Après le Tibet, le Xinjiang devient l’objet de la propagande « humanitaire » antichinoise de Washington
par Albert Ettinger, le 8 janvier 2020
Notre article sur la décision de l’ULB (Université Libre de Bruxelles) d’arrêter sa collaboration avec l’Institut Confucius nous a valu une réaction de la part d’un lecteur courroucé. Dans son courriel, il s’est fait l’écho de tous les griefs contre la Chine que nos médias atlantistes répètent à l’infini et qui culminent dans le reproche fait au gouvernement communiste de viser l’« annihilation (culturelle si possible, physique si il le faut) » des Ouighours au Xinjiang comme celle des Tibétains au Tibet.
J’y ai répondu en m’adressant personnellement à ce Monsieur M. qui, manifestement, ne porte pas la Chine dans son cœur. Voici la première partie de ma lettre, très légèrement modifiée pour les besoins de TibetDoc.
J’aimerais vous répondre en me limitant, dans un premier temps, aux mesures prises par la Chine pour faire face à l’islamisme radical et au séparatisme au Xinjiang.
Vous ne mâchez pas vos mots, et votre jugement est clair et sans appel : Ce qui se passe au Xinjiang, dites-vous, ce sont « des crimes contre l’humanité ».
J’avoue que ces mots me font frissonner.
De véritables crimes contre l’humanité
Car ils évoquent en moi des images que vous aussi connaissez sans doute : Des prisonniers d’Auschwitz ou de Majdanek aux yeux hagards ; des amas de corps squelettiques, nus, rassemblés après la libération des camps à la pelleteuse pour finir dans une gigantesque fosse commune ; les habitants de Nankin décapités au sabre de samouraï ; les rares survivants, irradiés, en loques, errant dans les ruines de ce qu’a été la ville d’Hiroshima ; les bébés morts, abandonnés sur le chemin poussiéreux à la sortie du village de My Laï ; le visage du prisonnier « Viêt-Cong » abattu à bout portant, d’une balle dans la tête, par le chef de police du régime de Saïgon… Ou encore des images plus récentes, plus proches de notre sujet, puisque se rapportant à des crimes perpétrés contre des musulmans ; des images comme celles-ci, l’une prise par des fiers soldats du « monde libre » à la prison d’Abou Ghraib (Irak)…
Et cette autre d’une victime des bombes américaines, soignée dans un hôpital à Fararh city. (Au moins 147 civils, parmi eux beaucoup de femmes et d’enfants, furent massacrés le 4 mai 2009 lors des frappes aériennes qui touchèrent les villages de Gerani et de Gangabad dans le district de Bala Baluk, Province de Farah, dans l’ouest de l’Afghanistan. Source : Wikimédia commons)
Avez-vous la preuve que de tels crimes ont été commis et continuent d’être commis au Xinjiang ? Permettez-moi d’en douter, puisque vous-même (comme d’ailleurs le New York Times dans l’article que vous indiquez) (1) n’en fournissez aucun exemple concret et irréfutable. (2) Je considère donc qu’il est tout à fait excessif et outrancier de parler de « crimes contre l’humanité » au Xinjiang (excepté, justement, à propos des attentats terroristes !).
D’ailleurs, vous gagneriez beaucoup en crédibilité, du moins à mes yeux, si vous aviez dans le passé fait preuve de la même sévérité de jugement à l’égard, par exemple, des exécutions extrajudiciaires américaines ou israéliennes, de l’emprisonnement arbitraire et sans jugement de centaines de mineurs palestiniens, de la pratique israélienne, lors de la seconde intifada, de briser systématiquement les membres des jeunes manifestants, ou à l’égard des guerres d’agression et crimes de guerre occidentaux en Iraq, en Afghanistan, en Serbie, et j’en passe. Mais peut-être pouvez-vous nous convaincre en montrant que vous avez été animé du même zèle humanitaire dans l’un ou l’autre de ces cas-là ?
Au vu de ce que vous écrivez sur le Xinjiang, je crains plutôt que vous n’ayez depuis bien longtemps pris l’habitude de ne pas quitter le cadre de la pensée dominante, car vous pratiquez, dans le cas du terrorisme et des mesures de déradicalisation chinoises au Xinjiang, le même « deux poids, deux mesures » que nos grands médias pratiquent systématiquement à l’égard de la Chine.
Identité, ethno-nationalisme et islamisme
Vous parlez d’« une politique de sinisation visant à oblitérer l’identité de plus de 10 millions d’hommes, femmes et enfants en l’espace d’une ou deux générations ».
L’identité ? Au singulier ? S’agirait-il de ce genre d’« identité » qui, sous nos cieux, a donné le nom aux « mouvements identitaires » qui sont, en fait, des mouvements classiques d’extrême droite ? Heureusement, jamais personne n’a qu’une seule et unique identité. Pourquoi les Ouighours ne pourraient-ils pas rester ouighours et musulmans tout en étant (ou en devenant) des citoyens chinois à part entière ? Pourquoi l’abandon d’une conception et d’une pratique radicale, fondamentaliste de l’islam leur ferait-il perdre leur « identité » culturelle aussi bien qu’individuelle ?
Parlons donc d’abord de la question de la langue, question « identitaire » par excellence : L’article du New York Times (1) que vous invoquez confirme qu’il y a toujours des Ouighours qui ne parlent pas chinois. Il cite un certain Abdurahman Tohti qui a émigré en Turquie en 2013 et dont le fils, élève d’une école au Xinjiang, a appris entre-temps à parler chinois, « a language his family did not use. »
Est-ce que l’apprentissage du chinois serait une calamité pour les enfants ouighours ? Pourtant l’article du NY Times dont vous conseillez la lecture laisse entrevoir le fait que la majorité des Ouighours ne voit pas du tout les choses comme cela (« The government argues that teaching Chinese is critical to improving the economic prospects of minority children, and many Uighurs agree. ») Comment imaginez-vous qu’un habitant du Xinjiang chinois, où coexistent plusieurs communautés linguistiques, puisse vivre normalement et, à plus forte raison, réussir dans la vie quand il ignore la langue nationale ?
« Je parle par exemple du demi-million d’enfants Ouïghours enlevés à leurs parents pour être éduqués en « bons Chinois » comme nous avons pu enlever pour éduquer en « bons chrétiens » les « mulâtres » du Congo et du Rwanda ou les bébés des « filles-mères » recueillies dans nos couvents… »
Votre comparaison de la politique chinoise et de la politique belge au Congo (qui a coûté, selon des estimations sérieuses, la vie à près de la moitié de la population congolaise de l’époque) est absurde, diffamatoire et purement démagogique. Ce qui serait plutôt comparable, c’est la politique de la Belgique dans la partie sud-est du Luxembourg belge (Arlon et environs), où la langue germanique locale a été bannie des écoles, suite à quoi elle a été bien plus qu’ « oblitérée en l’espace d’une ou deux générations ». On pourrait de même comparer la politique chinoise au Xinjiang à la politique de la République française par rapport à ses minorités, en Alsace, en Lorraine, en Franche-Comté, en Bretagne, en Occitanie, en Provence, en Corse, etc. Une telle comparaison tournerait clairement à l’avantage de la Chine ! Car le poids des langues et cultures régionales dans le système d’éducation français actuel est quasiment nul. À plus forte raison, pensez-vous qu’il existe, dans l’hexagone, des Français qui ne sont pas censés apprendre la langue nationale ?
Au fait, qu’est-ce qui vous fait affirmer que les enfants ouighours sont « enlevés à leurs parents », alors que même l’article du NYT que vous invoquez admet que « it is true that many rural families are eager to send their children to these schools, especially when they are older » ?
Ces enfants ouïghours, vous plaignez-vous, sont « éduqués en bons Chinois » ? Et alors ? L’éducation est, semble-t-il, un droit de l’enfant et elle fait partie des droits humains. Ce droit est loin d’être garanti dans toutes les parties du monde, et on ne va tout de même pas mettre la Chine au pilori pour le garantir (et, le cas échéant, l’imposer) et pour avoir atteint un niveau d’alphabétisation exemplaire. Mais l’éducation est aussi un devoir, et ce n’est pas par hasard qu’elle est obligatoire dans tous les pays civilisés (même si des parents s’y opposent pour des raisons religieuses ou idéologiques). De plus, dans tous les pays du monde, l’éducation publique vise à produire de « bons citoyens » loyaux au système politique et social en place, et de bons « patriotes ». (Vous semblez d’ailleurs être une preuve vivante de ce constat.) Regardez le rôle du drapeau et de l’hymne américains, omniprésents dans les écoles et dans l’espace public des États-Unis. (Par ailleurs, l’éducation en « bons chrétiens » ne fut jusqu’à un passé récent nullement réservé, comme vous le dites, aux « bébés des filles-mères » ou aux « mulâtres », et les nonnes catholiques jouaient un rôle prépondérant dans l’éducation des jeunes filles jusque dans un passé récent.)
Une minorité victime du gouvernement de Pékin ?
« Le fait - prévisible - que quelques milliers de personnes d’une minorité colonisée puissent se tourner vers le séparatisme et l’action violente ne peut aucunement justifier l’internement arbitraire de plus d’un million d’innocents, y compris des vieillards. »
« Une minorité colonisée » ? La Chine compte 55 minorités ethniques, dont l’existence est reconnue et dont les droits sont protégés par la constitution. Beaucoup de minorités de par le monde ne peuvent pas en dire autant, par exemple les Kurdes de Turquie dont l’existence même a longtemps été niée (ils étaient considérés et désignés officiellement comme des « Turcs des montagnes ») et la langue mise hors la loi. Quiconque a voyagé au Tibet ou au Xinjiang ne peut que confirmer le fait que les temples, mosquées, monuments culturels etc. y sont protégés et bien entretenus, et que la pratique de la religion, de la langue régionale ainsi que de la culture et des coutumes n’est pas seulement respectée, mais encouragée par l’État. Même l’article du NYT que vous recommandez se voit forcé d'admettre que la langue ouïghoure n’a pas du tout été bannie des écoles, mais a au contraire dominé dans l’enseignement. (« Until recently, though, the government had allowed most classes to be taught in the Uighur language ».)
De surcroît, les minorités, Ouighours et Tibétains compris, profitent d’une politique de discrimination positive de l’État chinois à leur égard. Un fait confirmé encore (sans doute accidentellement) par l’article du NYT qui nous présente une pauvre mère ouïghoure de 36 ans. On apprend qu’elle s’appelle Kalbinur Tursun et qu’elle est venue en Turquie pour accoucher après avoir confié (abandonné ?) ses cinq enfants à des proches au Xinjiang (« entrusted five of her children to relatives when she left Xinjiang to give birth in Istanbul »). Cinq enfants, dans un pays qui depuis plus de quarante ans a imposé aux Han la politique de l’enfant unique ! Ah, ces privilégiés de Han !
La mère exemplaire, en niqab wahhabite qui laisse à peine entrevoir ses yeux, ne se prive pourtant pas de se plaindre. Après avoir découvert une photo de sa fille de six ans, publiée au Xinjiang par un instituteur sur un média social, elle pousse une lamentation que le NYT rend en ces mots : « ‘Mes enfants sont si jeunes, ils ont juste besoin de leur mère et de leur père’, a dit Mme Tursun, exprimant son inquiétude sur la façon dont les autorités les élèvent. ‘Je crains qu'ils pensent que je suis l'ennemi - qu'ils ne m'accepteront pas et me haïront.’ » (3) Pauvre mère qui a quitté ses enfants pour aller vivre au pays de cocagne d’Erdogan, mais surtout pauvre fille qui n’aura ainsi pas la chance de profiter du type d’éducation que les Wahhabites et autres Boko Haram réservent aux membres de son sexe.
Le Xinjiang tel qu’il est vécu par des visiteurs étrangers
Heureusement, on peut trouver des vidéos sur YouTube qui fournissent une image bien différente du Xinjiang. De la propagande ? Le mieux serait que vous jugiez par vous-mêmes en regardant :
https://www.youtube.com/watch?v=GefdlXsjOOQ
https://www.youtube.com/watch?v=fOs88jb-WZ8
https://www.youtube.com/watch?v=JZGv78iN6Bk
https://www.youtube.com/watch?v=c9EH62b-VkA
https://www.youtube.com/watch?v=AfZWlMbY0oQ
En guise de contraste, si vous le voulez, voici à quoi ressemble le quotidien d’un peuple qui souffre effectivement sous la botte d’un colonisateur inexorable :
https://www.youtube.com/watch?v=7AcgwezHQOA
https://www.youtube.com/watch?v=YveK3ddowP4
(à suivre…)
Notes :
1) https://www.nytimes.com/2019/12/28/world/asia/china-xinjiang-children-boarding-schools.html
2) Sur quelles sources s’appuient les « reportages » des médias occidentaux et les chiffres d’un à trois millions d’« internés ouïghours » au Xinjiang ?
En général, celui qui est cité, c’est l’Allemand Adrian Zenz, présenté comme « le grand expert du Xinjiang » et « un chercheur indépendant ». Zenz travaille à la European School of Culture and Theology qui fait partie de l'Akademie für Weltmission, une institution d'enseignement évangélique plutôt marginale, et à la Columbia International University, une école biblique évangélique douteuse sise à Columbia, en Caroline du Sud. Ses « doctorats », que l'on peut obtenir en ligne, sont plutôt des bizarreries. Mais Zenz est surtout Senior Fellow pour les études sur la Chine au sein d'un groupe de réflexion douteux appelé la Victims of Communism Memorial Foundation. VOC a été fondée en 1993 par les combattants de la guerre froide Lev Dobriansky, Lee Ewards, Grover Norquist et Zbignew Brzezinski. Son président Lee Edwards était membre du « Comité pour une Chine libre » de Chiang Kai-shek et fondateur de la section américaine de la « Ligue anticommuniste mondiale », une organisation internationale d'extrême droite - également initiée par Chiang Kai-shek - qui comprenait des personnalités « illustres » comme Otto Skorzeny (Waffen-SS, organisation des anciens membres SS), Ante Pavelić (Ustasha de Croatie) et plusieurs chefs des escadrons latino-américains de la mort. Le conseiller du VOC est John K. Singlaub, 98 ans, qui, après avoir dirigé les opérations de la CIA pendant la guerre civile chinoise, a fondé la Western Goals Foundation, une organisation décrite par un ancien membre comme un « ramassis de nazis, de fascistes, d'antisémites, d’ignobles racistes et d'égoïstes corrompus ».
3) Traduction française par nos soins des propos cités dans https://www.nytimes.com/2019/12/28/world/asia/china-xinjiang-children-boarding-schools.html