Le dossier Tibet de GEO (n° 464) : reflet de la pensée unique
par André Lacroix, le 4 décembre 2017
On a le sentiment qu’une tentative louable a été faite, par le magazine GEO, de présenter au lecteur, sous la plume de journalistes ayant pignon sur rue, un aperçu de la réalité du Tibet qui n’omette aucun sujet : histoire, géographie, société, religion, politique, culture, etc., le tout agrémenté, comme c’est la coutume dans ce genre de publication, de superbes photos, certaines s’étalant sur deux pages. Mais, si l’on fait preuve d’un peu de sens critique, on constate que l’idéologie sous-jacente aux textes reflète assez fidèlement les préjugés largement répandus en France, où la « question tibétaine » est souvent lue à travers le prisme déformant des exilés.
On chercherait vainement, au long des nombreuses pages du dossier de GEO la moindre allusion aux travaux de chercheurs sérieux commeles anglo-saxons Melvyn C. Goldstein, A. Tom Grunfeld, Barry Sautman, Michael Parenti, Patrick French, Donald S. Lopez, Robert Barnett (auxquels on peut joindre le Tibétain Tsering Shakya), ou de langue allemande comme Victor Trimondi, Ingo Nentwig, Andreas Gruschke, Colin Goldner ou Albert Ettinger.
Il est paradoxal qu’un grand nombre d’intellectuels français (d’un pays revendiquant sa laïcité) ꟷ et même des esprits aussi respectables que Robert Badinter ꟷ restent fascinés par le dalaï-lama (parfait symbole de théocratie). Une fascination exploitée par le monde politique.
S’il est dans logique des choses que la droite et l’extrême droite françaises utilisent le Tibet pour critiquer la Chine, il est navrant de constater qu’à de rares exceptions près, la gauche française, oubliant que les Droits de l’Homme font un tout, se braque sur la dénonciation des atteintes aux droits individuels et politiques, en oubliant qu’en matière de droits sociaux (subsistance, santé, éducation) la Chine fait beaucoup mieux que l’Inde, apparemment protégée des critiques par son statut de « plus grande démocratie du monde », et peu importe qu’elle soit sous la coupe d’une inquiétante idéologie nationale-hindouiste.
Personne ne demande, bien sûr, qu’un numéro de GEO consacré au Tibet se mue en simple brochure touristique, mais de là à ne donner la parole à aucun responsable local et à privilégier les approches occidentales plutôt hostiles à Pékin, il y a une marge que les rédacteurs n’auraient pas dû franchir.
Finalement, le n° 464 de GEO en dit peut-être plus sur la pensée unique de l’intelligentsia française que sur le Tibet et ses habitants.
Ajouté par André Lacroix, le 07/01/2018
J’avais terminé cette série d’articles lorsque j’ai appris ꟷ en lisant l’essai de Bernard Maréchal TIBET, Combat pour la vérité, contre la désinformation (Les éditions Le livre Actualité, 2017) ꟷ que GEO n’en était pas à sa première entreprise de désinformation à propos du Tibet. Déjà, dans son numéro 360 de février 2009, GEO induisait ses lecteurs en erreur.
Déjà en 2009, GEO avait relayé le mythe d’une colonisation par la Chine communiste du Kham, et en particulier de la ville de Kangding, alors que, aux dires mêmes d’Alexandra David-Neel, les Chinois y étaient déjà plus nombreux que les Tibétains en 1947. Ce qui n’empêcha pas Elena Haberer, la journaliste de GEO, de présenter Kangding comme « l’ancienne ville tibétaine aujourd’hui à majorité Han » (c’est Bernard Maréchal qui souligne). « Le lecteur, dit-il, pourra juger du sérieux de ce qu’Elena Haberer relevait dans le numéro spécial de Géo (…) » (op. cit., p. 51).