années précédentes (2000-2004), le recul était d’environ 1%, ce qui est peu, mais on est soulagé d'apprendre qu'il n'y ait pas d'extension.
La Chine compte 2,7 millions de km2 de zone désertique et 1,7 millions km? de sols « sableux ». Ces derniers sont des sols contenant du sable ou des cailloux avec une végétation clairsemée. Au total, ces deux types de sols occupent la moitié de la Chine et constituent ainsi une superficie comparable à l’Union Européenne. Nous en avons trop peu conscience car, de la Chine, on nous bombarde des images des mégalopoles comme Shanghai ou Canton.
Cette étude scientifique a systématisé les causes de la désertification ou de la semi-désertification : érosion hydrique ou éolienne, gel, salinisation et ainsi de suite. Elle a aussi classé le type de terrain, désert ou terres partiellement sablonneuses, selon leur localisation. Mais elle comporte trop de détails pour tous les citer.
Quelques grandes lignes valent néanmoins la peine d’être évoquées. Certaines sont déjà connues : les régions asséchées se situent presque toutes dans les provinces à forte présence de minorités ethniques du nord et de l’ouest : Mongolie intérieure, Gansu, Qinghai, Tibet et Xinjiang. Xinjiang et Qinghai constituent ensemble 60% de ces régions. Seulement 5% se trouvent dans d’autres provinces.
Dans chacune de ces régions, un phénomène d’arrêt, puis de léger recul de la désertification a été constaté. Les meilleurs résultats sont observables en Mongolie intérieure et dans les 5% de terres situées dans les autres provinces. Pourtant, si l’on n’y veille pas, en Mongolie intérieure, 0,3 millions de km? risquent de s’ensabler, ce qui représenterait quelques 3% supplémentaires du territoire chinois. De plus, certaines provinces qui ont un résultat encourageant voient des parties de leur territoire reculer. Ceci est le cas pour le bassin de Tarim dans la province du Xinjiang et pour les prairies du nord-est du Sichuan. La cause principale en est le surpâturage et l’utilisation irrationnelle de l’eau.
Comment se fait-il que l’expansion des déserts se soit arrêtée en Chine ? En fait, le moyen est simple : de l’argent a été libéré et la population a été mobilisée. Ce sont surtout des agriculteurs locaux ou en chômage technique qui se sont organisés par groupes ; des jeunes arbres leur sont distribuées et chaque planteur reçoit une compensation financière pour le travail fourni. Pour l'agriculteur, cela devient un nouveau job, ou un job supplémentaire.
La problématique de la désertification leur est d'abord expliquée, ensuite un mouvement collectif se met en route rassemblant des autochtones sensibilisés au problème. Une loi régionale les soutient, qui limite le surpâturage, la confiscation exagérée des terres pour la construction, le ramassage de bois. C'est ce qu'on appelle là-bas les « trois interdits ». On honore même les « héros nationaux de la lutte contre le sable ».
La désertification reste toutefois le problème écologique majeur pour la Chine. Les efforts fournis jusqu'ici n'ont pas encore abouti à une réelle victoire. Dans les régions semi désertiques où la végétation est faible, l’influence humaine reste nocive et les mesures prises par les responsables nationaux ne rencontrent pas toujours l'enthousiasme des populations locales. Le gouvernement ne voit qu’une solution pour créer un peu d'enthousiasme : récompenser financièrement les agriculteurs qui plantent des arbres en vue de garder et d'améliorer l’équilibre écologique. Il est aussi très important de savoir qui gère quoi : « qui est responsable pour cette partie du bois, de ces buissons ou de cette prairie ».
Si cela peut nous semble étrange, c'est parce que nous nous représentons trop souvent la Chine comme un « mastodonte bureaucratique ».
Celui qui apprend à connaître la Chine sait que la réalité est toute différente à un niveau local. Il ne pourrait d'ailleurs pas en être autrement dans un pays aussi vaste. Une bureaucratie uniforme et qui ne tient pas compte des réalités locales serait incapable de combattre le désert ; les fonctionnaires n’auraient pas envie de quitter leur sofa pour aller planter des arbres. Non, maintenant tout le monde est impliqué dans la lutte contre la désertification, par un contrat avec le gouvernement, avec compensation à la clef : « voici de l’argent, allez planter des arbres dans le désert ».
A côté de cela, des moyens sont évidemment libérés pour la recherche scientifique, afin de déterminer quelles espèces sont les plus appropriées à planter.