Albert Ettinger
philologue et historien luxembourgeois, professeur de l’enseignement secondaire et supérieur e.r., professeur honoraire du Lycée Classique de Diekirch ; ancien professeur à l’ISERP - Institut Supérieur d’Études et de Recherches Pédagogiques, Luxembourg ; ancien assistant à l’Université de Trèves, branches : Langues et littératures germaniques et romanes
Auteur de :
"Freies Tibet ? Staat, Gesellschaft und Ideologie im real existierenden Lamaismus", Francfort, éditions Zambon, 2014 ("Tibet libre? État, société et idéologie dans le lamaisme réel »)
« Kampf um Tibet. Geschichte, Hintergründe und Perspektiven eines internationalen Konflikts", Francfort, éditions Zambon, 2015 ("Lutte pour le Tibet. Histoire, contexte et perspectives d’un conflit international »)
« Batailles tibétaines, Histoire, Contexte et perspecyives d'un conflit international", éditions Chine Intercontinental Press, traduit de l'allemand par Corinne Kalmar (ISBN 978-7-5085-3399-5), 2018
"Tibet, Paradis perdu? Régime politique, société et idéologie sous le règne des lamas", éditions Chine Intercontinental Press, traduit de l'allemand par Corinne Kalmar (ISBN 978-7-5085-4056-6), 2018
Quelques indications sur mes origines et sur l’origine de mon intérêt pour la « question tibétaine »
par Albert Ettinger, août 2015
Je suis né en 1952, à Differdange, une petite ville dans ce qui était alors le bassin minier et sidérurgique luxembourgeois.
Ma mère était luxembourgeoise de souche, mais mon père, un mineur de fond qui plus tard allait devenir porion, était de nationalité belge, bien que né au Grand-Duché (ça lui a sans doute évité de mourir sur le front de l’Est en tant qu’enrôlé de force luxembourgeois de la Wehrmacht, ou de devoir risquer sa vie comme réfractaire). De ce fait, j’ai eu la nationalité belge jusqu’à l’âge de 18 ans. Dès lors, j’ai toujours considéré la nationalité d’une personne comme une chose fortuite et secondaire.
Issu d’un milieu ouvrier, j’ai été le premier de la famille à entrer dans un lycée classique et, a fortiori, à poursuivre des études universitaires, après avoir passé deux années, pour raisons financières, comme employé de banque. Non content de mon diplôme allemand qui m’autorisait à enseigner au lycée, j’ajoutai finalement, après cinq ans supplémentaires passés à la recherche et à l’enseignement universitaire, un doctorat allemand (Dr. Phil.). Ma thèse portait sur la vie et l’œuvre de Thomas Mann, ce grand écrivain et romancier allemand du 20e siècle.
Mon tout premier contact avec la « question tibétaine » ne date pas d’hier, mais il est resté sans conséquences immédiates : je me rappelle avoir lu, au tout début des années 1970, un exemplaire du « Rapport de la Commission Internationale de Juristes » que je venais de trouver par hasard sur un marché aux puces. En plein milieu de la guerre froide, je l’ai pris pour ce qu’il était : un exemple de propagande anticommuniste dont je me méfiais instinctivement. Comme beaucoup de jeunes de l’époque, politisés dans le contexte de la guerre américaine au Vietnam et en révolte contre les autorités traditionnelles (dont, spécialement au Grand-Duché, l’Église et le clergé catholiques), je ne voyais d’un bon œil ni les amis et alliés de la CIA, ni les pontifes et dignitaires religieux de tout poil. (On l’aura compris : dans ma jeunesse, pendant une dizaine d’années, j’ai eu une période « gauchiste ». Cette expérience personnelle m’a non seulement rendu critique vis-à-vis d’un « marxisme » dogmatique et sectaire, mais elle m’a immunisé contre toute forme de fanatisme, de sectarisme et d’irrationalisme.)
Ce n’est que plusieurs décennies plus tard que le sujet du Tibet m’a interpellé encore, et cette fois pour de bon. La visite du dalaï-lama à Luxembourg, en 2005, bien que largement médiatisée, m’a encore laissé de marbre. Il a fallu deux événements différents, mais presque simultanés, pour que le déclic se fasse : le premier a été l’odieuse campagne internationale contre les Jeux Olympiques de Pékin et l’importance qu’a prise, dans ce contexte, la question du Tibet « occupé par la Chine ». Le second a été d’ordre plus personnel : en tant que professeur de lycée, je suis tombé, dans un nouveau manuel allemand que j’étais censé utiliser en classe, sur un ensemble de textes parlant de l’exil tibétain (en Suisse), du dalaï-lama et de « l’occupation chinoise », le tout d’une manière tout à fait hémiplégique et simpliste.
J’ai alors relevé ce que je considérais comme un défi : pouvais-je, en tant qu’Européen « normal », me faire une opinion pertinente sur le Tibet ancien et actuel, sur les événements historiques qui s’y sont déroulés et sur les enjeux et retombées politiques s’y rattachant ? Pouvais-je réussir à pénétrer le sujet tout en gardant mon indépendance d’esprit et mon discernement face à la désinformation, aux demi-vérités et aux mensonges ? Puisque je ne faisais (ne fais) absolument pas partie du petit cercle de « tibétologues » de formation, que je ne dispose pas d’expérience personnelle sur le terrain et que je ne lis ni ne comprends le tibétain ou le chinois, je ne pouvais compter que sur ma culture générale, y compris historique et politique, mon esprit critique, mes connaissances linguistiques et mes facultés et compétences de lecture et d’analyse.
J’ai donc entrepris d’étudier et de creuser le sujet. Pour ce faire, je me suis mis à lire tout ce que je trouvais sur le Tibet et son histoire, en allemand d’abord, en français et en anglais ensuite. Non pas des auteurs et publications chinoises, bien sûr, mais la littérature occidentale, à commencer par le fameux Heinrich Harrer et ses « Sept ans d’aventures au Tibet » (l’éditeur français a cru devoir ajouter les « aventures » dont le titre original s’était passé). Et je me suis vite aperçu que dès qu’on lit ce bestseller mondial non pas comme un récit d’aventures, mais comme un document historique, de très nombreuses observations tout à fait désavantageuses pour le Tibet d’antan sautent aux yeux. Cela n’a pas empêché l’ancien SS Harrer de se lier d’amitié avec les élites tibétaines les plus réactionnaires et de se faire, depuis les années 1950, le principal chantre occidental de l’Ancien Régime tibétain.
Dans la sphère francophone, les écrits de la franco-belge Alexandra David-Néel sur le Tibet ont le même parfum d’aventure et d’exotisme qui a si bien fait vendre le livre de Harrer. L’auteure de récits de voyage, exploratrice fascinée par l’Asie au point de se convertir au bouddhisme, a laissé son nom à une fondation visant à promouvoir et à populariser le lamaïsme tibétain. Pourtant, le lecteur attentif de ses œuvres ne peut ignorer ses jugements et commentaires extrêmement critiques à l’égard du bouddhisme tibétain, qu’elle considérait comme foncièrement dégénéré, ainsi que de son clergé et de son système politique et social.
J’ai même trouvé éclairante et instructive la lecture d’écrits issus directement de la plume d’exilés tibétains : très souvent, les auteurs révèlent à leur insu les tares de l’ancienne société tibétaine ainsi que leur propre état d’esprit atavique, moyenâgeux. Ainsi, quand Norbu, le frère ainé du dalaï-lama, justifie l’analphabétisme de la grande majorité des Tibétains de l’époque ou prend la défense du banditisme et des brigands tibétains qu’il décrit comme des gens très pieux, puisqu’ils avaient l’habitude de prier avant de commettre leurs méfaits et de partager leur butin… avec les monastères.
Mes lectures consécutives ont ainsi éveillé peu à peu en moi le désir de publier un livre qui exposerait, de la manière la plus exhaustive possible, aussi bien les témoignages sur l’Ancien Tibet que les visiteurs et explorateurs étrangers nous ont laissés et qui sont très loin de ce qui nous est raconté par les médias, que les connaissances scientifiques et les constatations pertinentes fournies par les chercheurs et historiens occidentaux sérieux.
L’éditeur allemand auquel j’ai confié mon manuscrit a finalement voulu en faire deux livres. Parus en 2014 et 2015, ils ont trouvé un accueil très positif de la part des lecteurs et même de la part d’un spécialiste reconnu (l’universitaire allemand Ingo Nentwig, un sinologue réputé, qui a travaillé spécialement sur les Tibétains et d’autres minorités nationales en Chine, en a fait l’éloge). J’ai des raisons de croire que ces deux livres écrits en allemand seront traduits dans d’autres langues et auront ainsi la résonance que j’avais espérée quand je leur ai consacré plusieurs années de lecture et de travail.
Même après la parution de mes livres, je n’ai pas cessé de m’occuper du Tibet, loin s’en faut, soit en donnant des conférences, soit en continuant de me documenter et d’étudier de la littérature supplémentaire. Avec le site tibetdoc.eu, j’ai trouvé une excellente tribune pour continuer à divulguer mes connaissances, mes convictions et les résultats de mes recherches.