Bernard Maréchal, TIBET Combat pour la vérité,contre la désinformation, 3ème partie : expériences partagées
André Lacroix, le 5 février 2018
Ayant eu, comme Bernard Maréchal, la chance de voyager en Chine loin des sentiers battus, il n’est pas étonnant que certaines de ses observations aient ravivé en moi quelques souvenirs. Le lecteur voudra bien dépasser le caractère anecdotique de certains rapprochements pour y découvrir quelques facettes de la réalité tibétaine.
1) Bernard Maréchal écrit, p. 16 : « J’ai vu des moines ventripotents dans le train de Lhassa » et, p.160, il reproduit la photo de l’un d’eux. Dans mon carnet de voyage en août 2009, j’avais écrit en date du mercredi 5 : « Dîner à l’étage dans un restaurant plein de moines, dont un moine glouton » (c’était à Xiahe dans le Gansu).
Bien évidemment, les moines bouddhistes n’ont pas le monopole de la gourmandise, ni d’autres concupiscences… On trouverait aisément, dans toutes les autres religions, des ministres du culte dont l’ascétisme n’est pas la caractéristique principale.
2) « Comme l’ont écrit nos explorateurs ? - je cite Bernard Maréchal - les moines paressent toujours, leur activité principale étant le soir, de compter la recette du jour laissée par les pèlerins dans de grands bacs prévus à cet effet (On ne peut pas comparer les troncs de nos églises qui sont beaucoup plus petits) (…) » (p. 15).
Personnellement j’ai eu le cœur serré en voyant de pauvres pèlerins distribuer leurs maigres économies à des moines replets et bien peu compatissants. Je n’ai pas pu m’empêcher de penser à l’indignation qui a saisi Martin Luther voici cinq cents ans, ni au fait que la basilique Saint-Pierre de Rome a été construite grâce au revenu des indulgences.
3) Autre sujet : la place de la femme dans la société tibétaine, qui n’est pas des plus enviables. Je cite encore Bernard Maréchal : « Les garçons semblaient plus occupés à faire des rodéos à moto ou à jouer au billard dans les villes et petits villages qu’à travailler (…) Quant à la jeunesse féminine du même âge, elle garde les troupeaux de yacks ou travaille comme je l’ai vu avec pelles et pioches sur les chantiers (…) » (p. 19).
Ça me rappelle cette jeune Tibétaine coltinant sur son dos une énorme corbeille remplie de briques ; elle était là le matin vers 9 h et était encore au poste à 17 h, toujours souriante quoique fatiguée, sans éveiller la moindre attention des passants, moines compris, se pressant dans la rue avec ou sans téléphone portable à l’oreille.
Cela va sans dire : le lamaïsme n’a pas le monopole du machisme : c’est même une caractéristique commune à toutes les religions, surtout les religions monothéistes. Mais, alors que, dans nos pays, la misogynie des prêtres, des rabbins et des imams est bien connue, celle des lamas est étrangement passée sous silence. Et quand le dalaï-lama affirme que son successeur pourrait être une femme, chacun devrait pourtant savoir qu’il s’agit là, au mieux, d’une blague destinée à se faire bien voir en Occident et, au pire, d’un art consommé du double langage.
4) Un autre trait du bouddhisme, c’est son formalisme, dont les exégètes bouddhiques, même les plus prestigieux comme Philippe Cornu ne semblent pas percevoir l’hypocrisie : « Quand manger de la viande s’avère nécessaire à la santé, écrit-il, la règle est la suivante : la viande doit provenir d’un marché, sans que l’animal ait été tué à votre intention personnelle. On ne doit pas avoir vu l’animal être abattu, ne pas avoir su qu’il allait être abattu ni se douter qu’il allait l’être » (1).
C’est sans doute parce qu’il se sentait en faute face à cette prescription que ma femme a provoqué la colère d’un moine, en voulant le photographier en train d’acheter un gros morceau de viande sur un pick-up au sortir du monastère de Ganden. Ce souvenir datant du dimanche matin 23 août 2009 m’est revenu en lisant la citation suivante chez Bernard Maréchal ; il y rapporte le jugement d’un missionnaire catholique français sur les lamas ? un jugement dont l’extrême sévérité est peut-être influencée par l’insuccès de l’évangélisation des Tibétains : « Le père Dubernard, vers 1900, note l’hypocrisie des lamas : ‘Le lamaïsme a toujours prôné la non-violence, on ne tue pas son ennemi, on le fait tuer par d’autres’ » (p. 85).
Ici encore, une précision s’impose. Le formalisme hypocrite n’est pas un monopole tibétain. Si, en vertu de l’interdiction bouddhique d’abattre des animaux, les Tibétains ont pris l’habitude de confier ce soin aux musulmans Hui vivant parmi eux, il convient de noter que dans nos pays une comparable « division du travail » a prévalu pendant des siècles, quand les opérations bancaires, interdites aux chrétiens, étaient confiées aux juifs. N’est-il pas commode, sous toutes les latitudes et à toutes les époques, ce formalisme qui permet aux fidèles d’une religion de profiter d’avantages dont d’autres assurent les basses œuvres ?
5) Il existe heureusement, au Tibet comme ailleurs dans le monde, des moines sympathiques. Bernard Maréchal raconte : « Etant indiscipliné et curieux de nature, chaque fois qu’il m’était possible, une fois le groupe entre les mains du guide local, pour découvrir des Bouddhas, je m’éclipsais discrètement pour visiter le monastère de façon plus intime. J’ai ainsi été accueilli à Samye par un jeune moine de 28 ans, lequel m’a fait les honneurs de son logement au premier étage. Il m’a paru très confortable avec télévision, ordinateur, mini four solaire pour faire bouillir l’eau de son thé etc. Il disposait, comme les autres moines, d’une grande pièce. Mon chinois parlé, niveau Diplôme Universitaire, me permettait de converser a minima » (p. 18).
Ça me rappelle une expérience fort semblable vécue quelques années plus tôt, le 27 juillet 1999. Avec ma femme et ma fille, nous étions entrés par la « porte de derrière » dans l’immense monastère de Labrang (Xiahe, Gansu). Escortés par de jeunes moines, nous avons ensuite été invités à partager le thé dans la cellule d’un de ceux-ci ; autant qu’il m’en souvienne, c’était une pièce assez vaste et bien meublée. Notre fille Fabienne, qui à l’époque parlait déjà couramment le chinois, a discuté avec le jeune moine pendant une petite demi-heure. Je me rappelle que ce moine était désireux de savoir quelles étaient nos croyances ; pour Fabienne, ce ne fut pas une mince affaire de lui expliquer que, de tradition chrétienne, ses parents étaient devenus plutôt agnostiques…
6) Un autre rapprochement, encore plus souriant, entre mon expérience du Tibet et celle de Bernard Maréchal a trait à l’avenir du Tibet. P. 132, Bernard Maréchal raconte : « (…) était assise à côté de moi dans l’airbus A 330 Lhassa Pékin, ce jeudi 24 août 2006, une jeune étudiante tibétaine parlant l’anglais, qui après ses vacances au pays, (comme on dit chez moi), rentrait à son université à Pékin. »
Trois ans plus tard, lors d’une promenade dans les ruelles de Lhassa, en fin d’après-midi le 23 août 2009, ma femme s’est fait accoster par une toute jeune lycéenne en uniforme scolaire, heureuse de pouvoir échanger en anglais avec une étrangère et empressée de répondre à nos questions sur les cours qu’elle suivait (tibétain, anglais, chinois, et aussi mathématiques et sciences) ; à deux bons mètres se tenait silencieux un grand Tibétain en costume traditionnel, un Khampa probablement analphabète, dont les yeux brillaient de fierté ; c’était son père. .
Ces deux anecdotes illustrent bien l’avenir qui se dessine pour le Tibet, une fois débarrassé de l’obscurantisme qui a été son lot pendant des siècles
En conclusion
Voilà quelques rapprochements qu’a provoqués en moi l’excellent ouvrage de Bernard Maréchal, auquel je souhaite tout le succès qu’il mérite. Le mieux serait maintenant que chacun lise ce livre et s’en fasse … une religion.
(1) Philippe Cornu, Le bouddhisme : une philosophie du bonheur ?, Seuil, 2013, p. 218-219.