Non violent, le bouddhisme ?
Par André Lacroix, le 11 novembre 2015
« Le bouddhisme n’est ni une religion ni une philosophie, mais un chemin de vie », entend-on souvent affirmer, et encore: « le bouddhisme n’est pas prosélyte ». C’est sans doute vrai idéalement, mais dans la réalité il en va autrement : le bouddhisme n’échappe pas aux tares affectant toute religion.
D’après Melvyn GOLDSTEIN, un aperçu historique révèle que les organisations bouddhistes au cours des siècles n'ont pas été exemptes des violences des autres religions (in The Snow Lion and the Dragon, 1995). Rien qu'au 20e siècle, poursuit Mark JUERGENSMEYER, de Thaïlande au Japon en passant par la Birmanie et la Corée, des Bouddhistes se sont combattus entre eux et ont combattu les Non-Bouddhistes.
Au Sri Lanka, d'immenses batailles au nom du bouddhisme font partie de l'histoire sri lankaise (inTerror in the Mind of God, 2000). On ne peut pas non plus oublier que, dans les années 30 et 40, le nationalisme militariste japonais a été très largement soutenu par les maîtres du bouddhisme zen, qualifiant de « guerre juste » les pires atrocités commises, surtout en Chine, par l’armée impériale.
Et l’histoire continue au 21e siècle : en Birmanie, les musulmans (Rohingya) sont à l’heure actuelle persécutés par la majorité bouddhiste ; au Bhoutan, les hindouistes sont considérés comme des citoyens de seconde zone par le pouvoir bouddhiste.
Ce qui est vrai du bouddhisme en général, l’est encore plus, me semble-t-il du bouddhisme tibétain, lequel est le plus répandu en Occident. Se superposant aux religions préexistantes au Tibet comme le Bön (animiste et chamanique, ainsi que dichotomique : dieux opposés aux démons), empruntant nombre de pratiques au tantrisme (ensemble, né en Inde, de croyances et de rites visant au salut par la connaissance des lois de la nature, allant jusqu’à des rites de fusion sexuelle et prônant la divisions en castes, ce qui a bien servi l’establishment), le bouddhisme tibétain apparaît comme un immense bric-à-brac conceptuel, qui fait dire à Alain Daniélou qu’il s’agit d’un « shivaïsme déguisé ».
Le bouddhisme tibétain, appelé aussi lamaïsme, est probablement, de toutes les formes de bouddhisme, celui qui, par bien des aspects, est le plus éloigné de l’enseignement de Bouddha. Bouddha a opéré une coupure radicale avec l’hindouisme de sa naissance, pour chercher et puis proposer ici-bas un chemin de vie fait de simplicité et de compassion, c’est-à-dire une philosophie pratique.
Or, ce qui frappe celui qui essaie d’approcher la culture tibétaine – du Tibet ! –, c’est sa mythologie foisonnante qui regorge de divinités terrifiantes et de démons grimaçants, comme, par exemple, le dieu de la mort Yamantaka que l’on peut voir, sur des thangkas, accouplé à sa partenaire, en train d’écraser un bovidé représentant l’hindouisme et un homme barbu représentant l’islam.
Autre exemple : le dieu Mahakala, ceint de crânes d’ennemis qui, dans un torrent de feu, livre combat au mal (que certains n’hésitent pas à identifier au parti communiste !), une divinité dont le dalaï-lama écrit, dans ses mémoires, qu’elle constitue son objet favori de méditation…
Il est permis de rapprocher ici les Squelettes Citipati caractéristiques du monde himalayen des Danses macabres et autres Vanités omniprésentes à la fin du Moyen Âge de l’Occident chrétien. L’exposition qui s’est tenue à Paris du 15 septembre au 30 octobre 2004, en confrontant des productions venues d’époques et d’univers différents, et pourtant si semblables, en a fourni des exemples étonnamment suggestifs (voir les magnifique catalogue « La Danse des Morts », éd. Findakly). Sans nécessairement adhérer à la généralisation de Michel Onfray selon lequel « les religions se nourrissent de la pulsion de mort », sans nécessairement non plus jeter le discrédit sur toute forme de mysticisme, voire de pratique chamanique, encore à l’œuvre un peu partout dans le monde, on ne peut pas faire comme si le bouddhisme tibétain n’était qu’un respectable chemin de vie, comme si le sourire de Bouddha ne cohabitait pas avec d’horribles grimaces.
Cette part d’ombre est généralement niée par les propagandistes et les convertis du lamaïsme qui ne veulent voir dans les attributs terrifiants des divinités qu’une arme pour détruire l’égo et les passions négatives. Ainsi donc, tout ne serait que symbole.
C’est oublier que, d’après les textes sacrés, les pires punitions attendent dès ici-bas ceux qui manquent de respect envers leur lama. « En témoignent les objets utilisés lors des cérémonies rituelles tantriques qui proviennent du corps des torturés : vases en crâne humain, trompettes en os de tibia, chaines en vertèbres dorsales, peaux humaines tendues pour faire résonner les tambours et pour décorer les lieux de culte » (Jean-Paul DESIMPELAERE et Élisabeth MARTENS, Tibet, Au-delà de l’illusion, éd. Aden, 2009, p. 221-222.
Voir aussi Victor TRIMONDI, L’Ombre du dalaï-lama, Düsseldorf, 1999 – en français sur le site www.trimondi.de). Si le mythe guerrier du Shambhala n’était qu’un mythe eschatologique promettant la félicité aux élus, les nazis ne s’en seraient pas directement inspirés dans leur volonté d’établir leur empire de mille ans…
Toutes ces caractéristiques extrêmes du religieux se prêtant encore aujourd’hui à une instrumentalisation à des fins politiques (séparatistes), sont très généralement ignorées chez nous, grâce notamment au dalaï-lama qui a réussi ce tour de force, non seulement d’apparaître comme le pape des bouddhistes du monde (alors qu’il n’en représente même pas 1%) mais surtout de gommer aux yeux des Occidentaux tous les oripeaux religieux du bouddhisme tibétain, présenté – avec une maestria qui relève du tour de passe-passe – comme une pure sagesse, dont chacun peut faire son miel…
Comme l'écrit Bernard FAURE, Professeur à l’université de Stanford, Californie : Même s’il ne saurait être question de nier l’existence au cœur du bouddhisme d’un idéal de paix et de tolérance, fondé sur de nombreux passages scripturaux, ceux-ci sont contrebalancés par d’autres sources selon lesquelles la violence et la guerre sont permises lorsque le Dharma bouddhique est menacé par des infidèles. Dans le Kalachakra-tantra par exemple, texte auquel se réfère souvent le dalaï-lama, les infidèles en question sont des musulmans qui menacent l’existence du royaume mythique de Shambhala. A ceux qui rêvent d’une tradition bouddhique monologique et apaisée, il convient d’opposer, par souci de vérité, cette part d’ombre.
Bien évidemment, ces considérations n’enlèvent rien au droit de chacun(e) d’adhérer au bouddhisme ou à toute croyance ou pratique consolatrice des vicissitudes de ce bas monde. Ces considérations n’enlèvent rien non plus au devoir de chacun(e) de reconnaître la valeur des créations culturelles inspirées par le bouddhisme au cours des siècles. Ces considérations n’ont qu’un but : ouvrir les yeux de chacun(e) sur les dérives qui menacent le bouddhisme comme elles menacent toutes les sectes et toutes les religions.