La Grande Muraille verte s'étend jusqu'au Xinjiang

par Élisabeth Martens, le 9 novembre 2024

Durant notre périple au Xinjiang, en nous déplaçant d'un lieu de visite à un autre, j'ai eu l'occasion d'observer le paysage à travers la fenêtre de notre « mianbao che » (un « véhicule sandwich », pour désigner un minibus). Autour de Kashgar, de Kucha et d'Aksu, j'ai été frappée par le nombre de plantations d'arbres le long des routes. Cette région est pourtant située à la limite nord du Taklamakan, un désert célèbre pour son aridité et ses magnifiques dunes de sable.

Certaines des plantations semblaient déjà âgées, d'autres très jeunes. Wang Yue, le vice-président du département des relations internationales de Kashgar qui nous accompagnait, m'a confirmé que, dès les années 1980, le projet de la « Grande Muraille verte » s'est étendu jusqu'au Xinjiang.

 

La « Grande Muraille verte » est un projet de grande envergure né en 1978, et comme la Chine voit loin, elle prévoit qu'il se prolonge pendant un siècle, jusqu'en 2078. Ce projet concerne 13 provinces qui, ensemble, ont été appelées les « Trois Nord » : Nord-est, Nord et Nord-ouest. Cette vaste zone couvre une superficie totale de 4 .069. 000 km2 soit plus de 40 % du territoire de la Chine. Elle a été fortement dégradée en raison de conditions naturelles défavorables, sécheresse et vent, auxquelles s'est ajoutée une forte pression anthropique au cours des siècles derniers. Ces conditions ont mené à la déforestation des collines et à un phénomène d’ensablement qui s’est accéléré dans les années 1970.

Le projet de la Grande Muraille verte s’attache à protéger la région des Trois Nord car elle constitue une importante zone de production avec de nombreuses terres agricoles (blé, millet, orge) et des pâturages, alors que cette zone devient désertique ou semi-désertique. Il a été progressivement étendu dans le but de ralentir la progression des déserts et pour couvrir une zone de plusieurs milliers de kilomètres, allant des rives de la mer Jaune à l'Est jusqu'aux frontières de l'Asie centrale à l'Ouest. Le but de la Grand Muraille verte est de porter le couvert forestier de la région de 5,05 % qu'il était en 1978 à 14,95 % après son achèvement en 2078 en établissant et en maintenant 35  millions d'hectares de forêts. À ce jour, en 2024, plus de 80 milliards d'arbres ont été plantés et maintenus sur une superficie de plus de 30 millions d'hectares d'Est en Ouest. Ce colossal projet de reboisement est devenu l'une des plus grandes initiatives environnementales au monde.

Plantation dans le désert de Gobi en Mongolie intérieure
Plantation dans le désert de Gobi en Mongolie intérieure

Au fil des décennies, il a fallu surmonter les obstacles, les embûches et les erreurs. L'une d'elles fut la monoculture qui s'est avérée inefficace et même nuisible pour les écosystèmes. Il a fallu choisir une variété d'essences différentes en tenant compte de leur profondeur d’enracinement, de leur endémisme, de la densité de leur couvert, de leur sympathie mutuelle, etc. Le choix des espèces s'est avéré particulièrement important pour la réussite du projet. Il a aussi fallu ajuster ces facteurs aux conditions écologiques et à la nature des ressources en eau pluviométriques ou pédologiques locales. L’association de diverses mesures biologiques et de techniques de restauration des terres a également constitué un facteur de succès important : mise en place de brise-vent, plantation artificielle, mise en défens des pâturages permettant la régénération naturelle, ensemencement aérien, techniques de conservation des eaux et des sols, etc.

Après presque un demi siècle d'expérience, la Grande Muraille verte a indéniablement fait ses preuves en matière de restauration des terres. Toutefois, la Chine a voulu assurer la pérennité du projet en instaurant un cadre juridique. Celui-ci comprend six lois nationales dont des lois sur la prévention et le contrôle du sable, ainsi que des lois sur la conservation des forêts et des zones humides. De plus, les 13 régions provinciales clés qui luttent contre la désertification ont chacune promulgué des réglementations régionales sur la question. Aux initiatives gouvernementales et régionales se sont ajoutés les efforts quotidiens de deux, voire trois générations d'agriculteurs et d'éleveurs, la participation de l'armée et celle d'entreprises privées. Ce projet a fait de la Chine le plus grand contributeur au reboisement mondial. Il vaut donc la peine que je m'y arrête un instant.

L'une des première cible de la Grande Muraille verte était le désert de Gobi, une large bande de sable qui s'étend du littoral Nord de la Chine et se termine à la pointe de la chaîne de montagnes du Tianshan, en passant par le Sud de la Mongolie intérieure. Ce désert avance sournoisement par ensablement progressif ou violemment par tempêtes de sable ravageuses. Déjà à la fin des années 1970, cela représentait une menace pour les terres agricoles et un danger pour les citadins des mégapoles du nord (Beijing et Tianjin, en particulier). À la fin des années 1980, les efforts de reforestation se sont étendus au Xinjiang, dans les zones entourant le désert de Taklamakan. Durant notre voyage, nous avons pu constater les résultats de visu.

Une petite leçon de géographie nous apprend que la province du Xinjiang est coupée en deux par la chaîne du Tianshan. Le désert de Taklamakan est une dépression sableuse qui occupe environ 337.000 km² dans la partie Sud du Xinjiang. C'est un des déserts les plus arides et les plus chauds au monde. Il est entouré de trois chaînes de montagnes : la chaîne de Tianshan délimite le Nord du Taklamakan, la chaîne du Pamir dessine la frontière Ouest entre le Taklamakan et le Tadjikistan et l’Afghanistan, et au Sud, la chaîne du Kunlun sépare le Talklamakan du Haut Plateau tibétain. Ces chaînes de montagnes sont cruciales pour l'écosystème du Taklamakan : elles influencent le climat et l'hydrologie du désert en bloquant à leurs sommets les masses d'air humide provenant des océans. Elles contribuent à la sécheresse du désert et à son climat extrême typique des déserts intérieurs éloignés des influences modératrices des océans. En été, les températures peuvent grimper au-delà des 50°C et en hiver descendre à -40°C. L'amplitude thermique quotidienne est de 30 à 40°C ou plus.

 

Nous nous déplaçons sur la limite Nord du Taklamakan, de Kucha à Aksu. Autour de nous défilent des plantations d'arbres d'essences variées : peupliers, tamaris, genévriers, acacias, mélèzes sont celles que j'ai repérées. Ce sont des essences qui résistent à la sécheresse et stabilisent les dunes de sable, ce qui est indispensable dans un sol qui a une disponibilité très faible et une forte teneur en sel (jusque 5,6%). Wang Yue m'apprend qu'en 1987, le gouvernement a fait appel aux habitants d'Aksu pour venir planter des arbres sur 213 hectares. Le travail a été fait en un mois, au printemps. Il a été supervisé par un agronome de l'université de Kashgar qui a aussi été désigné comme responsable du suivi. Son fils est devenu garde-forestier et a pris le relais. L'esprit du reverdissement et de lutte contre l’intrusion du sable a été transmis de génération en génération. Le suivi est crucial pour ne pas perdre les acquis du passé et créer des zones de biodiversité offrant refuge à de nombreuses espèces et des moyens de subsistance aux habitants de la région.

 

Plantations dans la région de Kucha au Xinjiang
Plantations dans la région de Kucha au Xinjiang

Maintenant, presque 40 ans plus tard, la couverture forestière d'Aksu est passée de 3,35 à 9,06% transformant la région en un gigantesque oasis de verdure traversé par un cours d'eau et des canaux. Le taux de survie moyen de la forêt est de 87,5%, ce qui est une belle réussite, non seulement pour l'écosystème, mais aussi pour les autochtones qui augmentent leurs revenus grâce à de nouvelles cultures : des fruitiers ont été plantés comme des grenadiers, noyers, figuiers, jujubiers, pommiers, abricotiers, des plantes médicinales qui aiment la sécheresse comme l'armoise, la réglisse, la menthe, la camomille, le ginseng, des légumes comme les poivrons, piments, tomates, aubergines, et bien sûr des champs de coton, de maïs, de tournesols et de blé.

Un centre d'écotourisme a été ouvert à Kekeya dans la préfecture d'Aksu. Le « Kekeya Memorial Hall » explique aux visiteurs le travail de titan effectué par la population locale pour reverdir la région et transformer cette partie du désert en une oasis fertile. L’un des aspects les plus satisfaisants du projet a été l'engagement de la population locale et la création d’emplois qui ont soutenu la croissance économique locale. Une tour d'observation surplombant la forêt a été construite pour admirer le surprenant résultat. Là où en 1987, il n'existait qu'un désert tellement aride qu'il empêchait toute culture et faisait fuir les villageois, il y a maintenant une vaste oasis de verdure.

 

Sources :

http://m.tibet.cn/fr/environment/202411/t20241107_7710725.html

https://www.lajauneetlarouge.com/la-grande-muraille-verte-barriere-contre-la-desertification/

https://francais.cgtn.com/n/BfJAA-DAA-GAA/DEcFEA/index.html

https://www.youtube.com/watch?v=poNvBekqS60

https://www.google.com/search?client=firefox-b-d&q=Kekeya+Aksu+Xinjiang+Chine#fpstate=ive&vld=cid:eccf4fb5,vid:j3QzARi5_yk,st:0