Bernard Maréchal, TIBET Combat pour la vérité, contre la désinformation,1ère partie : présentation générale
André Lacroix, le 15 janvier 2018
Bernard Maréchal, après 35 années passées au service de l’État français, s’est consacré à la Chine comme consultant indépendant. Il est titulaire d’un diplôme universitaire de langue chinoise.
En 2012, il publie aux éditions Golias Le grand jeu sino-américain, une analyse subtile de la confrontation entre les deux Grands après l’effondrement de l’URSS en 1991 et l’entrée de la Chine à l’OMC en 2001, sur fond de marginalisation de l’Europe.
En 2017, il publie aux éditions « Le Livre Actualité » cet essai sur le Tibet, fruit de 25 voyages et séjours en Chine, dont quatre en pays tibétain, et résultat de la lecture de 470 ouvrages sur la Chine, dont 120 sur le Tibet.
On aurait pu craindre d’une documentation aussi imposante que sorte une étude ennuyeuse et pédante. En réalité, c’est tout le contraire. Le style est plutôt décontracté : cela ressemble plus à des notes de lecture, avec des passages soulignés, d’autres en caractères gras et des incises en italiques. Jamais Bernard Maréchal n’étale son érudition : dans tout le livre, il n’y a que trois notes de bas de page et les citations sont reproduites sans mention de la page dont elles sont tirées, au risque de laisser un peu sur sa faim le lecteur désireux d’approfondir tel ou tel sujet. On peut aussi regretter quelques erreurs orthographiques, notamment dans les noms propres (et rire de l’amusante coquille La Stampa au lieu de la tsampa), mais ce ne sont là que broutilles au regard du fond : une déconstruction magistrale des préjugés encore largement répandus en Occident selon lesquels la « question tibétaine » se réduit à un affrontement entre des « bons » (les exilés tibétains) et des « méchants » (les Chinois).
La démarche de Bernard Maréchal est d’autant plus crédible qu’il prend ses distances par rapport à la propagande chinoise et qu’il cite abondamment une série de « spécialistes » qui ne cachent pas leurs sympathies pour la mouvance « Tibet libre » : c’est ainsi qu’on a la surprise de trouver parmi ses sources « basiques ou incontournables » l’Histoire du Tibet de Laurent Deshayes, qu’il considère comme sa « bible concernant l’histoire du Tibet » (p. 9), malgré ses a priori mis au jour par Albert Ettinger (1). Même réserve également à propos de Françoise Robin et ses Clichés tibétains, passés au scanner de la critique aiguisée du même Albert Ettinger (2). Surprise également de voir figurer, parmi « les livres récents discordants et plus réalistes », à côté de Jean-Paul Desimpelaere, Élisabeth Martens, Tashi Tsering, Maxime Vivas et Patrick French, deux publications qui, loin, comme les susnommés, « d’avoir eu parfois du mal à trouver un éditeur compte tenu des pressions exercées sur l’édition par les puissants et souvent riches mouvements : Tibet libre » (p. 9), épousent fidèlement les thèses du « Tibet libre », à savoir TIBET, le moment de vérité de Frédéric Lenoir, un réquisitoire partial qui n’ajoute rien au crédit de cet intellectuel médiatisé (3), ainsi que Immolations au Tibet, la Honte du monde de Tsering Woeser, un opuscule écrit sous le coup de l’émotion et qui fait l’impasse sur les responsabilités de ces événements tragiques et de leur médiatisation (4).
On peut aussi regretter de ne trouver aucune mention de « pointures » anglo-saxonnes de la tibétologie comme Melvyn Goldstein, Tom Grunfeld ou Barry Sautman, mais ne gâtons pas notre plaisir : les ouvrages français sur le Tibet hors pensée unique sont tellement rares qu’on ne peut que se réjouir de voir leur famille s’agrandir.
Les quelques réserves, d’ordre stylistique ou bibliographique, que l’on peut émettre sur l’ouvrage de Bernard Maréchal n’enlèvent rien à l’intérêt et à la pertinence de ses analyses ; au contraire même, serais-je tenté de dire : elles prouvent plutôt la bonne foi et une certaine candeur qui ne font que renforcer la confiance qu’on ne peut manquer d’éprouver à son égard.
Manifestement, Bernard Maréchal n’essaie pas de noyer son propos dans de belles phrases, ni de faire impression, comme certain(e)s tibétologues brandissant leurs titres universitaires pour faire taire ceux qui ne partagent pas leurs vues. Sa formation, comme il le raconte lui-même dans son introduction, n’a pas été celle d’un fort en thème : « S’enfermer des heures dans une salle de classe était au-dessus de mes moyens. Vous comprendrez que dans ces conditions mes résultats scolaires ne furent pas à la hauteur de l’espérance de mes parents. J’eus toutefois le bac à l’usure ou à l’ancienneté à l’âge de 20 ans après avoir redoublé trois classes » (p. 12).
Comment ne pas faire confiance à un tel homme qui revendique ses manquements au cursus académique ? Pas besoin chez lui de s’abriter derrière l’argument d’autorité : ce qu’il écrit vient directement d’une lecture sans filtres de témoignages multiples, renouant ainsi avec la démarche historique la plus authentique.
Outre ses lectures nombreuses et variées, Bernard Maréchal peut aussi compter sur les observations que lui-même a pu faire sur place à l’occasion des quatre voyages qu’il a effectués sur le Haut Plateau, entre 2004 et 2008. Il lui est ainsi arrivé de faire arrêter le bus de façon impromptue, « activité non prévue et fort appréciée des touristes français » (p. 18), de manière à rencontrer les gens et à voir les choses de ses propres yeux, ce que malheureusement même des journalistes patentés n’ont plus le temps de faire… En fin de volume, sont reproduites 25 photos en couleur que l’auteur a ramenées de ses expéditions au Tibet.
On ne saurait trop recommander cet ouvrage, simple et honnête, à tous ceux qui, n’ayant pas eu la chance d’aller au Tibet ou n’ayant jamais lu un ouvrage sérieux sur la question tibétaine, en sont forcément restés à des images idéalisées du Pays des neiges. Bernard Maréchal fait œuvre de salubrité publique, tant il est vrai, comme il l’écrit dans sa postface que « la vérité sur le Tibet fait depuis de nombreuses années, l’objet de désinformations systématiques (…) » (p. 133). Après avoir refermé ce livre, il n’est pas un lecteur de bonne foi qui pourra continuer à cultiver l’image d’Épinal d’ « une société édénique, vierge, préservée de toute impureté et dont le passé aurait été aussi immaculé que ses cimes enneigées (…) » (p. 53).
Quant à ceux qui, grâce à leurs lectures critiques et/ou leurs voyages au Tibet, se sont déjà défaits d’une confiance aveugle dans les thèses développées à Dharamsala, ils seront admiratifs pour l’immense travail de dépouillement qu’a nécessité l’entreprise de Bernard Maréchal. Pour rendre compte de la réalité du Tibet d’Ancien Régime, il a rassemblé de nombreux témoignages d’explorateurs et de missionnaires, (dont certains ont déjà fait l’objet d’article sur notre site). Et pour ce qui est de l’histoire plus récente, notamment de la sombre période de la Révolution culturelle, l’auteur a convoqué une dizaine de témoins tibétains, depuis Peuba, le poète d’origine aristocratique jusqu’à Tsewang Ngodrop, un serf affranchi : rien que pour ces pages (pp. 88-93), le livre mériterait d’être lu !
Sur de nombreux sujets (histoire ancienne et récente, géopolitique, démographie, anthropologie y compris génétique, culture, religion y compris les missions chrétiennes, non-violence, statut de la femme, jeunesse actuelle, avenir du Tibet), Bernard Maréchal fournit une abondante documentation sur laquelle il a l’art de braquer un éclairage critique.
Bref, un travail original à recommander vivement.
(1) Voir http://tibetdoc.org/index.php/histoire/histoire-en-general/103-critique-de-la-chronique-historique-detaillee-du-tibet-etablie-par-la-campagne-internationale-en-faveur-du-dalai-lama-1.
(2) Voir http://tibetdoc.org/index.php/politique/geopolitique/279-une-reaction-a-l-ouvrage-cliches-tibetains-idees-recues-sur-le-toit-du-monde-de-francoise-robin-de-l-inalco.
(3) Voir http://tibetdoc.org/index.php/accueil/recension/270-quelques-reflexions-a-propos-de-tibet-le-moment-de-verite-de-frederic-lenoir-plon-2008.
(4) Voir http://tibetdoc.org/index.php/accueil/recension/281-une-reaction-au-livre-de-tsering-woeser-immolations-au-tibet-la-honte-du-monde.