Avaaz jase : un perroquet parle du Tibet
par André Lacroix, le 18 février 2025
L’ONG Avaaz.org, spécialisée dans le « cyber-militantisme », n’est pas avare de pétitions tous azimuts. La dernière en date, destinée au Haut-Commissaire des Nations unies pour les droits de l’homme, est intitulée « Stop à l’endoctrinement des enfants tibétains ! » (1)
C’est quoi Avaaz ?
C’est une organisation non gouvernementale internationale de cyber-militantisme, fondée en 2007. Se présentant comme un « mouvement démocratique supranational », elle déclare donner les moyens aux citoyens du monde entier de se mobiliser sur diverses questions internationales, comme le changement climatique, les droits de l'homme, la corruption ou la pauvreté.
Son nom, nous dit Wikipédia, vient de la romanisation du mot signifiant « voix » dans un grand nombre de langues, notamment : hindi « आवाज़» et urdu « آواز».
Comment rester sourd à ces voix ? Comment ne pas souscrire à des campagnes consensuelles sur la protection des forêts équatoriales et des sites archéologiques, sur l’aide aux régions touchées par une catastrophe naturelle, sur le respect des femmes, etc. ?
Mais, première critique, ce type de militantisme en pantoufles ne risque-t-il pas, en donnant bonne conscience aux signataires de pétitions, de prendre la place des engagements concrets et collectifs pour faire changer les choses ? Comme le dit Evgeny Morozov, « cliquer n’est pas sauver ».
Les fonds qui financent cette puissante organisation ne seraient-ils pas mieux utilisés s’ils bénéficiaient plutôt à des ONG actives sur le terrain ?
Deuxième remarque : sur son site officiel, Avaaz affiche 70 millions de membres. Il suffit d’avoir signé une fois une pétition pour être compté comme membre : ça a dû m’arriver une fois, il y a une bonne dizaine d’années. Ça ne fait pas de moi un membre. Ce comput barnumesque n’inspire pas confiance.
Troisième remarque. Comme elle l’affirme officiellement : « Avaaz est financée à 100% par ses membres et n'a donc de comptes à rendre qu'à ses membres. Nous ne dépendons pas de grands donateurs, fondations, ou groupes d'intérêts. » Fort bien, mais à partir de combien de milliers de dollars est-on considéré comme « grand donateur », quand devient-on une « fondation » et quelle est la définition de « groupe d’intérêts » ? Et, question sans doute perfide : pourquoi Avaaz a-t-elle établi son siège dans le petit État du Delaware, bien connu comme paradis fiscal ? (2).
Il faut par ailleurs se souvenir que, de 2007 à 2009, Avaaz a bénéficié des largesses du milliardaire George Soros, le spécialiste de l’évasion fiscale, qui a été condamné pour délit d’initié. Il faut rappeler que ce grand philanthrope, via son réseau OSF (Open Society Foundations) a participé, entre autres, au déclanchement de la guerre en Yougoslavie et au coup d’État de l’Euromaïdan, en étroite collaboration avec la NED (National Endowment for Democracy), petite sœur de la CIA (Central Intelligence Agency).

Avec un tel parrainage, il ne faut pas s’étonner que l’ONG Avaaz, qui se présente comme un « mouvement démocratique supranational » soit en phase, c’est peu dire, avec l’establishment étatsunien et spécialement avec le Parti Démocrate. Avaaz émane de MoveOne, un comité d’action publique fondé pour lutter contre l’impeachment de Bill Clinton. Parmi les responsables d’Avaaz, affichant tous un idéal progressiste comme le consultant anglo-canadien Ricken Patel, l’écrivain étatsunien Eli Pariser, l’entrepreneur australien David Madden on compte aussi le politicien de Virginie Tom Perriello, membre du Parti démocrate, défenseur de la présence étatsunienne en Irak ou au Pakistan, et aussi du permis de port d'armes aux États-Unis, ce qui lui a valu un temps le soutien de la NRA (National Rifle Association of America).
Assez : n’en jetez plus ! Il est temps de passer au contenu de la pétition lancée par Avaaz à propos de « l’endoctrinement des enfants tibétains ».
D’où Avaaz tire-t-elle ses informations ?
Je la cite : « Des journalistes ont révélé ce scandale grâce à de courageux experts et des enseignants tibétains. » Ces termes vagues et nullement sourcés laissent rêveur, sinon furieux. Même à l’école primaire, on exige des élèves présentant une élocution sur un sujet donné davantage de sérieux.
Pour avoir plus de précisions, il faut lire la pétition jusqu’au bout et là nous apprenons que « dans cet appel au Haut-Commissaire pour les droits de l’homme, Avaaz soutient une coalition d’activistes qui se battent pour les droits des Tibétains menée par :
- International Tibet Network
- Students for a Free Tibet
- Tibet Action Institute
- Tibet Justice Center
- Tibetan Youth Association Europe.”
Si on y regarde de près, on constate, par exemple, que le « Tibet Justice Center » a reçu en 2013 15,000 $ de … la NED. Les cinq coalitions d’activistes retenues par Avaaz font partie, comme bien d’autres officines « Free Tibet », d’une nébuleuse gravitant autour de la puissante ICT (International Campaign for Tibet).
Fondée en 1988, l’ICT est la plus grande ONG au monde à s’intéresser au Tibet, avec plusieurs milliers de membres et de solides bases de soutien en Amérique du Nord et en Europe. Elle possède des bureaux à Washington DC, à Amsterdam, à Bruxelles, à Berlin et … à Dharmasala, siège du « gouvernement tibétain en exil ». Elle est subventionnée par la NED. Ses trente ans d’existence ont été fêtés le 15 mars 2018 au Congrès des États-Unis, par Nancy Pelosi, laquelle sera honorée, six ans plus tard, par la remise de la « Light of Truth Award » décernée pour ses bons et loyaux services en faveur de la cause indépendantiste des exilés tibétains.

Résumons-nous : Washington pilote la NED, la NED finance l’ICT et l’ICT informe Avaaz. Et quand on sait que les dirigeants étatsuniens, qu’ils soient démocrates ou républicains, acceptant difficilement la perte de leur hégémonie, sont prêts à tout pour gêner la Chine, il ne faut pas s’étonner qu’Avaaz participe à cette campagne de dénigrement.
Elle l’avait déjà fait en 2008, dans le contexte des manifestations antichinoises organisées dans le monde contre l’organisation des JO de Pékin, en lançant une pétition « contre la répression chinoise des troubles au Tibet », signée par 1,5 millions de personnes dont l’immense majorité ignorait sûrement et ignore toujours que les violences qui ont eu lieu à Lhassa le 14 mars 2008 ont été perpétrées par des groupes de manifestants tibétains. Les témoignages des étrangers présents sur place concordent tous : les agressions visaient les Chinois Han et les Chinois Hui (musulmans). Des personnes ont été brûlées vives, d’autres ont été battues à mort, déchiquetées au couteau ou lapidées.
Cyber-militantisme ou hyper-psittacisme ?
« Nous sommes horrifiés, dit la pétition de 2025, par les informations faisant état de la politique chinoise consistant à forcer les enfants tibétains à être endoctrinés dans des pensionnats jusqu’à ce qu’ils oublient leur langue, leur culture et leur religion. »
Horrifiés ? C’est nous qui le sommes, devant de telles accusations gratuites.
Selon Avaaz, « la Chine tente de cacher ces internats où 1 million d’enfants sont privés de leur culture tibétaine. »
Primo, la Chine ne cache rien. Au contraire, elle est fière de montrer au monde comment fonctionne l’enseignement au Tibet.
En 2006, selon des sources gouvernementales chinoises (3), le nombre d'établissements d'enseignement dans la RAT (Région autonome du Tibet) (4) était le suivant :
- 890 écoles primaires et 1.568 « centres d'enseignement » avec 329 500 élèves ;
- 93 collèges avec 127.900 élèves, 13 lycées avec 37.700 élèves et 10 lycées professionnels avec 14.775 élèves ;
- 6 établissements d'enseignement supérieur avec 23.327 élèves (dont l'Université du Tibet, l'Institut des nationalités, l'Institut d'agronomie et de techniques d'élevage et l'Institut de médecine).
Fin 2006, seuls 49 districts sur les 73 de la RAT assuraient l'enseignement obligatoire sur 9 années, les autres n'en assurant que 6 années.

Secundo, des internats, bien sûr qu’il y en a. Sur un territoire aussi vaste (1,2 million de km2, plus de deux fois la France) comportant de nombreux endroits difficiles d’accès avec des bourgades minuscules situées parfois à très haute altitude, comment faire autrement pour scolariser les enfants ? Dans l’immense majorité des villes du Tibet, surtout dans les chefs-lieux des Préfectures et des Districts, il y a un internat, qui est aussi un externat pour les enfants de la localité. Les vacances venues, les internes rentrent dans leur village, où il peut leur arriver d’être mis à contribution pour effectuer certaines tâches du quotidien, comme la garde des troupeaux.
Tertio, même si le chiffre d’1 million vient de nulle part, il a au moins le mérite de mettre en évidence le grand nombre d’enfants, garçons et filles, qui sont aujourd’hui scolarisés au Tibet. En brandissant ce chiffre énorme comme un argument contre la Chine, Avaaz n’avouerait-elle pas inconsciemment sa nostalgie du bon vieux temps de l’Ancien Régime des lamas, quand l’analphabétisme avoisinait les 95% ?
Quarto, la pétition prétend que les petits Tibétains sont « endoctrinés » et soumis à « la dévotion au parti unique » et que « leur culture et leur religion sont effacées ».
Il est tout à fait vrai que la religion ne fait pas partie des matières enseignées dans les écoles tibétaines. Cela n’a rien de scandaleux sauf, sans doute, pour certains régimes dirigés par des ayatollahs, voire pour la patrie de l’Oncle Sam où une majorité de jeunes élèves prient à l’école et où les thèses créationnistes ont toujours la cote.
L’accusation d’endoctrinement est plutôt ironique, quand on sait que les élèves aux États-Unis, soumis au « Pledge of Allegiance », sont tenus de réciter chaque matin : « Je jure allégeance au drapeau des États-Unis d’Amérique (…), une nation sous l’autorité de Dieu (…) ».
Quinto, dans une autre accusation mensongère, la pétition prétend que « les enfants tibétains n’apprennent que le mandarin ». Pour qui connaît un tant soit peu la situation, c’en est trop : la langue tibétaine est la première langue de l’enseignement primaire en RAT. S’y ajoute graduellement l’apprentissage de la langue nationale, à savoir le putonghua (ou mandarin), et aussi, de plus en plus, des cours d’anglais, sans oublier, bien sûr, l’histoire, la géographie, les mathématiques, les sciences et l’art. L’accusation d’avaaz selon laquelle les petits Tibétains seraient « endoctrinés jusqu’à oublier la langue de leurs parents » est bête et méchante.
Cette variation sur le thème connu du soi-disant « génocide culturel » est radicalement contredite par le Tibétain Tsering Wangdu Shakya, professeur à l’Institute of Asian Research de l’Université de Colombie Britannique (Vancouver) (5).


Sexto, pour couronner son réquisitoire de café du commerce, Avaaz lance cette accusation gratuite particulièrement déplacée, selon laquelle les enfants tibétains « sont victimes d’abus physiques, d’anxiété et de dépression. » Il s’agit là typiquement d’un comportement bien connu des psychiatres : on projette sur autrui ses propres tares. N’est-ce pas dans nos pays occidentaux et singulièrement aux États-Unis, que l’on constate l’augmentation inquiétante des dépressions chez les jeunes (6) ?


Quand va-t-on cesser chez nous d’accorder plus de crédit aux récriminations et aux fantasmes de quelques dizaines de milliers d’exilés tibétains (7) plutôt qu’à l’avis de 6,3 millions de Tibétains du Tibet (8), dont les conditions de vie s’améliorent sans cesse et qui envisagent avec confiance leur avenir au sein de la République populaire de Chine ?
Conclusion
« Vous avez le pouvoir de lancer une enquête pour faire éclater la vérité au grand jour », claironne Avaaz.
Que la vérité éclate, c’est mon vœu le plus cher : j’envoie donc la présente à M. Volker Türk, Haut-Commissaire pour les droits de l’homme (Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.) avec copie à Avaaz (Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.).
N’hésitez pas, chères lectrice, chers lecteurs, à faire de même si le cœur vous en dit.
Sources :
(1) Texte sur demande.
(2) C’est aussi le fief de Joe Biden, bien connu (mais pas assez connu) pour ses faits de corruption. Voir, par exemple, https://www.legrandsoir.info/_le-mercier-vincent_.html et aussi l’enquête d’Olivier Berruyer https://www.les-crises.fr/dossier/ukrainegate/.
(3) http://www.china.org.cn/china/tibetfactsandfigures/2008-04/28/content_15025452.htm
(4) Précisément en RAT (Région autonome du Tibet). La situation dans les Préfectures autonomes et les Cantons autonomes tibétains des territoires limitrophes (Qinghai, Gansu, Sichuan, Yunnan), la politique scolaire est sensiblement la même.
(5) Voir le tableau qu’il dresse de la richesse culturelle du Tibet d’aujourd’hui dans http://tibetdoc.org/index.php/culture/langue-litterature/9-2le-renouveau-de-la-litterature-tibetaine.
(6) Voir, par exemple, https://www.humanium.org/fr/une-pandemie-au-sommet-dune-pandemie-la-crise-croissante-de-la-sante-mentale-chez-les-adolescents-aux-etats-unis/#:~:text=Entre%202009%20et%202019%2C%2040,%25%20(Thompson%2C%202022).
(7) D’après un recensement effectué en 2009 par l’« Administration centrale du Tibet », sise à Dharamsala (voir http://www.tibet-info.net/www/Resultats-du-recensement-de-la.html), les exilés tibétains seraient au nombre 127.935 personnes, se répartissant en 70.556 hommes et 57.379 femmes. Mais ces chiffres ne provenaient que des réponses à un questionnaire. La diaspora tibétaine est certainement plus importante. On peut l’estimer à plus de 200.000 unités, la majorité, ± 172.000, en Asie (Inde, Népal, Bhoutan, Pakistan) et le reste, ± 36.000, dans « nos » pays : 9.000 aux États-Unis, 7.500 au Canada, 6.500 en Suisse, 1.000 en Australie, 650 au Royaume-Uni, entre 8.000 et 10.000 en France, d’après une estimation de Wikipédia (https://fr.wikipedia.org/wiki/Tib%C3%A9tains) à laquelle il faut ajouter la Belgique (de 1.000 à 2.000), le Luxembourg (300), les Pays-Bas (?) et l’Allemagne (?).
(8) En gros, 3 millions en RAT et 3,3 millions dans les territoires contigus (à savoir le Qinghai, une petite partie du Gansu, un tiers du Sichuan et un bout du Yunnan).