Présentation du livre « La méditation de Pleine conscience, l'envers du décor »1

par Élisabeth Martens, conférence du 20 novembre 2021

Je remercie l'Appel Pour une École Démocratique (APED)2 de m'avoir invitée à présenter mon livre « La méditation de Pleine conscience ». De plus en plus d'enseignants se sentent poussés par des instructeurs de la Pleine conscience à introduire ces techniques méditatives dans leurs classes. Cela leur pose question à plus d'un titre, c'est pourquoi j'ai voulu montrer qu'il existe aussi un « envers du décor » de ce mouvement qui fait beaucoup parler de lui depuis quelques années.

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Qu'est-ce que la Pleine conscience ?

J'en appelle à l’initiateur et premier propagateur de la Pleine conscience aux États-Unis, John Kabat-Zinn, qui la définit ainsi : « La Mindfulness, ou Pleine conscience, peut être définie comme un état de conscience qui résulte du fait de porter son attention, intentionnellement, au moment présent, sans juger, sur l’expérience qui se déploie instant après instant. »3

Il s'agit donc d'une technique de l'attention que Kabat-Zinn a apprise d'un maître bouddhiste, S.N. Goenka dans les années 1970. En sanskrit, cette technique méditative se nomme « Vipassana », ce qui signifie « voir les choses telles qu'elles sont ».

Kabat-Zinn a suivi cette formation avec son maître bouddhiste parallèlement à des études de biologie moléculaire dans le Massachusetts. Cette double formation lui a donné l'idée de développer un protocole thérapeutique basé sur les techniques méditatives, à appliquer sur des patients dépressifs, en burn-out, ou atteints de diverses pathologies psychosomatiques. Il appelle ce protocole la « Mindfulness Based Stress Reduction » (MBSR).

Il obtient d'excellents résultats et invente diverses variantes au premier protocole :

-pour éviter les rechutes de dépression

-pour traiter les « borderlines »

-pour préparer les parents à la venue d'un bébé

-pour les addictions, les problèmes alimentaires ou de surpoids, etc.

Il ouvre un premier centre médical de réduction du stress par les méthodes de Pleine conscience, et le mouvement est lancé. Les centres se multiplient aux États-Unis, puis en Europe (Allemagne, Angleterre, Suisse, France, Belgique...). Les instructeurs de Pleine conscience se multiplient aussi. Ils sont tenus de suivre 8 séances de 2h30 et une journée d'intégration de la méthode. Puis c'est à chacun de décider la manière dont il veut poursuivre. En individuel, on peut s'inscrire sur des applications sur Smartphone, comme « Headspace » ou « Petit bambou ». Il y a déjà plus de 20 millions de personnes qui sont inscrites sur ces applications de Mindfulness. On peut également s'inscrire dans un groupe de Pleine conscience, il y en a de plus en plus qui s'ouvrent et qui proposent des séances gratuites. On peut devenir instructeur de Pleine conscience et proposer ses services dans des écoles, des entreprises, des centres culturels, etc.

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Les résultats de la méthode semblent prometteurs, ceci selon les instructeurs eux-mêmes. Des tests effectués par des externes ne sont pas aussi enthousiastes et parlent d'un manque de rigueur dans les analyses.

Quoi qu'il en soit, la MBSR et ses variantes séduisent une partie du monde médical, et la méthode se retrouve dans les hôpitaux et les soins de santé. Puis, on la retrouve aussi dans l'enseignement, en école maternelle et primaire pour calmer des classes agitées, dans le secondaire pour rassembler l'attention des élèves, et dans les universités. Le secteur sportif est aussi touché en vue d'améliorer les performances des athlètes. Le secteur culturel s'en empare, par exemple pour des visites originales au musée, des instructeurs proposent de contempler une œuvre d'art en Pleine conscience.

Le monde des entreprises est visé. De plus en plus de firmes mettent à disposition des salariés des salles de repos où des instructeurs de Pleine conscience, souvent des membres du RH de l'entreprise, donnent des séances de pleine conscience. On trouve ces « Chief Happiness Officer » dans la GRH de grosses multinationales comme Google, Facebook, Ford, L'Oréal, Siemens, EDF, Danone, Logo, Ikea, etc. La vigilance au travail s'améliore, les salariés sont plus flexibles pour leurs horaires ou pour des mutations dans un autre secteur ou un autre pays, les relations au sein de l'entreprise sont moins conflictuelles.

Les pratiques de la Pleine conscience semblent soutenir efficacement le « new managment », si bien que Google a mis sur pied des séminaires de « Wisdom 2.0 » qu'il exporte dans les pays industrialisés, et ce jusqu'en Asie. Leur but est d'introduire « la sagesse antique dans l'époque moderne, afin d'établir une relation saine entre compassion et business », dixit le site de Wisdom 2.0.

Il n'en fallait pas moins pour que la Pleine conscience s'installe dans les fauteuils parlementaires. Ce fut fait en 2015 au parlement britannique, puis en Allemagne, Hollande, Canada, Irlande, Australie, ce qui a débouché sur la création de la « Mindfulness Initiative » (MI) : des groupes de parlementaires qui étudient l'impact de la Pleine conscience sur le monde économique, politique, éducatif, culturel, etc. En Belgique, la MI-Belgium s'est ouverte en 2018 grâce à « Émergence », une association de Pleine conscience affiliée à l'ULB et dont Mathieu Ricard est le parrain.

On retrouve M.Ricard, lama français proche du dalaï-lama (il est son interprète), dans le « World Economic Forum » de Davos lors de la grand-messe de l'économie mondiale, c'est-à-dire libérale. Il vient plaider en faveur des pratiques de Pleine conscience car elles diminuent la souffrance au travail, elles réduisent les stress des travailleurs, elles évitent les dépression, les burn-out, etc.... Rien que du très louable ! Qui serait contre une méthode simple pour être plus serein, développer ses potentiels, être plus efficace, et mieux dans sa peau... Personne !

 

Dans ce cas, pourquoi avoir écrit un livre sur « l'envers du décor » de la Pleine conscience ?

Pour répondre à cette question, je voudrais raconter ce qui m'a poussé à écrire ce livre et à avoir passé trois ans de recherches sur ce thème.

Je suis moi-même enseignante de pratiques méditatives, non pas bouddhistes, mais taoïstes. Elles font partie d'un ensemble d'arts thérapeutiques chinois nommé « Qigong ». Je les ai apprises en Chine dans le cadre des trois ans d'étude de la médecine traditionnelle chinoise, puis avec un maître taoïste qui vient deux fois par an donner des stages eu Europe. Mais peu importe que ces techniques soient bouddhistes ou taoïstes, en tant que pratiquante et enseignante de techniques méditatives, je suis témoin directe de leur efficacité thérapeutique.

Ce ne sont donc pas les pratiques méditatives qui m'ont interpellé, mais l'institution bouddhiste qui porte le mouvement de la Pleine conscience. Ceci en raison de deux caractéristiques du mouvement :

-il s'est immiscé dans le domaine public en venant en aide à l'économie libérale qui est la source première de stress, de dépression et d'angoisse..., alors que les instructeurs de Pleine conscience tiennent un discours de compassion vis-à-vis des travailleurs. Il y a là une contradiction flagrante ;

-pour s'insérer dans le domaine public, le mouvement de la Pleine conscience se prétend laïque ; alors que la Pleine conscience est issue du bouddhisme, les instructeurs et les sites assurent n'avoir aucun rapport avec une quelconque religion.

Une religion qui pénètre le domaine public, n'est-ce pas étonnant ? La séparation entre l’Église et l’État est institutionnalisée depuis plus d'un siècle, alors comme expliquer un tel retour en arrière ?

Je sais que bon nombre de personnes ici vont me rétorquer que le bouddhisme n’est pas une religion, mais une philosophie, un chemin de vie, une spiritualité athée, etc. C'est bien ainsi qu'on pense le bouddhisme en Occident. Pourtant, si vous dites à n'importe quel Asiatique que le bouddhisme n'est pas une religion mais une philosophie, il va regarder avec des grands yeux. Pour lui, il est évident que le bouddhisme est une religion, or le bouddhisme est quand-même originaire d'Asie.

Le représentant du bouddhisme le plus connu chez nous, le dalaï-lama, le dit lui-même : « invité à un séminaire organisé par des chercheurs américains, il déclara qu'à la façon dont ces derniers le présentaient, le Bouddha n'était rien d'autre qu'un 'chic type'. Puis il insista sur le fait que le Bouddha était un être supérieur doté de pouvoirs surnaturel et, si tel n'était pas le cas, qu'il n'y aurait aucune raison d'être bouddhiste. »4 En effet, le bouddhisme est habité de nombreux êtres surnaturels, des bouddhas divinisés, des bodhisattvas. En Asie, les temples regorgent de leurs statues et les cultes qu'on leur voue sont fort complexes.

De plus, suffit-il d'expulser les dieux d'une croyance pour que celle-ci ne soit plus une religion ? Que fait-on des dogmes dans ce cas ? Le bouddhisme accumule autant de dogmes que les Églises chrétiennes. Par exemple, le karma, la réincarnation, le nirvana, la Réalité ultime sont autant de dogmes chers au bouddhisme.

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Comment se fait-il que le bouddhisme soit devenu une philosophie chez nous ?

Pour comprendre l'interprétation occidentale du bouddhisme, il faut connaître son historique en Occident. Il est entré chez nous à la faveur de la seconde vague de colonisation de l'Extrême-Orient, fin du 18ème siècle. Les universités ont alors ouvert des chaires d’anthropologie, d’archéologie, de philologie, d'orientalisme, de linguistique, etc. Les sutras (textes sacrés du bouddhisme) ont commencé à être traduit dont un des premiers indique que le Bouddha affirmait que tout être humain est capable d'atteindre le nirvana par ses propres capacités, sans l'aide d’aucun dieu, d'aucun secours surnaturel.

Or au 19ème siècle, la foi chrétienne en un Dieu créateur était remise en question par l'élite intellectuelle et académicienne. Si bien que le bouddhisme qui semblait exempt de dieux et de miracles a été immédiatement lié à la bourgeoisie anticléricale, celle qui se revendiquait du libre-examinisme. Cette élite a vu dans le bouddhisme une philosophie qui ne reniait pas les sciences, car il posait les « vraies questions », à savoir :

-qu'est-ce que le nature du réel ?

-au sein du réel, qu'est-ce que le soi ?

-qu'est ce que la conscience ?

-notre conscience fait-elle partie d'une conscience universelle ?

-qu'est-ce que le réel par rapport à une Réalité ultime ?

L'élite intellectuelle du 19ème a vu dans le bouddhisme une philosophie ouverte aux questions scientifiques et exempte d'êtres surnaturels. Dès lors, il a perdu son caractère religieux. Fin du 19ème, le premier Occidental à se faire moine bouddhiste écrit ceci : « la méthode du Bouddha est une méthode de salut par l'intelligence et le savoir, et non par l'émotion ».

Dès le départ, le bouddhisme « à l'occidentale », qu'on appelle maintenant le « néo-bouddhisme », a un pied dans les sciences, et à la fin du 20ème siècle, ce pied se met dans les neurosciences : un institut « Mind and Life » est fondé par un neurologiste chilien, Francesco Varela qui dira que la « tradition bouddhiste n'a rien à voir avec la religion, et tout voir avec les sciences de l'esprit. » Le dalaï-lama devient président à vie de « Mind and Life » et des filiales de l'institut se répandent un peu partout dans le monde. Le but de « Mind and life » est d'étudier l'impact de la méditation sur le cerveau.

Ce pied dans les sciences n'a pas empêché le bouddhisme de garder l'autre pied dans l'ésotérisme : à la fin du 19ème siècle, la première grande dépression du système libéral fut propice à accueillir les phénomènes paranormaux : spiritisme, revenants, tourneurs de tables, télépathie, etc. C'est dans ce bouillonnement spirite qu'une jeune aristocrate russe, Helena Blavatsky, fait émerger le « mythe tibétain ». Le Tibet devient le pays des neiges, si proche des dieux, habité de lamas aux pouvoirs magiques et de précieux sages qui nous ouvrent les portes du nirvana... Un mythe fort tenace et qui a été alimenté par les romanciers, le cinéma, la BD, etc., si bien que la plupart d'entre nous ont encore cette image-là du Tibet dans la tête.

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Le bouddhisme est-il réellement pacifique, tolérant et compassionnel ?

A l'époque-même où Blavatsky semait les graines du mythe tibétain, le Tibet était gouverné par une théocratie menée par la lignée des dalaï-lamas. Ceux-ci faisaient régner sur le Tibet un régime assez terrifiant pour 95% des populations tibétaines ; ils les maintenaient dans un régime de servage, voire d'esclavage, ceci en invoquant le « mauvais karma » dont avaient hérité les serfs. Ce dont ils avaient surtout hérité étaient des dettes accumulées sur plusieurs générations, des taxes à devoir aux monastères bouddhistes et aux nobles. Ces taxes étaient tellement démesurées que beaucoup de serfs donnaient leurs fils aux monastères en guise de dédommagement. Beaucoup d'autres ont tenté de fuir, mais quand ils se faisaient rattraper, les sévices corporels étaient particulièrement cruels : amputation des mains, pieds, jambes, énucléation. Les blessures étaient cautérisées à l'huile bouillante. La plupart des torturés mouraient, les autres traînaient en loques dans les rues de Lhassa. Au début du 20ème, les explorateurs européens étaient saisis d'effroi à la vue de la quantité d'estropiés, de mendiants, d'éclopés qu'ils devaient enjamber dans les rues de la capitale « si proche des dieux ». C’était un tableau très éloigné du mythe inventé par Blavatsky.

Celle-ci n'avait pas perdu son temps et avait ouvert une « société théosophique » à Londres. Elle en avait établi les principes sur base des tantras, les textes sacrés du bouddhisme tibétain, qu'elle disait connaître car elle était en conversation télépathique avec des lamas tibétains qui vivaient à des milliers de kilomètres. La télépathie était à l'ordre du jour, et Blavatsky y voyait une application directe des phénomènes décrits par les sciences à cette époque : l'électricité, la lumière, les photons, le magnétisme, les ondes, etc. Elle fut la première à faire un rapprochement entre les sciences occidentales et des sciences occultes dérivées de spiritualités orientales. Ce fut un coup de génie, elle a ainsi initié un trait de caractère du bouddhisme à l'occidentale, une caractéristique qui est encore très vivante aujourd’hui.

Blavatsky tenait aussi un discours de discrimination raciale tel que : « à cette époque (lémurienne), il y avait comme maintenant des hommes civilisés et des sauvages. L’évolution a accompli son œuvre de perfectionnement sur les uns et le karma a accompli son œuvre d’anéantissement sur les autres. Les Australiens et leurs semblables sont les descendants de ceux qui, au lieu d’animer l’étincelle déposée en eux par les ‘flammes’, l’éteignirent à travers de longues générations de bestialité. Par contre, les peuples aryens pouvaient trouver leur origine, en passant par les Atlantéens, dans des races plus spirituelles des habitants de la Lémurie, où les ‘Fils de la Sagesse’ s’étaient réincarnés en personne. »5 Par « fils de sagesse », elle désignait les lamas tibétains avec qui elle conversait par télépathie. Pour elle, ils étaient les derniers représentants de la race aryenne pré-sémitique.

Suite au décès de Blavatsky, le lien entre l'ésotérisme oriental et les sciences occidentales va être maintenu grâce à Alice Bailey. En se basant sur l'idéologie de la Société théosophique, Bailey ouvre plusieurs « écoles de sagesse », comme la Lucis Trust, L’Ère du Verseau, la Bonne volonté mondiale, Vie et Conscience, Arcane. Elle crée un mouvement sociétal qu'elle appelle le « New Age ». Or, dans les années 1930, le New Age va, entre autres, influencé les prétentions impérialistes de Hitler. L'idéologie nazie voyait dans les races des réalités historiques. Au sommet de la pyramide se trouvaient les Aryens, et il fallait éliminer toutes les « sous-races ». Fin des années 1930, le führer envoie un contingent SS au Tibet pour rassembler des preuves anatomiques de l'origine commune des Aryens d'Allemagne et du Tibet. Les SS sont reçus à Lhassa avec tous les honneurs par le haut clergé du bouddhisme tibétain.

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Ce n'était pas la première fois qu'une école bouddhiste était mise au service de guerres impérialistes. Au Japon, durant l'ère Meiji, l'armée nipponne a aussi fait appel à des maîtres du bouddhisme zen. Plus tard, dans la première moitié du 20ème siècle, le maître Seki Seisetsu appelait « à l'extermination des démons rouges communistes au Japon et en Chine ». Le bouddhisme zen a lui aussi participé à des massacres de masse, comme celui de Nankin en 1937.

Je voudrais vous lire un texte écrit par D.T. Suzuki, le maître bouddhiste qui a popularisé le zen en Occident au cours du 20ème siècle. Il s'agit d'un texte qu'il a écrit en 1927, avant son séjour aux États-Unis, et qui fait partie du « Code de la chevalerie » : « On associe en général le sabre au meurtre, et la plupart d’entre nous se demandent quel lien il peut avoir avec le zen, qui est une école du Bouddhisme enseignant l’amour et la miséricorde. Le fait est que l’escrime en tant qu’art établit une distinction nette entre le sabre qui tue et le sabre qui donne la vie. Manié par un technicien, son champ d’action se réduit au meurtre, car c’est uniquement pour tuer qu’il a recours à lui. Il en va tout autrement dans le cas de l’homme qui lève le sabre par obligation, car en vérité ce n’est pas lui qui tue mais le sabre lui-même. Il n’avait aucun désir de faire du mal à qui que ce soit, mais l’ennemi se présente et se transforme lui-même en victime. C’est comme si le sabre accomplissait automatiquement sa fonction de justice, qui est fonction de miséricorde (…) Lorsqu’on attend du sabre qu’il remplisse ce rôle dans la vie, il cesse d’être une arme défensive ou un instrument de meurtre et l’escrimeur devient un artiste du plus haut niveau, engagé dans la création d’une œuvre parfaitement originale. »6

Dans cet art zen de la décapitation, ce n'est donc pas le bouddhiste qui est violent ou meurtrier, c'est l'autre qui est victime de son propre aveuglement : il n'a pas vu où se situe la parole juste, l'attitude juste, l'enseignement juste. L'éliminer, c'est lui rendre service, ainsi qu'à la communauté bouddhiste. Telle est la grande compassion du bouddhisme.

Bien sûr, je ne vous montre ici que les côtés les plus obscurs du bouddhisme tibétain et zen. Cela n'empêche pas que des textes philosophiques et poétiques ont été écrit par des grands maîtres tout au long de l'histoire du bouddhisme en Asie. Chez nous aussi, nous avons nos Saint François d'Assise et nos papes de l’inquisition, mais cette histoire-là nous la connaissons. Par contre, beaucoup d’entre nous ignorent l’histoire du bouddhisme, de ses dérives, de ses exactions, de ses violences.

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Cette manière de voir les choses plaisaient aux régimes impérialistes, celui du Japon et celui de 3ème Reich, mais aussi celui des fondamentalistes des États-Unis avec lesquels le dalaï-lama s'est lié dès le début de son exil en 1959. Cette partie de l'histoire tibétaine a été fouillée de fond en comble par des historiens comme Melvin Goldstein7, Tom Grünfield, Albert Ettinger, aussi par un historien tibétain exilé, Shakay Tsering. Vous en trouverez une bibliographie bien fournie dans le petit livre d'André Lacroix : « Dharam-salades »8.

Il y a aussi le témoignage remarquable de Tashi Tsering9, un Tibétain proche du dalaï-lama qui a été choisi comme danseur dans la troupe privée du dalaï-lama à l'âge de cinq ans. Il a traversé le 20ème siècle en passant d'un Tibet moyenâgeux, à l'exil en Inde, puis des séjours aux États-Unis et en Angleterre, pour revenir en Chine où il a été incarcéré pendant la révolution culturelle. Il est enfin retourné au Tibet où il a ouvert des écoles primaires, secondaires et techniques, car il était persuadé qu'un pays ne peut évoluer que grâce à l'enseignement. Il faut savoir que quand il était enfant, début du 20ème siècle, quasi 99 % des tibétains étaient illettrés.

Et puis, il y le témoignage de Patrick French, un journaliste britannique, de gauche, très engagé dans le mouvement « Free Tibet ». Il a voulu rencontrer le dalaï-lama à Dharamsala. Là-bas, il a eu accès aux annales de l'exil. Il a été anéanti quand il a découvert que son engagement reposait sur une supercherie : le « 1,2 millions de Tibétains morts à cause de l'invasion des Chinois » ne tenait pas la route pour qui avait ne fut-ce qu'une petite notion de la démographie du Tibet. C'était un pur mensonge médiatique, une fake-news qui a été lancé sur nos antennes en vue de discréditer le Parti communiste chinois (PCC), mais une fake-news opérationnelle depuis plus de 60 ans !

Parmi nous, il existe beaucoup de gens « de gauche », de bonne volonté, qui s’engagent pour des causes qu'ils pensent justes mais qui, au bout du compte, s'avèrent être des montages médiatiques destinés à déstabiliser des pays qui ne cadrent pas avec « notre politiquement correct », des pays qui s’éloignent du système ultra-libéral qui semble devoir être la norme universelle. C'est ce qui est arrivé pour la très grande majorité des « dalaïstes » (suiveurs du dalaï-lama).

Alors, finalement, le bouddhisme est-il aussi pacifique qu'il le prétend ? En réalité, il n'est pas plus pacifique que le christianisme n'est dans l'amour du prochain : distinguons entre l'idéologie portée par une religion et sa réalité historique.

 

Comment le bouddhisme s'est-il implanté dans notre « gauche » ?

Le dharma, l'enseignement originel du Bouddha, est un enseignement complexe. Il mélange des concepts acquis de l'hindouisme tels que le samsara, le karma, la réincarnation, etc. Mais il inclut aussi des notions nouvelles, révolutionnaires pour l'époque. Par exemple, l'impermanence et l'interdépendance, qui sont deux concepts propres au bouddhisme, et qui ont une connotation moderne, proche de l'écologie : un écosystème fonctionne par interdépendance entre différentes espèces et parce que les individus de l'écosystème sont impermanents. Puis il y a le concept fondamental du dharma : le vide d'existence intrinsèque ou vacuité des phénomènes qui découle des deux précédents.

Du fait de la complexité et de la modernité du dharma, les premiers bouddhistes à répandre le dharma se sont tournés vers la classe des intellectuels, or ils faisaient partie de la classe aisée. Quand le bouddhisme s'installait dans une région nouvelle, il se tournait vers les grosses fortunes, celles qui ont le pouvoir. Une alliance entre la religion et le pouvoir n'est pas l'apanage du bouddhisme, quasi toutes les religions se sont liées au pouvoir.

Par contre, ce qui est plus spécifique au bouddhisme est sa plasticité, sa flexibilité, son pouvoir d’adaptation aux croyances trouvées sur place. Pendant son long périple en Asie (2,5 millénaires), il s'est métamorphosé par intégration de rites et de croyances locales. C'était une manière de ne pas s'éteindre et c'est aussi la raison pour laquelle il existe tant de variantes et d'écoles différentes dans le bouddhisme.

Quand il est arrivé en Occident, il a fait la même chose, il s'est lié aux intellectuels et a intégré leurs convictions : il est devenu une philosophie, non plus une religion, et a intégré les sciences exactes. Cela ne l'a pas empêché de garder son côté ésotérique, car il y avait aussi de la demande dans le domaine. Il a accroché ses wagons à la vague du New age qui a connu un succès fulgurant à partir des années 1960. La « beat generation »  fut la première à se distancier de la société de consommation et à appeler à une conscience environnementale. C'est l'époque de Martin Luther King, de Gandhi, de la guerre du Vietnam, de mai 68, puis du post-68 avec les hippies qui partent dans les ashrams indiens à la recherche du temps perdu et d'autres volutes.

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C'est la jeunesse de John Kabat-Zinn et celle de Mathieu Ricard, c'est l'époque où le dalaï-lama commence à faite parler de lui et où des lamas tibétains sont invités par des centres de « développement du potentiel humain » (comme Esalen ou Findhorn). C'est l'époque où des centres du bouddhisme tibétain fleurissent aux États-Unis, au Canada, en Australie, en Europe. Non-violence, tolérance, développement personnel, etc. : le bouddhisme tibétain s'installe dans le giron de l'industrie du bonheur et de la pensée positive particulièrement lucrative en période de crise.

La « beat generation », les manifestants contre la guerre du Vietnam, les post-68 qui partent en inde, ce sont tous des gens « de gauche ». Ils sont subjugués par le mythe tibétain et par le charisme du dalaï-lama. Ils sont séduits par une spiritualité athée qui fait la part belle à la phénoménologie, aux psychothérapies et aux neurosciences. Ils s'engagent spontanément dans les groupes « Free Tibet » persuadés du bien-fondé de leur revendication d'indépendance pour le Tibet. Ils ne soupçonnent pas que derrière les sourires du dalaï-lama, c'est une organisation bien rodée (CIA, puis NED) qui s'affaire en vue de rassembler un maximum de gens de gauche, de bonne volonté, ceux qui s'engagent pour des causes justes... en vue de les diriger vers un discours, une attitude, des choix qui discréditent les régimes communistes et les économies socialistes, au profit du système prôné par l’Occident, celui de l’ultra-libéralisme.

Ce sont ces mêmes personnes « de gauche », accompagnées de leur progéniture, qu'on retrouve maintenant dans les groupes de Pleine conscience, comme pratiquants ou comme instructeurs. Par simple adhésion à une pratique bouddhiste, ils soutiennent un discours sinophobe, un discours de discrédit, voire de médisance, vis-à-vis de la Chine. Cela plaît particulièrement aux États-Unis dans le cadre de la guerre froide qui s'installe entre les deux grandes puissances mondiales. Mais, à l'exemple de l'art zen de la décapitation, l'Occident aura-t-il le culot de prétendre que c'est la Chine qui n'a pas vu où se situait le système juste, celui du marché libre ? et de ce fait, qu'il n'y aurait plus qu'à trancher la tête du PCC ?

Quand les instructeurs et les sites disent que la Pleine conscience est une pratique laïque, ce n’est pas correct. Le mouvement de la Pleine conscience est une voie de pénétration du message politique du bouddhisme dans le domaine public et privé (et même dans notre inconscient collectif), une voie de pénétration d'autant plus efficace que la Pleine conscience est avalisée, et même valorisée, par le monde scientifique et médical.

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Quels sont les bénéfices que l'Occident retire du mouvement de la Pleine conscience ?

L'institution bouddhiste acquiert du bénéfice du mouvement de la Pleine conscience, c'est certain, mais pas tant en termes financiers. Le néo-bouddhisme n'a pas de souci à se faire dans ce domaine, il a suffisamment de mécènes et de généreux donateurs. Elle acquiert du bénéfice en termes de nombre d'adhérents, car les pratiquants et les groupes de Pleine conscience se multiplient à vive allure, et puis surtout en terme d'implantation de l'institution bouddhiste en Occident. Il faut toujours se rappeler que l'institution bouddhiste, à l'instar des autres religions, n'est pas que pacifisme, qu'elle a connu autant de dérives que les autres religions et en connaît encore.

Quant au bénéfice principal que l'Occident retire de l'implantation du bouddhisme sur ses territoires, c'est de participer à re-diriger un maximum de gens qui se croient et se pensent « de gauche » vers des politiques ultra-libérales, vers des politiques qui discréditent d'autres systèmes économiques. Alors que le bouddhisme se dit compassionnel et pacifique, il participe à un système qui détruit le tissu social et qui détruit la planète.

Or, actuellement, la manifestation la plus visible du bouddhisme chez nous est le mouvement de la Pleine conscience. On l'a vu, c’est un mouvement qui ne remet nullement en question notre système économique, il soutient les multinationales et les méga-industries du numérique. C'est quand-même Google, Facebook et Twitter qui ont été les premiers à introduire la Pleine conscience sur leur plate-formes. Il va dans le sens de la flexibilité au travail, de l'obéissance civile, il musèle les révoltes et ramène au bercail les brebis galeuses.

Pourtant, aucun des instructeurs ou des pratiquants de la Pleine conscience que j'ai eu l'occasion de rencontrer n'avait une lecture politique ou historique du mouvement auquel ils adhèrent. Quand on connaît la capacité d'adaptation du bouddhisme, ses dérives et ses distorsions, je pense qu'il important d’apporter un regard extérieur, une lecture distanciée de ce mouvement.

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 Notes :

1 "La méditation de Pleine conscience, l'envers du décor", Elisabeth Martens, Investig'Action, 2020

2 Site de l'APED: https://www.skolo.org/qui-sommes-nous/

3 Citation du livre p.15, dans http://www.mindfulness-belgium.net/definition.htm

4 Citation du livre p.59, dans : « Qu'ont-ils fait du bouddhisme ? » de Marion Dapsance, Bayard, 2018

5 Citation du livre p. 70, dans : « Anthroposophie : enquête sur un pouvoir occulte » de Paul Ariès, Golias, 2001

6 Citation du livre p.103, dans : « Le zen en guerre, 1868-1945 » de Brian Victoria, Seuil, 1997

7 Centre de recherche de Melvin Goldstein: https://case.edu/affil/tibet/

8 "Dharamsalades, Les masques tombent", André Lacroix, Amalthée, 2019

9 "Mon combat pour un Tibet moderne. Récit de vie de Tashi Tsering", traduit de l'anglais au français par André Lacroix, Golias, 2010

 

« Qui sont les Chinois ?
Paroles et pensées de Chine »

 Élisabeth Martens

 (édition Max Milo, 2013)

Comment certaines caractéristiques de la langue chinoise influencent-elles la manière de penser et de se comporter des Chinois ?

"Tibet : au-delà de l’illusion"

Par Jean-Paul Desimpelaere et Elisabeth Martens

Editions ADEN, mai 2009 265 pages, 10€ jeudi 11 juin 2009

Le livre est composé de trois chapitres qui, chacun se focalise sur un thème particulier.

"L’Histoire du Bouddhisme tibétain : la compassion des puissants"

par Elisabeth Martens

Editions L’Harmattan, octobre 2007  ISBN : 978-2-296-04033-5  prix : 25,50€

Passionnante leçon d’histoire – celle du Tibet – et interrogation à propos des fonctions psychologiques, sociales et politiques des religions, en particulier celles du Bouddhisme au Tibet, cet ouvrage rend au Bouddhisme tibétain son statut de religion qui, comme toute autre religion, a connu une évolution en accord avec son environnement social.

à propos de "Histoire du bouddhisme tibétain", commentaires sur amazon

« Histoire du Bouddhisme tibétain, la Compassion des Puissants » paru chez l'Harmattan (2008)

Texte de présentation du livre, par Elisabeth Martens, le lundi 7 mai 2012

Le livre que je voudrais vous présenter aujourd’hui est le résultat d’un travail de réflexion, de recherches, de documentation, mais aussi de voyages, de rencontres et de discussions qui s’est étalé sur une dizaine d’années. Il se divise en trois chapitres qui se juxtaposent avec assez de justesse aux trois axes de réflexions qui ont dirigé sa rédaction.