Les pauvres au Tibet, de quoi ont-ils l’air ?
par Jean-Paul Desimpelaere, le 1 décembre 2010
Il sont miteux, cela va de soi ! Ils vivent avec moins de 4 euros par jour pour une famille de cinq personnes. Nombre de choses coûtent dix fois moins cher là-bas que chez nous, donc l'équivalence est environ de 40 euros par jour. Mais il y aussi des choses plus onéreuses, un GSM par exemple, est presque au même prix qu’ici. Et quand ils vont à la « messe » (ni chaque jour ni même chaque semaine), ils dépensent facilement une dizaine d’euros répartis dans les multiples troncs à donations trônant à l'entrée de chaque temple, … à côté duquel un moine vigilant veille à ce que les dévotions rapportent.
Il y a encore à peu près 8% des Tibétains qui vivent sous le seuil de pauvreté. Dans le reste de la Chine, ce chiffre descend à environ 4%, mais l'environnement y est moins rude.
En 2007, j'ai rencontré une famille tibétaine de 6 personnes, composée des deux parents âgés, un fils et une fille et deux petits-enfants. Le père des petits-enfants était décédé et son frère s'était remarié avec la mère des enfants. Mais, comme de coutume au Tibet, les deux hommes partageaient déjà la même femme avant que l'un d'eux ne meure.
La famille élevait un troupeau de 400 moutons et n'avait aucune autre activité. Elle vivait dans une zone aride et reculée, à 5000m d’altitude ; 30 km² de maigres herbages étaient mis à leur disposition. Leur revenu annuel était de 500 euros pour toute la famille. Leur maison était construite de briquettes d’argile séchées au soleil, montées sur une structure de branches tressées. Elle était composée de deux pièces de vie avec de la terre battue au sol, une table au centre de la pièce principale, une armoire vide avec posé dessus, un petit écran de télé (si, si !), pas d’assiettes pour manger. On mangeait à même la table.
Ils m'ont invité à entrer chez eux alors qu'ils étaient occupé à découper la viande de grosses cuisses de mouton. Le bouillon, distribué à la louche dans des bols en bois, servait de boisson. Ils étaient habillés de vestes en peau de mouton (pas de chauffage dans la maison, à part la cuisinière au charbon) et un pantalon matelassé qui n’avait certainement pas été lavé depuis des mois. Eux non plus d’ailleurs. Ils se déplaçaient en moto. D'où venait l’électricité pour alimenter leur petite télé ? Le gouvernement leur avait offert quelques panneaux solaires et l’appareillage pour transformer l’énergie stockée en courant alternatif. A quoi leur servait le peu d’argent dont ils disposaient ? Pour acheter quelques vêtements (surtout pour les enfants), du beurre et du thé (pour le thé salé), des thermos, du charbon, une horloge, une antenne parabolique, etc.
À ce jour, ils doivent avoir déménagé vers la ville - la plus proche se situant à 500 km de chez eux, car ils voulaient donner une éducation aux petits-enfants. Là où ils vivaient, il n’y avait qu’une école primaire et l'aîné des enfants avait déjà douze ans.
« Et l’état de santé de cette famille ? », m'a demandé un interlocuteur lors d'une conférence. Je ne les ai pas auscultés. Ils avaient l’air normaux, et sales. Je n’ai pas demandé non plus de quoi était mort un fils qu’ils avaient perdu. Peut-être qu’il a simplement été mangé par les loups (oui, il y en a là-bas).
Cela me fait penser à autre chose. Bien qu’il n’y ait pas d’armureries en Chine, ni de permis de port d’armes enregistrés, les Tibétains vivant dans des régions reculées sont généralement armés. Ce sont de vieux fusils ou des armes ramenées clandestinement d’Inde. La prévention contre la violence en Chine se résume à l’interdiction pure et simple du commerce d’armes à feu. Mais les Tibétains des grandes plaines aiment avoir un fusil. Ils étaient chasseurs avant, mais depuis une trentaine d'années, la chasse est interdite en Chine et donc aussi au Tibet. Il y a des braconniers évidemment, mais quand ils se font prendre, ils écopent de lourdes peines de prison.
Quant au dalaï-lama, s'il aime répandre la légende d'un « Tibet végétarien » et prétende que « son peuple ne ferait pas de mal à une mouche », en réalité, il en va tout autrement : « son peuple » mange de la viande de yack, de mouton et de chèvre... et pas des animaux vivants tout de même !
Tanggula, entre le Qinghai et le Tibet.
Sur une surface de 300 x 200 km (deux fois la Belgique) vivent 194 familles, principalement des bergers. Une trentaine de familles de bergers vivent ensemble dans un petit village ordonné, où il y a même une route betonnée. Le village est à distance de marche de la route longue de 1120 km qui va de Golmud (Qinghai) à Lhassa (Tibet). Le long de la route à cet endroit il y a une rangée de quelques dizaines de baraques, prévues pour que les camionneurs fassent un arrêt : manger, dormir, réparer un pneu qui fuit, faire le plein et d’autres bricoles. À vue de nez, il y a une trentaine d’autres familles qui y ont leur activité. Dans le village, il y a l’eau de distribution, mais pas dans les maisons, seulement sur une place centrale. On se trouve dans la plaine étendue – à 5000m d’altitude – où le Yangze, le Fleuve Bleu, prend sa source. Il ne faut pas creuser profond pour trouver de l’eau potable. La première ville un peu conséquente se trouve à 270 km de là, vers le sud, à l’intérieur même du Tibet.
Une politique d’émigration est prévue pour les gens de cette région. L’impact humain sur l’environnement, via le bétail dans les rares herbages, est devenu trop important (trop de gens, trop de bétail, baisse des précipitations et hausse de la température). Le gouvernement local met de nouvelles petites maisons à disposition dans la périphérie de la ville de Golmud et offre à ces familles 600 euros de soutien annuel, garantis pendant dix ans, qu’ils trouvent du travail ou non. Et ils n’y trouvent pas encore facilement du travail. J’ai visité deux de ces « nouveaux » villages. Deux des activités de ces gens : vendre des produits de l’artisanat tibétain ou travailler dans la construction, mais encore sommairement. Le syndicat local organise des formations pour eux : électricité, plomberie et autres techniques élémentaires.