Le monastère de Narthang, une ancienne imprimerie
par Jean-Paul Desimpelaere, le 16 février 2009
Ce petit monastère se trouve à l’Ouest de Xigaze, à proximité de Narthang, un village dont je vous ai déjà parlé quand je vous ai raconté l’histoire de Tashi et de sa famille. Le monastère a été fondé par un lama de l’école Kadampa en 1153, en pleine période de « Renaissance du bouddhisme au Tibet » . Plus tard, au 18ème siècle, le monastère de Narthang est devenu un centre important pour l’impression de sutras (livres sacrés du bouddhisme). Pour ce faire, les lamas-artisans utilisaient des blocs de bois sculptés. Quelques milliers de ces blocs existent encore, mais malheureusement une grande partie d’entre eux a disparu durant la Révolution Culturelle.
Seulement quelques édifices importants du complexe religieux ont été préservés, les autres ont été démolis. Des dix-huit stupas qui étaient distribués sur le domaine du monastère ne subsistent que des débris, parmi lesquels des morceaux de tuiles sculptées (tellement faciles à emporter, hélas… !). Grâce à l’intervention du 10ème panchen-lama, le monastère a repris vie après la Révolution Culturelle, bien que sous une forme plus modeste. Actuellement, une cinquantaine de lamas y conservent vivantes les traditions de l’école Kadampa.
En 2000, un nouveau stupa a été érigé au monastère de Narthang. Sur une photo datant du début du 20ème siècle et affichée au milieu d’une petite salle du monastère, on peut voir une photo du précédent rinpoché (responsable de monastère). Il était habillé à l’occidentale. Sa chambre à coucher est visitable moyennant quelques pièces. Nous étions les seuls visiteurs présents à ce moment-là. Pourtant à l’entrée de la salle de prières, les boîtes en plexiglas destinées à recevoir les billets de banque étaient pleines, on y voyait même quelques gros billets. Dans une petite salle adjacente, nous apercevons deux moines occupés à rassembler, trier et compter les coupures de banque. Les monastères ne sont certes plus des centres de pouvoir économique comme ils l’étaient par le passé, mais il reste comme un relent de ministère des finances, sans doute alternatif!
Pour la visite du monastère, nous sommes accompagnés par un moine d’une trentaine d’années qui nous donne des explications détaillées concernant chacune des salles. Serein et attentionné, son discours n’est nullement du « fait sur mesure » pour les touristes. Au contraire, il communique sa foi avec simplicité. En l’écoutant, je me souviens d’une dame franco-chinoise qui a récemment écrit un livre sur les dalaï-lamas et qui, lors d’une interview à Bruxelles, déclarait tout de go que « l’esprit véritable du bouddhisme était mort au Tibet ». En entendant parler ce jeune lama, il me semble qu’il en va tout autrement.
Demandez d’ailleurs aux Tibétains eux-mêmes ce qu’ils en pensent… A nos yeux, leur foi est peut-être un mélange de religion et de superstitions, pourtant la foi religieuse est d’actualité en R.A.T., elle en imprègne les moindres recoins. Depuis que certains grands esprits occidentaux ont voulu « dépoussiérer » le bouddhisme tibétain, en expulser tout ce qui semblait faire partie du registre des superstitions, ils se sont tout à coup senti les détenteurs du « véritable dharma »... et ils se permettent de critiquer la foi des Tibétains en avançant que « l’esprit du bouddhisme est mort au Tibet ». En vérité, je me demande parfois pour qui nous nous prenons !
Un des lamas du monastère nous raconte une légende liée à la fondation du monastère de Narthang. Tout débute avec Atisha, un grand maître tantrique indien en marche vers le Tibet pour fuir les raids musulmans qui dévastaient le Nord de l'Inde. Il s’est arrêté à Narthang lors de son périple qui l’amenait du petit royaume de Guge, situé près de la montagne du Kailash à l’Ouest du Tibet, jusqu’à Lhassa. Ce n’était pas un endroit particulièrement attrayant. La seule raison de son arrêt est qu’il s’y trouvait un village florissant et peuplé.
Derrière le village, en direction des montagnes, il voit un grand pan de terre en friche. Il y envoie son domestique pour examiner le terrain. Quand celui-ci revient, il lui rapporte n’avoir rien vu de spécial, si ce n’est seize abeilles qui butinaient au milieu des buissons. Atisha s’écrie : « ce sont sûrement les seize arhats ! », et il décide aussitôt de faire bâtir un temple en cet endroit en l’honneur des arhats. Beaucoup plus tard, le premier dalaï-lama s’est installé au même endroit, en attendant que fût construit le monastère principal de Xigaze. En ce lieu saint, on trouve encore une pierre « mani » couverte du mantra « om mani padme hom » écrit de sa propre main.
Dans une des petites salles du monastère pend une cruche remplie d’eau qui nous invite à écouter une autre une histoire singulière. Chaque année, au mois d’avril, cette petite cruche est remplie d’eau fraîche, puis soigneusement recouverte. Si au mois d’avril de l’année suivante, le niveau de l’eau a baissé dans la cruche, on prévoit une sécheresse et une moisson désastreuse.
Par contre, si le niveau de l’eau a augmenté dans la cruche, les prévisions sont de bon augure. Si l’eau dégage une odeur fétide, le malheur est à notre porte. Chaque année au mois d’avril, des fidèles viennent boire cette eau en guise de protection pour la saison à venir. Dawa, mon compagnon de voyage et grand croyant, prend cela très au sérieux.