« La délocalisation n'est pas toujours souhaitable », prétend le Pr Ma Rong
par Jean-Paul Desimpelaere, le 5 février 2009
Le Professeur Ma Rong est un sociologue et démographe de réputation mondiale. Il a publié entre autres de nombreux ouvrages sur le Tibet. Pendant le séminaire international de tibétologie qui eut lieu en octobre 2008, il a laissé libre cours à ses critiques quant au conformisme caractérisant parfois les rangs des jeunes générations chinoises.
Il a déclaré, entre autres : « Nous devons être plus concrets dans notre manière de penser et nous demander, par exemple, quelle sorte d’industrie légère conviendrait le mieux pour le Tibet, la nommer concrètement, et puis, quelles techniques devraient être enseignées en R.A.T. ? Est-il vraiment nécessaire d’amener une grande partie de la population vers les villes ?
Je ne suis pas convaincu qu’il soit souhaitable pour tous les paysans tibétains d’aller s’installer dans la vallée fertile du Yarlung, délocaliser les gens n’est pas toujours une solution idéale.
Et puis, il faut tenir compte qu’un tiers de la R.A.T. est maintenant protégé ; aucune industrie n’a le droit de s’implanter en zone naturelle protégée. Par ailleurs, il ne faut pas oublier la population des travailleurs migrants : que pouvons-nous leur offrir, comment les organiser ? Nous devons être créatifs et ne pas être des béni-oui-oui pour tout ce que le gouvernement propose. »
Pr MaRong réagissait de la sorte à l’exposé d’un jeune sociologue chinois qui avait réalisé une enquête auprès des habitants d’un village « délocalisé ». Auparavant, ce village se situait dans un endroit éloigné de tout, sans aucune commodité. Il n’y avait même pas un chemin d'accès au village.
Le jeune chercheur avait ouvert son discours par un fumeux : « Conformément à la politique générale du gouvernement, le village un tel a été délocalisé…, etc. », et il poursuivait sans remettre en question le bienfait de ces délocalisations. D’après lui, puisque les directives gouvernementales avaient été suivies, les villageois étaient satisfaits de leur sort : à présent, ils disposaient d’eau courante, d’une petite école et d’un dispensaire pour les premiers soins. Le jeune sociologue n’était pourtant pas capable de dire si les revenus des habitants étaient plus élevés dans le nouveau village que dans l'ancien. Certes, une partie des villageois avait trouvé un emploi dans une station d’épuration d’eau et une autre partie dans un meunerie… mais, finalement, étaient-ils plus satisfaits qu’avant ?
L’honorable professeur MaRong, qui en a certainement vu d’autres dans sa longue carrière, ne s’est pas gêné pour critiquer ouvertement le conformisme des « jeunes loups aux longues dents » qui ne visent qu’à s’élever dans la hiérarchie universitaire et qui, pour ce faire, n’hésitent pas à encenser les politiques gouvernementales. Selon Pr MaRong, ce n’est pas ainsi qu'on fait progresser les choses.