La mosquée Id Kah de Kashgar
par Elisabeth Martens, le 22 janvier 2025
Près des larges marches menant à la mosquée, un chameaux et deux dromadaires nous observent d'un air hautain, le nez pincé. Ils attendent les « dabize » en mâchouillant quelques brindilles d'eucalyptus arrachées à l'arbre centenaire qui les abrite du soleil. Bientôt les touristes vont sortir de l'édifice religieux en réajustant leur casquette et en cherchant leur Ray-ban dans leur sac North-Face pour se protéger des rayons drus du midi. En face des ruminants, une rangée de scooters à tête de robots sont sagement alignés.
De leurs yeux de plastique bleu, ils regardent passer les VIP chinois qui débarquent de trois autocars géants et qui, sans un regard vers eux, se précipitent vers les boutiques de bibelots bordant la grand place de la vieille Kashgar. Deux policiers locaux discutent à l'ombre d'un distributeur automatique de sodas. Ici, il suffit de présenter son GSM devant le QR-code de la machine et la canette de « KouKe-KouLe » tombe avec son bruit de métal caractéristique... et il a suffi que nous entrions dans la mosquée Id Kah pour que s'enchaînent les récits.



L'histoire de Mullah Juma Tayier
Une des artères principales de la vieille ville s'ouvre sur la grand-place, vaste et lumineuse. La mosquée Id Kah y dresse ses couleurs sablées. C'est la plus grande mosquée du Xinjiang, et même la plus grande de Chine. Son jardin planté d'eucalyptus s'étend sur 1,6 hectares. La mosquée peur recevoir jusqu'à 10.000 fidèles pour la prière du vendredi ou pour les grandes cérémonies religieuses du calendrier musulman. Notre mini-groupe d'experts belges en médias non-conformistes se dirige solennellement vers l'entrée de la mosquée. Nous sommes attendus. C'est l'imam Memet Jume qui nous reçoit. On dirait qu'il sort de sa sieste, il a enfilé sa robe à la va-vite au-dessus d'une chemise impeccablement blanche. Son kufi tangue dangereusement sur son crâne lisse. Il a le regard franc et très doux, la parole également.

Il nous dirige vers la salle des prières par une voie de belles dalles blanches ornée de vasques de jasmins, bougainvillées, ficus, géraniums. Sur la terrasse devant l'entrée de la salle des prières, il nous explique que chaque pilier de soutien, à l'extérieur comme à l'intérieur, est une pièce unique : un artisan par pilier.
Je m'étonne que nous, femmes, ne devions pas nous couvrir la tête pour entrer, juste, comme tout le monde, enlever nos chaussures ou les entourer d'un plastique pour ne pas salir les tapis qui couvrent toute la longueur de la salle, d'un bout à l'autre. Une salle austère, vide, sans aucune fioriture. Une niche dans le mur blanc accueille un gros livre, on devine qu'il s'agit du Coran. Posée à côté du livre sacré, une paire de lunettes et de l'autre côté, un plumeau de dépoussiérage. Sur le mur d'en face, un tapis devant lequel l'imam nous arrête, il faut l'admirer, il est ancien, en soie naturelle, il a beaucoup de valeur. Je ne le trouve pas spécialement beau. Par contre, l'austérité et la simplicité du lieu me séduisent. Les tapis rouges, les piliers verts, les poutres de bois blancs, la pénombre qui capte des instants de lumière, tout ici respire la tranquillité.
En sortant, un journaliste de notre groupe demande soudainement à l'imam Memet Jume s'il n'est pas le fils du Mullah Juma Tayier. L'imam est embarrassé, notre audacieux compagnon aussi. Tous deux sont embarrassés. Après un moment de surprise et d'hésitation, l'imam confirme que, oui, c'est bien lui. Il n'en dit pas plus.
Il faudra attendre de nous éloigner de la mosquée pour que notre compagnon nous explique la raison de son intervention saugrenue : le père de l'imam Memet Jume a été assassiné en 2014, il y a dix ans exactement. Le rappel soudain à cet événement tragique n'a pas manqué de surprendre l'imam, il ne s'attendait pas à cette question. Il l'a peut-être senti intrusive.
Le père de Memet Jume s’appelait Juma Tayier. Il était mullah, un maître et érudit musulman. Il dirigeait la mosquée Id Kah, celle que nous venons de visiter. Il était aussi vice-président de l'Association islamique de Chine et encore délégué au Congrès national du peuple. Le 30 juillet 2014, trois extrémistes religieux ont assassinés Mullah Juma Tayier après la prière du matin. Il avait 74 ans.
Ce meurtre a indigné les habitants de Kashgar, Mullah Juma Tayier était très respecté dans toute la région. Il avait osé appeler à la paix et à un retour à la stabilité face aux violences perpétrées par les extrémistes islamistes et les séparatistes ouïgours. La ville de Kashgar était le théâtre de violences croissantes, rien que durant l'année qui a précédé l'assassinat de Mullah Juma Tayier, onze attentats meurtriers avaient été commis. Les Ouïghours, qui représentent 92% de la population de Kashgar et sa préfecture, en étaient les premières victimes. La Région autonome du Xinjiang vivait dans la terreur.
Après l'assassinat de Mullah Juma Tayier, de nombreux musulmans se sont rassemblés à la mosquée pour pleurer le décès de leur imam bien-aimé, répétant qu'ils souhaitaient que les terroristes « aillent tous en enfer ». Ce n'est pas la première fois qu'un chef religieux avait été pris pour cible. En 1993, le mullah de la grande mosquée de Yecheng a été grièvement blessé lors d'une attaque. En 1996, deux terroristes se sont introduit chez le vice-président de l'association islamique de Xinhe et l'ont assassiné. Encore en 1996, un autre vice-président de la même association a été battu sur le chemin le menant à la mosquée. En 1997, un groupe de terroristes a abattu Mullah Younusi Sidike, l'imam de la grande mosquée de Baicheng. Un an plus tard le même groupe a abattu Abulizi Aji, l'imam qui a remplacé le précédent à la grande mosquée de Baicheng. Et, en 2014, le vénéré Mullah Juma Tayier, imam de la mosquée Id Kah de Kashgar a été abattu par trois terroristes alors qu'il rentrait chez lui. S'en prendre au plus illustre mullah de la plus illustre mosquée du Xinjiang, cela dépassait l'imaginable. Pourquoi les terroristes s'en prenaient-ils aux autorités de leur propre religion ? Infamie !
Si ces vénérables maîtres musulmans ont été assassinés, c'est parce qu'ils dénonçaient les salafistes, ces extrémistes religieux qui prennent le Coran à la lettre et qui appellent au djihad. Les mullah du Xinjiang ont été les premiers à dénoncer les crimes terroristes. Après les deux attentats à la bombe à Urumuqi en 2009, ils se sont immédiatement mobilisés et ont pris position en condamnant ces actes criminels. Puis il y eut celui du 28 juillet 2014 à Shache contre lequel s'est insurgé Mullah Juma Tayier désignant ces meurtres comme des sacrilèges, une profanation à l'enseignement du prophète. Deux jours plus tard, il fut assassiné.
Un Bureau des Affaires religieuses
Le gouvernement chinois estime qu'une religion qui veut perdurer doit s'adapter à son époque et à son environnement humain. L'adaptation des religions à la société chinoise est non seulement une exigence des conditions nationales mais, selon le gouvernement, devrait aussi être l'exigence intrinsèque des religions pour leur propre existence et développement. C'est peut-être cette labilité qui manque à certains religieux lorsqu'ils se figent dans un carcan de croyances et de doctrines.
Par ailleurs, l’État chinois s'oppose à la politisation des questions religieuses. La loi impose une séparation nette entre l’État et les religions. Cette séparation est historique et remonte au début de notre ère. Dès la dynastie des Han (206 av. J.-C. à 220 ap. J.-C.), la Chine a proclamé haut et fort que les affaires de l’État et les affaires religieuses devaient rester séparées. Des émissaires spéciaux étaient envoyés aux quatre coins du pays pour que cette loi soit respectée. Pour garantir la séparation entre État et religions, l'Empire a établi un « Bureau des affaires religieuses ». Il existe encore, il fait partie du ministère de la culture et se nomme l'Administration d’Etat pour les Affaires religieuses (AEAR) de Chine.
Si ce contrôle est effectif depuis deux millénaires, c’est bien parce que les autorités chinoises connaissent les dangers des religions, elles se méfient de leur immense pouvoir. « Dieu et la patrie sont une équipe imbattable, ils battent tous les records pour l’oppression et l’effusion de sang », disait Bunuel. La Chine estime qu’il n’y a rien d’innocent, ni d’inoffensif à promouvoir des croyances religieuses.
Les institutions religieuses ne font pas ce qu’elles veulent en Chine, l’article 36 de la Constitution est explicite à ce sujet : « Aucun individu ne peut utiliser la religion aux fins de troubler l’ordre social, la santé des citoyens, nuire au système éducatif de l’État. » Cela veut dire qu’en Chine, on ne peut pas manifester pour libérer des lamas emprisonnés pour des raisons politiques, un imam ne peut pas prêcher le djihad à la prière du vendredi soir, un membre du Falungong ne peut pas enseigner des pratiques de santé en rue, etc.
Dans le même article 36 de la Constitution, on lit aussi que « les citoyens jouissent de la liberté de religion ». Pour un État athée et socialiste, visant le communisme, cela peut paraître étonnant. C'est que si la Chine estime que les religions doivent s'adapter à leur environnement pour pouvoir durer, c'est tout aussi vrai pour la gouvernance de la Chine : elle aussi doit s'adapter à ses citoyens pour évoluer, or beaucoup de Chinois ont une croyance religieuse.
Cette faculté d'adaptation est une attitude générale en Chine, une « mentalité » dirons-nous, dont l'origine est à chercher dans une œuvre qui date de l'antiquité, « Le livre des mutations ». Son principe est simple mais sa pratique s'avère des plus complexe : pour qu'un phénomène dure, il faut qu'il se transforme. Telle est la source de la civilisation et de la pensée chinoises. Le socialisme à la chinoise n'y déroge pas, c'est là sa pertinence et sa force.
L’État chinois est athée, et cet athéisme garantit à tous, selon des critères impartiaux, le droit de croire et de pratiquer sa religion. Mieux : la Constitution chinoise est la seule au monde à garantir également à ses citoyens le droit de ne pas croire. « Aucun organisme d’État ni aucun groupement social ni aucun individu ne peuvent forcer un citoyen à avoir ou à ne pas avoir de religion, ni faire de discrimination à l'égard d'un croyant ou d'un non-croyant », précise l'article 36.
Même si la Chine est fondamentalement matérialiste - dans le sens philosophique du terme -, elle connaît l'importance que revêt la religion dans le cœur des humains et elle sait qu'elle doit en tenir compte. C'est pourquoi elle reconnaît et admet les cultes, et c'est pourquoi chaque citoyen chinois a le droit de croire et de pratiquer sa religion. Il est d'ailleurs fréquent que le matin, il prie bouddha, à midi, il implore Guanyin et le soir, il offre un bâton d'encens aux trois célestes du taoïsme, cela ne pose de problème à personne, et il peut sans crainte exercer une fonction d'employé au ministère des finances.
Il y a aussi des pratiques populaires que nous associerions volontiers à des cultes religieux, mais qui n'entrent dans aucune de nos catégories de religions. C'est le cas par exemple pour le culte aux ancêtres, une ancienne pratique chinoise liée aux défunts et à la perpétuation de la vie à travers la lignée familiale, et au-delà, à travers la lignée de la « grande famille chinoise », « dajia ». Ce culte confucianiste est pratiqué par plus de la moitié de la population chinoise.
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Bref, avant de donner une estimation du nombre de pratiquants par religion, il faudrait définir ce qu'est un religion... un débat sans fin.
Sans entrer dans ce débat qui n'a pas sa place ici, voici des estimations minimalistes pour les cinq grandes religions de la Chine. Il y aurait 173 millions de personnes qui suivent des pratiques associées au taoïsme populaire et 12 millions de personnes qui s'identifient spécifiquement comme taoïstes, 185 millions de bouddhistes, 33 millions de chrétiens et 23 millions de musulmans. Pour servir ces 423 millions de croyants, le pays compte plus de 100.000 lieux de cultes, plus de 3.000 organisations religieuses nationales et locales. Parmi les quelque 300.000 membres des divers clergés, on compte 200.000 bonzes et bonzesses, 25.000 taoïstes, 40.000 imams, plus de 20.000 pasteurs protestants et 4.000 prêtres catholiques.
Propaganda!
En Chine, les religions coexistent depuis toujours, y compris au Xinjiang. L'islam est la religion dominante de la Région autonome du Xinjiang depuis le 10ème siècle, mais cela n'empêche pas le bouddhisme, le taoïsme, le protestantisme et le catholicisme d'être présents et actifs.
Le Xinjiang compte aujourd'hui 24.400 mosquées et 29.000 membres du clergé islamiste, deux instituts islamiques, une association islamique au niveau régionale avec 14 succursalles au niveau des préfectures. Depuis 1996, le gouvernement régional organise chaque année des vols charters pour emmener les fièdèles musulmans à La Mecque en Arabie Saoudite. Pour le confort des pélerins, il finance le service de sécurité, d'interprétation et les soins médicaux pendant le voyage. Depuis 2001, l'administration nationale des affaires religieuses a organisé 12 cours de formation sur l'interprétation des écritures islamiques pour plus de 500 membres du clergé du Xinjiang. Le 3 juillet 2015, pendant le Ramadan, un séisme de magnitude 6,5 a secoué la préfecture de Hotan. Les autorités locales ont effectué les opérations de secours tout en installant rapidement des sites temporaires pour assurer la poursuite des prières, du jeûne et de la vie religieuse des croyants dans les zones sinistrées.
La liste des exemples qui démontrent le fair-play des autorités chinoises dans les affaires religieuses du pays est longue. Toute aussi longue pourrait être celle qui démontre l'inverse. Il suffit d'ouvrir la page FaceBook de Free-Tibet ou de visionner n'importe quelle vidéo sur la persécution des Ouïghours en Chine. Mais c'est exactement ce décalage, cette opposition radicale de deux points de vue sur les mêmes faits qui devrait nous interpeller. Hélas, chez nous, nous n'avons qu'une seule version des faits, et lorsque l'autre est divulguée, nous prétendons qu'il s'agit de « propagande chinoise ». L'analyse critique est d'emblée annihilée.
Pour rappel, la propagande politique au 20ème siècle n'est pas née dans un régime totalitaire, mais au cœur de la démocratie libérale états-unienne. C'est le neveu américain de Freud, Edward Bernays, qui a élevé la manipulation mentale des masses à un art suprême. Il l'appelait la « fabrique du consentement » et se vantait d'en avoir systématiser les techniques et perfectionner les rouages à partir des acquis de la psychanalyse, si bien qu'il pouvait aussi facilement imposer une marque de lessive sur le marché que faire élire un nouveau président. Dans la logique des « démocraties de marché », le choix des masses est déterminant. Ceux qui parviennent à l'influencer détiennent réellement le pouvoir. Relisez donc cette œuvre majeure de Bernays écrite en 1928 : « Propaganda ! ». Depuis lors, nos démocraties modernes usent et abusent des techniques de propagande, elles font partie intégrante d'une nouvelle manière de gouverner. Avec l'apport des réseaux sociaux, elle a engendré l'ère de post-vérité où les faits réels se noient dans le récit et les émotions qu'il véhicule.

Avant d'affirmer que la Chine opprime les religions et persécute son clergé et ses fidèles, il est important d'identifier l'individu ou l'organisation qui se trouve derrière cette accusation. Il est tout aussi important de vérifier les faits dénoncés en croisant les informations venues de plusieurs horizons. Il faut encore détecter pour quelle raison ce récit circule sur le Net en ayant en tête que les États-Unis ont voté une loi allouant un budget colossal à la propagande anti-chinoise : 1,6 milliard de dollars en 2025.
Ce que la Chine interdit, et elle ne lésine pas, c'est qu'une institution religieuse se mêle de politique. Avec l'islam radicalisé, elle est servie, avec les indépendantistes liés au bouddhisme tibétain aussi. Elle a sévi de nombreuses fois au cours de l'Histoire et elle sévit encore.
Nous, les champions de la séparation entre l’État et l’Église, ne devrions-nous pas applaudir au lieu de médire ?

L’article 36 de la Constitution chinoise précise qu’elle « protège les pratiques religieuses ordinaires ». On imagine le rictus de nos Cogolati et autres Glucksmann qui sans hésitation traduiront « protéger » par « contrôler », voire « réprimer », les religions. Il est vrai que cette protection s'exerce entre autres via une admission au « Bureau des affaires religieuses » de chaque nouvelle entité religieuse. Elle doit se présenter et doit demander la permission de fonctionner en tant que religion, c’est-à-dire l’autorisation explicite de construire un lieu de culte, d’exercer les cultes, de promouvoir ses croyances, de rassembler des fidèles, etc.
D’un autre côté, l’État octroie des subsides aux institutions religieuses soit pour construire, rénover ou entretenir les lieux de cultes ou des instituts, soit pour diffuser des livres, des revues, des sites de l'institution religieuse qui en fait la demande dans la ou les langues des fidèles. Au Xinjiang, des classiques et des livres religieux de l'islam ont été traduits et publiés, notamment le Coran et des extraits de Al-Sahih Muhammad Ibn-Ismailal-Bukhari, en langues ouïghoure, chinoise han, kazak et kirghize. La « New Collection of Waez's Speeches » et le magazine « China's Muslims » sont compilés et publiés à plus de 1,76 millions d'exemplaires. Les moyens permettant aux croyants d'acquérir des connaissances religieuses ont été élargies au domaine du numérique.
Le gouvernement central a alloué des fonds spéciaux pour rénover les sites religieux notamment la mosquée Id Kah à Kashgar, la mosquée Baytulla à Yining, la mosquée Jiaman à Hotan, la mosquée Yanghang à Urumqi et le tombeau de la concubine impériale parfumée (Apak Hoja Mazzar) à Kashgar. Toutes les mosquées du Xinjiang sont pourvues d'eau courante, de toilettes, d'électricité, de chauffage, d'air conditionné, etc. Il vaut mieux être musulman en Chine qu'en Europe à l'heure actuelle.
Les associations religieuses ne sont pas maintenues à l'écart de la vie sociale du pays, au contraire, les cercles religieux jouent un rôle actif dans le maintien de la stabilité sociale et dans la solidarité ethnique. Plusieurs chefs religieux sont députés aux assemblées populaires ou membres des comités de la Conférence consultative politique du peuple chinois. Mullah Juma Tayier de la grande mosquée Id Kah de Kashgar en était un. Des lamas tibétains, des imams et des officiants taoïstes siègent au Parlement national de la République populaire de Chine. Ils y officient en tant que citoyens chinois, pas en tant qu’autorités religieuses. Avons-nous des évêques ou des imams parmi nos parlementaires européens ?
Aperçu de l'histoire des religions du Xinjiang
L’article 36 termine ainsi : « Les groupements religieux et les affaires religieuses ne doivent subir aucune domination étrangère ». Ce dernier point peut surprendre : quel pays viendrait se mêler des affaires religieuses de la Chine ? C'est oublier que quasi toutes les religions pratiquées en Chine viennent de l'étranger. Finalement, il n'y a que le taoïsme qui est autochtone. Toutes les autres religions ont pénétré en Chine via les Routes de la Soie, c'est dire qu'elles venaient toutes de l'ouest et sont entrées en Chine par le Xinjiang.
La première religion qui s'est installée sur le territoire qui aujourd'hui appartient à la Chine est d'influence persane, c'est le zoroastrisme dont Zoroastre ou Zarathoustra fut le prophète et le fondateur. Apparue dans la steppe eurasienne ou dans le nord-est du monde iranien pendant la seconde moitié du 2ème millénaire avant notre ère, le zoroastrisme atteint le bassin du Tarim au 4ème siècle avant notre ère. Le bouddhisme venu du nord de l'Inde l'a suivi en empruntant le chemin des marchands, une ébauche de la Route de la soie tracée par la Chine des Han au début de notre ère. Le bouddhisme mettra plusieurs siècles avant de pénétrer en Chine comme en attestent les grottes de Bezeklik et de Mogao qui datent du 4ème siècle de notre ère. Zoroastrisme et bouddhisme vont coexister au Xinjiang et évoluer en parallèle jusqu'au 10ème siècle. Ils laisseront de la place à plusieurs autres religions, le Taoïsme à partir du 5ème, le nestorianisme au 6ème siècle, le manichéisme au 9ème. Le Xinjiang était un creuset d'alchimiste où s'entremêlaient différentes croyances, cultes, pratiques et récits populaires.
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Le 9ème siècle signa l'âge d'or de Bagdad. L'islam s'étendait comme une tache d'huile échappée de la lampe d'Aladin, il allait occuper le sud du continent eurasiatique et déborder sur le continent africain. La prospérité de la Route de la Soie basculait en faveur du monde arabe, de ses commerçants et de ses savants. L'islam a emprunté cette voie royale pour pénétrer en Chine et propager sa foi. Il s'est installé à demeure au Xinjiang à partir du 10ème siècle et depuis, il domine le paysage religieux de la région, même si celle-ci voit encore arriver le bouddhisme tibétain et ses bonzes mongols au 17ème, puis le christianisme au 18ème avec des missions protestantes, catholiques et orthodoxes.
Avant le 20ème siècle, la région accueillait des ethnies turcophones ouïghoure, kirghize, ouzbèke, kazakhe, mais aussi des Tadjiks persanophones, des Mongols, des Russes, des Tibétains, des Chinois han et Hui. La région était une mosaïque d’oasis culturelles, chaque ville ou village avaient ses propres racines. On peut d'ailleurs encore ressentir cela aujourd'hui, il suffit parfois de passer d'un village à un autre situé à quelque 20 km pour changer complètement d'environnement culturel. Les contacts avec les pays voisins, les pays en « stan », mais aussi la Russie, la Mongolie et l'Inde ont joué un rôle significatif dans la composition de ce patchwork où la coexistence pacifique de multiples religions fut une constante jusqu'à ce que le nationalisme fasse son entrée dans l'empire ottoman et engendre le panislamisme puis le panturquisme. Ces deux idéologies nationalistes allaient recouvrir une partie du continent eurasien de son manteau brun et atteindrait le Xinjiang au début du 20ème siècle. Un matin de petites compromissions se lève sur l'antre de la fabrique du consentement.
