Retour au Tibet en octobre 2008
par Pierre Charbonnier, Président de l’Association France-Chine d’Alsace, le 29 novembre 2008
Comment un village perdu provoque une réflexion sur les dimensions politiques et ethnographiques du Tibet
Lundi ,13 octobre 2008
Je suis dans un misérable village d’environ 60 foyers. Le paysage est celui de l’ancienne province de L’Amdo appelée au fil des siècles « Kokonor », puis « Qinghai ». C’est celle décrite par ALEXANDRA DAVID NEEL : « de l’herbe, rien que de l’herbe sur des montagnes arrondies comme les ballons en Alsace », sauf, que le village est environ à 3000 mètres et le cirque montagneux devant moi doit frôler les 4500 mètres. Ce village, bien
qu’une route défoncée y passe, bien que l’électricité y apporte un peu de confort, vit au rythme ancestral des récoltes, (colza, lin, pommes de terre …) et de l’élevage. La population, composée pour moitié de Tibétains, moitié de Hans (chinois) plus quelques Musulmans (Huis) semble survivre plus que prospérer. Sur quelques toits des drapeaux de prière en lambeaux indiquent une religion « lamaïque » (bouddhisme tantrique tibétain) sur le déclin au profit dans la région de l’Islam. Ce village abandonné à l’écart de tout appelé aujourd’hui Hongai dans le bourg de Shihuiyao, autrefois Tagster, et bien, c’est là qu’en 1935 est né TENZIN GYATSO le XIVe dalaï-lama (DL). Sa maison, qui fut un temps l’école du village est surveillée par une lointaine cousine.
Cette dernière ne peut ou ne veut pas la faire visiter, les autorités ne tenant sans doute pas à en faire un lieu de pèlerinage le jour de la disparition de l’illustre enfant du pays. NORBU , le frère ainé du DL dans son livre « Le Tibet » (1965) a écrit : « je viens d’une famille de paysans de l’Amdo , région qui tomba autrefois sous la juridiction du gouvernement Chinois et nous ne nous sommes jamais considéré comme Tibétains ».
Cet autrefois, ce fut, il y a bien longtemps en effet. « C’est en 1724 que cette région est devenue définitivement Chinoise , » nous dit LAURENT DESHAYES dans « l’Histoire du Tibet », ouvrage de référence en la matière. Ce que certains utilisent l’appellation « Grand Tibet » ou « Tibet historique » est plus un mythe qu’une réalité en effet, il en fut de même pour le Kham, autre province coupée en deux vers 1700, toute sa partie orientale - c’est à dire à l’est du Yangze - étant annexée par la Chine. De facto, les conquêtes du Ve DL au XVII siècle restaient plus ou moins dans les confins de l’actuel Tibet.
De même, le Tibet de l’indépendance auto proclamée (38 années de 1913 à 1950) fut à peine plus étendu que la Région Autonome du Tibet ( RAT ) actuelle crée en 1965. Ces oublis historiques sont savamment entretenus en occident, y compris au moyen de cartes géographiques parfois truquées, le but étant de laisser croire que toutes les régions peuplées de Tibétains - « Tibet ethnographique » - ont été jusqu’en 1950 sous l’autorité politique du DL. C’est un bel exemple de désinformation.
Réflexions à partir d’observations faites dans le train le plus haut du monde---
Mercredi 15 octobre
La sécurité dans le train.
Je suis affublé d’un brassard rouge d’auxiliaire de police. C’est ainsi dans chaque wagon, un volontaire est choisi pour assurer la sécurité des voyageurs. .Ce matin au réveil après Golmud , le chef du train accompagné de 2 policiers plus quelques personnels, a fait l’aller retour brandissant une pancarte sur laquelle il était écrit : « Dynamite, explosifs, c’est dangereux, il faut les donner si vous en avez. » Cela pourrait prêter à sourire quelques beaux esprits Français mais, à l’évidence l’esprit civique n’est pas en Chine ce qu’il est chez nous.
Le pillage des ressources Tibétaines ?
La voie ferrée suit la route d’accès principale à la RAT : route nord –sud à travers les hauts plateaux ; ce fut celle des caravanes autrefois. Sur cette route , je vois de façon intermittente des colonnes de camions dans chaque sens ; Ceux qui roulent vers Lhassa sont chargés de 4x4 neufs, grumes de bois en provenance de la Sibérie orientale Russe ( Au delà du fleuve amour), de matériaux divers et de denrées alimentaires …dans l’autre sens les camions s’en retournent presque tous à vide, à croire que le pillage économique de la RAT tant annoncé (exploitation des ressources minières de la région) est soit terminé, soit non encore commencé. (La France s’est-elle jamais interdite l’exploitation du nickel, chrome, cobalt, etc … en Nouvelle Calédonie). Ce qui est certain c’est que la RAT vit sous perfusion.
La sédentarisation des nomades.
Cà et là, le long du chemin de fer, d’une route ou du fleuve jaune ont été construits des villages de sédentarisation pour nomades. A priori non encore occupés en octobre ils sont à leur disposition dès que les intempéries arriveront. Cette sécurisation hivernale présente un double avantage :
— Pour les nomades, leur éviter ce que j’ai vu dans un reportage sur la Mongolie. A l’occasion de conditions climatiques locales extrêmes une famille avait perdu la totalité de son troupeau et se retrouvait complètement démunie dans les bidonvilles de la capitale Oulan-Bator et c’est loin d’être un cas isolé.
— Pour les autorités locales : mieux contrôler les descendants de tribus toujours turbulentes(Goloks).
J’ai ainsi pu voir dans la préfecture tibétaine de Huangnan, non loin de Tongren, une famille et son troupeau de yacks à proximité immédiate d’un tel village, vivant encore sous la tente traditionnelle, laquelle tente était accolée à une batterie de panneaux solaires mobiles reliés à une antenne parabolique satellitaire. Alors, bien entendu, les grincheux ne manqueront pas de dire que les nomades perdent leurs liberté, qu’on veut faire leur bonheur malgré eux ; c’est en parti vrai. Mais comment empêcher les jeunes de résister à plus de confort, à la moto, TV etc. ? * Les professionnels de la montagne des vallées des Bellevilles en Savoie (station des Menuires), voudraient –ils aujourd’hui vivre, comme j’ai vu dans mon enfance, vivre leurs grands-parents, dans les hameaux autour de Saint- martin de Belleville, dans une pièce unique, partie étable à vache, partie cuisine, chambre à coucher pour les humains ?
La région autonome vit-elle sous la terreur ?
— - Jeudi 16 octobre et suivants.
Le constat :
En dehors de Lhassa et sa gare, ou la Police Armée Populaire (PAP) est omniprésente et patrouille, gardant les points sensibles, partout ailleurs dans les villes (Xigaze, Gyangze, Zedang) et dans les villages du Shannan tout est normal comme je l’avais déjà vu à l’occasion de précédents voyages en 2005 et 2006. A Lhassa, la PAP n’empêche d’ailleurs pas les pèlerins toujours aussi nombreux de se presser au Jokhang, pour toucher le « jowo » (statue précieuse de Sakyamuni), tourner sur le Barkhor, ou se prosterner devant les tombeaux des D. L. à l’intérieur du Potala. Ailleurs, aussi, avec la même ferveur, les pèlerins tournent, tournent autour des monastères, chortens etc., distribuant leurs maigres économies aux moines car, leur a t-on appris dès leur enfance : plus vous donnerez, plus vous aurez de « bons points » pour votre vie future. C’est ce que CONSTANTIN de SLIZEWICZ appelle dans son livre « Les peuples oubliés du Tibet » (grand prix du Roman d’aventure 2007) : « le racket religieux ». Les moines qui « glandouillent » toute la journée (les missionnaires, aventuriers qui se sont rendus au Tibet depuis les Jésuites portugais en 1624-1635, en passant par le père HUC vers 1850, les Russes, Japonais vers 1900 utilisent le mot « paresser »), se réveillent en fin de journée pour compter la recette. Rien donc n’a changé, sauf que l’enrichissement et le progrès se sont accélérés depuis trois années, ce qui est presque choquant par rapport à d’autres provinces habitées de populations Tibétaines beaucoup plus délaissées. Moderniser la RAT est à l’évidence une priorité gouvernementale. Les routes bétonnées remplacent les chemins de terre, les tracteurs les charrettes à cheval, les maisons de pierres avec de magnifiques portiques en bois sculptés, celles en pisé etc. Renseignement pris sur place : pour reconstruire sa maison pour un coût d ‘environ 10.000 euros, un agriculteur dès qu’il a fait un stock suffisant de pierres, reçoit une subvention d’environ 2.000 à 3.000 euros des autorités locales et la banque lui prête le reste sans intérêts. Qui dit mieux !!
Des émeutes certes, mais point de révolte.
C’est dans le contexte d’enrichissement généralisé et de progrès matériels évoqués précédemment que l’appel lancé à la révolte le 15/01/08 par des organisations Tibétaines radicales et des responsables politiques en exil notamment sur le site « tibet.info.net » ( Tibetain Youth Congres, National Democratic Party of TIBET, etc …) pour « un mouvement de soulèvement des population Tibétaines en vue des Jeux Olympiques, le soutien de la marche de retour au pays, … et pour en finir avec la domination de la Chine au Tibet » a échoué.
— Certes , il a sans doute provoqué les émeutes de Lhassa de mars 2008, et , celles qui ont suivi dans quelques grands monastères d’autres régions,
— Certes ce fut un succès médiatique en occident mais, ce fut un échec stratégique, en RAT : le peuple ne s’étant pas soulevé comme souhaité.
— Certes de nombreux Tibétains n’aiment pas les Chinois,
— Certes la paix sociale s’achète à coup de millions de YUANS, faisant des Tibétains des assistés mais, ils ont aussi compris ou étaient leurs intérêts ! Ils aspirent désormais à une vie heureuse, à l’enrichissement, à pouvoir pratiquer librement leur religion, enfin à envoyer leurs enfants dans des écoles pour y apprendre un métier (dans les campagnes les familles ont en moyenne trois à quatre enfants). A l’évidence donc seuls des jeunes moines « désœuvrés » ont été réceptifs aux « idées interdites » venues de Dharamsala , suivis en cela à Lhassa principalement par de jeunes chômeurs, les laissez pour compte du progrès social. Les mêmes causes produisent partout les mêmes effets (le chômage et la ségrégation sociale provoquent aussi des émeutes en France. C’est pourquoi pour parer à cette calamité un précédent gouvernement à eu un certain temps, un ministre délégué à l’égalité des chances : Mr AZOUZ BEGAG, sans beaucoup de succès semble t’-il ! )
Alors quel avenir pour le Tibet ?
Concernant la religion, le constat est qu’elle va de plus en plus se folkloriser et se marginaliser pour diverses raisons. D’abord le tourisme de masse qui se développe m’a donné un sentiment de malaise, de voyeurisme devant ses pèlerins venus d’un autre age, les derniers survivants d’une planète en voie de disparition . Comment ressentent –ils nos flashs ? Nos cameras ? Mais là aussi les mêmes causes produisent les mêmes effets : Comme je l’ai vécu dans les alpes de mon enfance, l’enrichissement, le matérialisme qui l’accompagne, la migration vers les villes, vont plus sûrement détruire l’esprit religieux Tibétain que toute velléité politique chinoise.
Politiquement, dans 30ans , lorsque la Chine sera devenue suffisamment puissante pour ne plus craindre pour son unité nationale, lorsque des élites tibétaines auront été formées en assez grand nombre par Pékin, la voie médiane préconisée par le DL pourrait être une solution : c’est à dire un statut de large autonomie au sein de la République Populaire de Chine. On en reviendrait au protectorat chinois mis en place par l’ordonnance en 29 points de 1793.
Ce retour au Tibet m’inspire in fine deux réflexions :
— La première c’est qu’il faudra encore du temps pour éradiquer les clichés, les idées fausses qui circulent depuis longtemps sur le Tibet en occident. Mais il existe un espoir : quelques médias ayant donné récemment la parole à ceux qui portent un autre regard sur le Tibet.
— La seconde , c’est que les Tibétains (les 5,5 millions qui vivent en République Populaire de Chine et non les 120.000 exilés, qui sont de plus en plus déconnectés de la réalité), dans leur très grande majorité ont agit avec sagesse à l’occasion des évènements récents en faisant la différence entre l’essentiel : le bonheur dans cette vie, et le superflu, c’est à dire l’aventure pour une illusoire indépendance.