Le Haut-Plateau se réchauffe et se dessèche
par Jean-Paul Desimpelaere, le 28 février 2009
En Europe, nous avons de grands fleuves qui descendent les Alpes, tels le Rhin, le Rhône et le Danube. Nous savons combien ils conditionnent le climat et la vie des habitants de la région alpine. Le plateau asiatique, lui, est des dizaines de fois plus grand et deux fois plus haut que les Alpes. Les glaciers et les lacs y sont nombreux, les fleuves sont gigantesques. 82% de toute l’eau des glaciers coulant vers la Chine provient du Haut-Plateau. Ce qui se passe au niveau climatologique sur le Haut-Plateau et à ses abords conditionne directement la vie de près de 2 milliards de personnes. Et il s’y passe des choses étranges.
D'une part, à cause du réchauffement global de la planète, les glaciers fondent, les précipitations sont moins fréquentes, et la désertification s’accentue. D'autre part, une surpopulation de bétail accélère l’ensablement qui résorbe lentement, mais de manière continue les herbages. La chasse (illégale) des prédateurs entraîne une augmentation du nombre de petits rats (pikas) et de marmottes qui se nourrissent des maigres touffes d'herbe accélérant le processus d’ensablement. Enfin, l’extraction de l’or (illégale aussi, et ce malgré le risque de peines sévères) accentue l’érosion.
La région nommée « San Jiang Yuan » ou le « Jardin des trois Fleuves » où le Fleuve Jaune, le Yangzi et le Mékong prennent leur source, constituent une partie de ce vaste plateau. Elle est située dans le Qinghai une province grande comme une fois et demi la France.
Le Qinghai se trouve en grande partie au-dessus des 4000 m et ne compte que cinq millions d’habitants, équitablement répartis en un tiers de Tibétains, un tiers de Han et un tiers de musulmans Hui. Le Qinghai est connu pour être une province « pauvre ».
Sur ses seize départements, sept sont prioritaires pour le plan national de lutte contre la pauvreté. Au sud-ouest de la province se trouve la région très étendue du Hol Xil, ou région des « mille lacs », située à 5000 m d’altitude. Elle est comparée à la Finlande dont 8 % du territoire sont couvert de lacs.
Nous avons de la peine à réaliser que les chaînes de montagnes du Qinghai soit plus étendues que celles de l’Himalaya plus célèbres chez nous. Et nous réalisons encore moins qu' il y a 5000 ans, le Qinghai était relativement vert et se trouvait à 300 m d'altitude plus bas qu'actuellement.
Des fouilles archéologiques ont mis à jour des éclats de poteries décorées témoignant de certaines similitudes avec celles d’anciennes cultures sédentaires vivant le long du Fleuve Jaune. Mais les temps ont changé. Le plateau s’est refroidi. Des peuples venus des steppes du nord sont venus s'installer, et au 8e siècle, le plateau a été « tibétanisé » par le clan des Tubos venus du Sud. Par après, ce sont les Mongols qui ont apporté leur empreinte au Qinghai avec, dans leur foulée, les paysans Hui et Han.
Le glacier Geladandong, une des sources du Yangzi, a reculé de 700 m en treize ans. Depuis les années quatre-vingt, un peu partout dans le Qinghai le front neigeux a commencé à se retirer. Il y fait plus chaud et plus sec. Des lacs disparaissent ou rétrécissent et se salinisent. Une diminution des précipitations augmente la salinité des lacs. Certaines espèces de carpes habituées à une salinité raisonnable survivent difficilement et s’éteignent lentement. Le niveau du lac de Ngoring, un lac source pour le Fleuve Jaune, situé aux alentours de la petite ville de Madoi, descend chaque année de deux à trois centimètres.
La maison communale de Madoi a déjà été déplacée trois fois parce que la source qu’elle utilise s’est asséchée. Cette région compte aussi de trop nombreux troupeaux qui rasent l’herbe. Autrefois, Madoi rassemblait les chercheurs d’or ; ceux-ci creusaient des cuvettes vers lesquelles affluait l’eau de pluie et la vase dans lesquels ils tamisaient leur or. Ils campaient sur place et en guise de repas, ils n'hésitaient pas à rôtir des antilopes dont ils vendaient illégalement la peau.
La peau des antilopes tibétaines ou « shahtoosh » était fort recherchée pour fabriquer des châles vendus à prix d'or à HongKong et en Angleterre, ceci jusque dans les années 90. Ces pratiques ont été interdites, mais comment contrôler un territoire aussi peu habité dont la surface couvre une fois et demi la France et situé à une si haute altitude ? Ce n’est que maintenant, au 21ème siècle, que la population des antilopes augmente à nouveau.
La chasse aux renards et aux loups a causé une explosion de petits rongeurs qui rivalisent avec les yaks pour consommer le peu d'herbe encore disponible. Prisées depuis des siècles, les peaux de renard et de loup servaient autrefois à confectionner des toges d’apparat pour les notables tibétains et leurs épouses. Maintenant que ces privilèges ont disparu et les Tibétains disposant d'un peu plus d’argent veulent eux aussi en posséder. Pour régler le problème, des peaux synthétiques ont été mises sur le marché.
Dans le Gannan, une préfecture autonome tibétaine située dans le sud-ouest de la province du Gansu, l’étendue d’herbe recule sérieusement. Le phénomène est le même qu'ailleurs sur le plateau : les habitants et le bétail dépassent la limite du soutenable. Depuis 1953, le nombre des uns et des autres a plus que doublé. A côté de cela, le climat devient plus chaud et plus sec. Le département de Gannan fournit la moitié de toute l’eau de la région des sources du Fleuve Jaune. Mais en trente ans, le débit a chuté d’un quart. Le long du fleuve est apparue une dune de sable de 220 km, soit la moitié de la longueur totale du fleuve dans ce département.
Près des sources du Mékong, les prairies étaient encore bien vertes il y a vingt ans. Aujourd’hui, le territoire est devenu en grande partie aride. Au Nord du lac Qinghai, des dunes ont remplacé les pâturages ou les terres agricoles au fil des ans. Dans le district de Qumarleb, sur le cours supérieur de Yangzi, 300 km² de prairies se sont transformées en désert.
Au total, sur le Haut-Plateau, une surface qui équivaut environ au double de la France est menacée de désertification. Il devient urgent, s’il n’est déjà trop tard, de contenir le phénomène. Les autorités chinoises offrent des subsides aux personnes qui veulent quitter le territoire. Les médias occidentaux dénoncent des délocalisations sauvages, mais en réalité il s’agit d’une impérieuse nécessité si l’on veut éviter de futures famines, les troupeaux ne trouvant plus assez d’herbages.
Des scientifiques prévoient qu’en 2050, tous les glaciers de l’Himalaya auront fondus et que l’eau potable deviendra un gros problème pour des centaines de millions de personnes vivant aux alentours. Il arrive déjà maintenant que le Fleuve Jaune, autrefois redouté pour ses inondations et ses crues printanières, s’arrête de couler. Les tempêtes de sable remplacent les tempêtes de neige. Récemment, une expérimentation a permis d’intervenir artificiellement sur les chutes de neige.
Le 18/04/07, des météorologues du Tibet du Nord ont provoqué une précipitation d’un centimètre de neige au sol (Agence de presse de Xinhua). L'article n'a pas expliqué avec quel catalyseur cela a été réalisé. Pourrons-nous bientôt commander des glaciers « made in China » ?
Par contre, les glaciers de l’Est du Tibet fondent à peine. D'après les rapports d'une expédition scientifique internationale, les glaciers situés sur les contreforts Est de l’Himalaya ont peu rétréci, le flanc Est semble même recevoir plus de précipitations neigeuses qu’auparavant.