"Touche pas à mon herbe !"

par Jean-Paul Desimpelaere, le  10 juillet 2009

Rencontre avec un chef de village dans les environs de Wamda (Dzogang), sur la route du sud, reliant Lhassa et Chengdu.

 


Wamda est connu pour son ancien monastère Tsawa Dzogang Sangakling. Au village de Yargrong, à 40 km de là, vivent environ 170 familles, ce qui fait un bon millier de personnes, toutes tibétaines. Le chef du village, Tsonam Wozhub a fondé une grande famille : sept fils et deux filles. L’un de ses fils est moine au monastère de Dzogang, et les six autres sont mariés à la même femme dont ils eurent cinq enfants, tous vivent sous le même toit. Les deux filles du chef ont quitté la maison pour se marier.


Tsonam Wozhub partage la terre cultivable autour du village sur base du nombre de bouches à nourrir par famille : 1 mu  par tête (soit 1/15ème d’hectare), donc environ un demi-hectare par famille. Lui-même possède 30 yaks, quelques chèvres et des moutons.

Chaque année, il vend un à deux yaks, opération qui lui rapporte 100 à 200 euro par bête. Les moutons ne servent qu’à la consommation familiale, tant pour la viande que pour la laine. Il peut encore compter sur un revenu supplémentaire avec la récolte des herbes médicinales. L'année dernière, elles lui ont rapporté 200 euro.


L’un de ses fils travaille de temps en temps en ville, dans la construction, et rapporte alors 170 euro d'un coup. Pour le reste, le chef touche également un salaire pour son mandat : 150 euro par an. En additionnant le tout, on n'arrive même pas à un salaire mensuel minimum pour une seule personne chez nous.

Chez eux, ce montant est annuel et doit suffire à toute la famille, situation qu'on rencontre régulièrement dans la campagne chinoise, avec comme maigre compensation qu'il leur suffit de débourser 1 euro par an pour les soins de santé. Tout de même... « ils n’ont qu’à vendre plus de chaussettes aux Européens ! »


Revenons à notre chef de village. C'est à lui que revient la demande de micro crédits aux autorités locales pour des petits projets comme le lancement d’une entreprise de confection avec la laine de chèvre, ou la construction d’un canal d’irrigation, etc. Les intérêts pour les emprunts de ce type sont maintenus à bas niveau par les autorités tibétaines, autour des 2 à 3%.


Mais la tâche la plus importante est de régler les différends entre les familles. Il s'agit souvent de disputes parce que le yak d’un tel a mangé l’herbe d’un autre. Le problème s'envenime rapidement lorsqu'un village voisin est impliqué dans l'affaire. Le yak pris en flagrant délit coûtera une amende de 10 centimes d’euro à son propriétaire.

Mais établir les faits n’est pas toujours aisé. Parfois, cela aboutit à des actes de violence, non pas entre les yaks qui sont des animaux joyeux et pacifiques, mais entre leurs propriétaires.
Ainsi, le chef du village est à la fois huissier, enquêteur, médiateur, avocat et juge... beaucoup de casquettes pour un seul homme !

photo JPDes, 2009
photo JPDes, 2009