L’autonomie du Tibet : une interaction entre « central » et « local »

par Jean-Paul Desimpelaere, le 22 mars 2009

Peu de personnes savent, chez nous, que la province tibétaine est une région déclarée « autonome » depuis 1965 par le gouvernement chinois. On la nomme la « R.A.T. » ou Région autonome du Tibet. « Mais de quelle autonomie s'agit-il ? », se demandent les pro-dalaï-lamas ? Par ailleurs, nous comprenons souvent le mot ‘autonomie’ en termes ‘d’exclusion’ :

comme s'il s'agissait de fermer des portes, des fenêtres et des frontières. Mais si c'était le cas, la dynamique de ‘l’autonomie’, c’est-à-dire la relation entre le ‘central’ et le ‘local’,  s’interromprait ; il y aurait ‘rupture’, ce qui n'est pas le cas de la R.A.T.

La Chine n’entend pas le mot « autonomie » de la même manière que nous. Sa manière de penser l'autonomie met l’interaction entre le ’local’ et le ’central’ au cœur du processus.
Le ‘central’, puisqu’il est ‘central’, prend le pas sur le ‘local’ : il s'occupe des grandes orientations économiques, politiques et sociales. On pourrait oser ici une comparaison avec l’Europe où la Commission Européenne émet des ‘directives’ destinées à ses États membres, directives qui d’ailleurs nous concernent directement.

Beaucoup d’entre nous pensent que le Tibet est administré par des Chinois Han et qu’une poignée de fonctionnaires tibétains ‘fantoches’ est à leur service. Nous ignorons que ce sont des Tibétains qui dirigent leur propre région. Il s'agit du 'local'. La proportion de fonctionnaires tibétains est de 70% dans les grandes villes, et grimpe à 90% et jusqu’à 100% dans les  campagnes. Nulle part au Tibet, vous trouverez de ‘chef de village’ Han (ou ridiculement peu) ; ils sont tous tibétain et sont choisis par élection directe, de même que les fonctionnaires siégeant à la direction des cantons et des départements. Dans les organes de direction au Tibet, de haut en bas, y compris dans le « Congrès Populaire » de Lhassa (la plus haute instance de décision), les Tibétains sont représentés à 80% des membres.


L’ensemble du personnel administratif n’est pas une ‘poignée de fantoches’ ; il s’agit au total d’environ 130.000 personnes (fonctionnaires et techniciens gouvernementaux, tous niveaux confondus), ceci sans compter la police qui est également composée de Tibétains. Cette masse de gens n’est pas qu’un troupeau de moutons : une véritable ambiance de ‘débat’ règne sur le Haut plateau. On y discute de tout ce qui concerne l’organisation de la vie, à tous les niveaux et sur tous les plans, exception faite de l’indépendance car elle met en jeu l’unité nationale. Rien à voir donc avec la « terreur Han », comme le disent les ‘dalaïstes’ en Occident.


Un petit exemple : en 2005, je rencontrais un ‘échevin’ de la municipalité de Lhassa qui me disait qu’une discussion du moment concernait l’urbanisme. La question débattue était la suivante : « fallait-il que toute nouvelle construction (en dehors du vieux centre ville de Lhassa qui est protégé) adopte le style traditionnel tibétain ou fallait-il laisser le modernisme prendre place ? » Ce n’est qu’un exemple parmi des milliers d’autres.


Ce sont les dirigeants, en grande majorité des Tibétains, qui décident du développement concret de la région. Évidemment, cette direction ‘locale’ est en interaction avec le ‘central’. D’abord, il y a les subsides octroyés par l’État central (négociés avec le ‘local’ tibétain) qui sont énormes ces dernières années (voir rubrique ‘économie en général’). C’est l’État central qui décide de la mise en place de quelques grands projets (le chemin de fer par exemple), en accord avec le gouvernement régional.


Mais c’est le gouvernement régional qui décide de l’utilisation des subsides, ceci en accord avec le gouvernement central. A tous moments, il y a aller-retour entre ‘central’ et ‘local’, il y a interaction, dialogue, négociation. Un exemple : le président chinois dit que « le plan de relance contre la crise doit libérer de l’argent en faveur de l’agriculture ». Alors que dans une grande partie de la Chine intérieure cela se traduit en subsides pour la petite industrie agro-alimentaire, les autorités tibétaines décident de mettre ces subsides dans un vaste projet de rénovation des fermes et des maisons à la campagne, de distribution d’eau potable, et de construction de petites routes reliant chaque village. Ce n’est qu’un exemple parmi des milliers d’autres.


Dans la relation entre le ‘central’ et le ‘local’, justement l’accent est mis sur la ‘relation’, sur la dynamique de la relation (appelez cela ‘yin-yang’ ou ‘dialectique’, si vous voulez). En Europe, nous avons tendance à être plus ‘tranchés‘, ce qui peut d’ailleurs amener à des ‘guerres de tranchées’ ! En Chine, les compétences des uns et des autres sont moins ‘délimitées’ que chez nous.
Les interactions sont multiples, et cela se remarque également au niveau de la législation. Il y a des lois nationales, ces lois nationales peuvent être modifiées en fonction des conditions du Tibet, et il y a des lois spécifiques au Tibet, au cas par cas, négociées et convenues entre le ‘local’ et le ‘central’. Trois exemples frappant : la polyandrie et la polygamie sont légales au Tibet, alors qu’elles ne le sont pas ailleurs en Chine ; les taxes sur les revenus sont moins élevées au Tibet que dans le reste de la Chine ; la politique de ‘l’enfant unique’ n’a jamais été d’application au Tibet.


En Occident, nous ne sommes pas habitués à un tel ‘va et vient’, mais plutôt aux ‘va-t’en’ ou ‘viens ici’. Chez nous, il y a souvent un dominant et un dominé, plutôt qu’un central et un local ; et le dominant a tendance à renforcer sa domination, sans faire de concessions. Bien sûr, dans le ‘va et vient’ de la Chine, il y a aussi des moments ou des situations où un aspect domine l’autre ; mais là-bas, quand le dominant ‘pousse trop sur la pédale’, il sait qu’il ne restera pas dominant très longtemps !

 

PS : à la remarque suivante d'un internaute : « vous oubliez de mentionner l’importance du parti communiste, véritable instance du pouvoir en Chine, qui est lui très majoritairement dominé par des hommes (très souvent hans) nommés directement par Pékin. Par exemple, le secrétaire général du Parti est connu pour avoir officié au Xinjiang auparavant où il s’est illustré par son usage de la force pour éliminer le mouvement autonomiste ouïgour... et je n’ai pas besoin de vous rappeler que Hu Jintao a été le secrétaire du Parti au Tibet pendant des années où il a gagné le charmant surnom de "boucher de Lhassa". »,

je voudrais ajouter ceci :


En Chine, en général, le Parti Communiste Chinois exerce son pouvoir par le biais de ses membres et de ses cadres qui siègent dans les gouvernements locaux. Il y sont souvent majoritaires, ce qui est voulu, car la constitution chinoise le stipule. Ce n’est pas à moi, étranger, de vouloir changer cela. Alors, puisque le gouvernement régional du Tibet est composé majoritairement de Tibétains, il faudrait en conclure que pas mal de Tibétains sont membres du PCC.

Cela peut déplaire à nos oreilles occidentales, mais ce n’est pas à nous de créer une force d’intervention pour changer cet état des choses. Il est vrai que Hu Jintao a co-dirigé le Tibet dans une période difficile (1988-1992, prix Nobel pour le DL et émeutes à Lhassa). Son ’surnom’ vient de l’Occident.

Sur place, je ne le constate pas. Et puis, oui, Zhang Qingli, l’actuel secrétaire du PCC au Tibet, a fait un parcours ’multi-provinces’, comme pas mal de dirigeants du pays. Le gouvernement chinois ne donne pas de liberté aux mouvements nationalistes et sécessionnistes, c’est connu. Je suis assez persuadé que cela cause moins de dégâts humains que de laisser devenir un peuple l’enjeu de rivalités entre grandes puissances.