A la recherche des nomades tibétains
par Jean-Paul Desimpelaere, le 22 janvier 2011
Grâce au moteur de recherche de mon site Tibetdoc.eu, je peux me rendre compte des questions que se posent les gens à propos du Tibet. Il y en a une qui m'a particulièrement interloqué : « Quelle est la meilleure saison pour voir les nomades tibétains ? ». Mais quelle est donc cette philosophie de voyage ? « N’oubliez pas le pop-corn ! », ai-je eu envie de répondre.
Sans blague, il existe encore des « vrais nomades » au Tibet, mais il faut aller les chercher loin, dans les montagnes, et ce n'est pas chose facile. En effet, de nombreux éleveurs sont devenus semi-nomades. Les vrais nomades se sont retirés dans les régions les plus arides, le plus souvent à 5000 mètres d’altitude.
Au cours de ces 10 dernières années, beaucoup de ces régions sont devenues des réserves naturelles, ce qui signifie que dorénavant une autorisation spéciale est nécessaire pour y entrer avec un troupeau de bétail. Un tiers du territoire géographique tibétain est actuellement « réserve naturelle ».
A la frontière entre le Tibet et le Qinghai, à la lisière de la grande réserve naturelle Hoh Xil, j’ai rencontré quelques nomades. C'était en 2008. La réserve de Hoh Xil est très étendue, pratiquement aussi grande que la France, et abrite des antilopes tibétaines, des yaks et des ânes sauvages.
Dans les années 80’ et 90’, ces animaux étaient du pain béni pour les braconniers. À titre d’exemple, à peu près 15.000 dollars américains furent empochés pour la fourrure de trois antilopes transformée en écharpe de cashmere. Ces braconniers étaient équipés de 4×4, d'armes modernes et de matériel sophistiqué. Les patrouilles chargées de combattre ces malfrats ne savaient jamais si elles reviendraient de leur périple, elles pouvaient les traquer pendant plusieurs semaines en parcourant des milliers de km remplis d'obstacles. Elles pouvaient se retrouver coincées dans le sable ou dans la boue, sans provision et devant lutter contre le gel, si elles n'étaient pas tuées par balle par les braconniers.
Pour Sonam Dargye, membre d’une patrouille et tué en 1994, une stèle de commémoration se dresse au beau milieu de cette énorme réserve. Aujourd’hui, le braconnage a fortement diminué, et ce grâce à une collaboration entre l’Inde et la Chine qui ont interdit conjointement le trafic d’écharpes en fourrure d’antilopes.
Quant aux nomades, il ne faut pas être trop sensible pour aller à leur rencontre, et on ne doit sûrement pas s’attendre à recevoir un verre de jus d’orange frais ! Fruits et légumes ne font pas partie du quotidien, ils sont réservés aux fêtes occasionnelles qui se déroulent souvent en ville. Leurs repas se composent de beurre, thé, lait, viande et orge. Ils achètent l'orge en même temps que quelques vêtements, divers ustensiles et le sel quand ils se rendent quelques fois par an dans un petit village bordant la route Golmud-Lhasa.
Évidemment, ils abattent et dépècent eux-mêmes leurs animaux. Le boudin, confectionné devant la tente, est considéré comme un délice. Les ingrédients sont : du sang caillé mélangé avec du beurre, de l’eau et des restes de viande. Ils y ajoutent ensuite du sel et le tout est inséré dans une portion d’intestin animal.
Cela n’a rien d’idyllique. Je serais curieux de savoir ce que pense cet Européen qui souhaite aller « voir les nomades à la bonne saison » de l’abatage du mouton lors de la fête annuelle musulmane dans une baignoire privée de Schaerbeek ou Molenbeek.
Dans la tente des nomades, il fait bon vivre malgré l'odeur et les gens sont extrêmement aimables. Le fourneau, doté d’une buse pour faire sortir la fumée par le toit de la tente, est alimenté par des étrons de yacks séchés. Comme « tâche ménagère » vous pouvez, dès lors, aider à ce travail quotidien : rassembler les étrons de yacks et les mettre à sécher près de la tente. Au soir, moutons et yacks sont amenés autour de la tente et attachés.
Les chiens tibétains deviennent alors les gardiens du troupeau afin de prévenir l’éventuelle venue de loups. Il faut pouvoir s’endormir entre les hurlements des loups et les aboiements des chiens. Seules quelques lampes à beurre éclairent la tente.
En journée, vous pouvez aider à préparer les mèches servant à brûler les lampes à beurre ou autrement dit, les « bougies servant à la prière ».
Ces derniers nomades connaissent actuellement deux problèmes majeurs : le manque de soins de santé et d’enseignement. Les famille de nomades ont en moyenne 4 à 5 enfants. Ces derniers sont enrôlés, selon la tradition, comme bergers et ratent souvent l’école, alors qu’ils ont droit à un enseignement gratuit en internat.
L’altitude et le froid entraînent des problèmes de cœur, de poumon et d’articulation. Pour des petits problèmes de santé,ils s’en sortent plutôt bien, mais lorsque cela devient plus grave, la mort s’en suit le plus souvent. Leur durée de vie n’est pas très longue.